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Billet de blog 21 avril 2015

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A qui appartiennent les pauvres en Inde ?

Rahul Gandhi a plutôt bien réussi son retour sur la scène politique indienne. Porté disparu depuis près de deux mois, le vice-président du Parti du Congrès - dont on s’étonne qu’aucun journaliste local n’ait cherché à percer le mystère de ce “congé sabbatique” qui l’aurait porté en Thaïlande - est réapparu dimanche 19 avril à Ramlila Maidan, le terrain bordant Old Delhi où se déroulent tant de meetings.

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Rahul Gandhi a plutôt bien réussi son retour sur la scène politique indienne. Porté disparu depuis près de deux mois, le vice-président du Parti du Congrès - dont on s’étonne qu’aucun journaliste local n’ait cherché à percer le mystère de ce “congé sabbatique” qui l’aurait porté en Thaïlande - est réapparu dimanche 19 avril à Ramlila Maidan, le terrain bordant Old Delhi où se déroulent tant de meetings. Profitant d’une manifestation paysanne contre le projet du gouvernement de faciliter les expropriations en milieu rural, “l’héritier” a frappé fort. “Je vais vous dire comment Modi a gagné les élections”, a-t-il lancé à la foule : “Il a emprunté de l’argent à des milliers de grandes entreprises pour faire sa pub et il doit maintenant rembourser son prêt. Comment compte-t-il faire ? Il va s’emparer de vos terres pour les donner à ses amis patrons. Son truc, c’est de s’en prendre aux paysans”.

Selon Rahul Gandhi, telle est la stratégie du Premier ministre au pouvoir depuis bientôt un an : “Affaiblir les fondations de l’immeuble, prendre une échelle, peindre la façade d’une couleur lumineuse et dire au monde entier que la bâtisse brille de tous ses feux, alors qu’il n’y a rien à l’intérieur”. Sonia Gandhi, sa mère, a alors pris le relais pour accuser le gouvernement Modi d’agir “contre les agriculteurs, les pauvres et les plus démunis”. “Nous, nous nous battons pour les pauvres et les plus faibles”, a-t-elle affirmé.

Quelques heures plus tôt, comme s’il s’attendait aux attaques de l’opposition, Narendra Modi avait pris les devants, à l’occasion d’une réunion des députés du BJP, au Parlement. “Nous cherchons des terrains pour construire des maisons pour les pauvres. Ce sont les pauvres qui ont besoin de logements, pas Mukesh Ambani (l’homme le plus riche d’Inde avec un patrimoine évalué à plus de 20 milliards de dollars, NDLR). Ai-je tort de dire cela ? Est-ce une erreur de rêver que les pauvres aient un toit, l’électricité, l’eau, des hôpitaux et des écoles ? Toute l’action du gouvernement est tournée dans cette direction”, a déclaré le Premier ministre, visiblement en pleine forme, après sa tournée d’une dizaine de jours en France, en Allemagne et au Canada.

Modi a poursuivi en rappelant qu’il avait décidé de construire des millions de toilettes dans le pays, de permettre l’accès des pauvres aux banques, de combattre l’illettrisme et de faciliter l’accès des minorités à l’éducation : “Comment notre pays pourrait-il se développer autrement ? Nous devons faire des efforts pour expliquer le travail que nous sommes en train de faire aux gens et aux médias qui veulent bien nous écouter”, a-t-il dit aux parlementaires. Après cette joute dominicale qui frisait l’indécence, ne restait qu’une seule question : Mais de quoi parle-t-on ? Réponse dans le quotidien “Mint”, qui a eu l’heureuse initiative de publier, dès le lendemain, deux pages de statistiques détaillées sur la pauvreté en Inde, à l’appui des chiffres du dernier recensement national réalisé en 2011, et de ceux d’une étude du cabinet Indicus Analytics.

Premièrement, un Indien est considéré comme pauvre s’il ne dispose pas de 27 roupies par jour (40 centimes d’euro) lorsqu’il habite à la campagne, 33 roupies (49 centimes d’euro) lorsqu’il habite en ville, pour avoir au moins un repas. A un niveau pareil, cela donne une idée de la population que l’on exclut du débat ! Deuxièmement, expliquent les économistes Laveesh Bhandari et Minakshi Chakraborty, les politiques de lutte contre la pauvreté de ces vingt dernières années ont produit des résultats certes très disparates mais néanmoins impressionnants globalement, puisque la proportion de pauvres dans la population a reculé de 25%. Troisièmement, de fortes disparités géographiques perdurent, avec des Etats du nord - Bihar, Madhya Pradesh et Uttar Pradesh principalement - bien plus défavorisés que d’autres situés au sud, tels que l’Andhra Pradesh, le Kerala ou Goa.

Enfin, quatrièmement, les régions du sous-continent où les plus fortes concentrations de pauvres sont à déplorer sont, comme par hasard, celles où les infrastructures sont les plus clairsemées. On pense là aux routes, aux écoles et aux hôpitaux. Cela vaut en particulier pour les zones montagneuses, les zones désertiques et celles où la végétation est très dense. Mais cela vaut aussi pour les mégapoles comme Delhi, Bombay et Bangalore, où les opportunités d’emploi sont concentrées dans quelques quartiers bien identifiés, tandis que partout ailleurs, là où les slums s’étendent de plus en plus, la population a rarement accès aux services publics essentiels. De bons sujets de méditation pour Rahul Gandhi et Narendra Modi. En attendant, 22% des Indiens vivent toujours sous le seuil de l’extrême pauvreté. Cela représente 275 millions de personnes. D’après la Banque Mondiale, ces dernières représentent 21% de tous les pauvres recensés sur la planète.