Ceux qui avaient encore des doutes (ou des espoirs) en sont pour leurs frais : au sens américain du terme, la classe moyenne indienne ne compte que 24 millions d’individus, ce qui représente à peine 2% de la population totale du pays (1,25 milliard d’habitants). Autant dire qu’elle n’existe pas ! En Chine, où certains affirment que la classe moyenne gonfle d’années en années, celle-ci se compose de 109 millions de personnes sur une population de 1,36 milliard d’habitants, soit une proportion de 8%. Ce constat vient d’être établi par la banque d’investissement Credit Suisse, laquelle a fondé ses calculs sur les critères en vigueur aux Etats-Unis, en les corrigeant du différentiel du coût de la vie et du pouvoir d’achat. “Prenez-en de la graine”, a lancé avec un brin de dépit le quotidien économique Mint à l’adresse des “gourous du marketing”.
Quand une classe moyenne est aussi peu représentée, c’est souvent que l’écart entre riches et pauvres est important. Or dans l’Inde de Narendra Modi, Premier ministre on ne peut plus ambitieux en termes de développement, cet écart se creuse dans des proportions impressionnantes. Alors que durant ces quinze dernières années, le produit intérieur brut de l’Inde a été multiplié par plus de quatre, la richesse par tête n’a fait que doubler. Mais il faut toujours se méfier des moyennes. Le décile (1%) des Indiens les plus riches détient en effet aujourd’hui 53% de la richesse nationale, contre 37% en 2000. Actuellement, aux Etats-Unis, les plus riches d’entre les riches n’arrivent à contrôler “que” 37% des richesses, relève Credit Suisse.
A l’autre extrémité de l’échelle sociale, la moitié la plus pauvre de la population indienne n’accède qu’à à peine plus de 4% des richesses aujourd'hui, contre plus de 5% en 2010. Autre façon de dire les choses : le décile des Indiens les plus riches s’est accaparé à lui seul 61% de l’augmentation des richesses constatée entre 2000 et 2015. L’accroissement des inégalités est “le plus grand défi” que doit relever l’Inde, confirme le directeur adjoint de la rédaction de Mint, Anil Padmanabhan, “la réalité n’avait jamais été aussi crûment énoncée” que par les données que vient de publier Credit Suisse. Des chiffres émanant du National Sample Survey Office (homologue de l’Insee) avaient déjà donné l’alerte l’an dernier : entre 2010 et 2012, les dépenses mensuelles des 10% les plus pauvres ont augmenté de 10% tandis que celles des 10% les plus riches ont bondi de 38%.