Critiqué de toutes parts, par des étudiants, des journalistes, des historiens et des intellectuels de tous poils, Narendra Modi vient d’abattre une carte à laquelle personne ne s’attendait : la victimisation. Au lieu de répondre à la révolte qui agite le campus de la Jawaharlal Nehru University de Delhi où les “gauchistes”, comme les appelle la droite nationaliste hindoue au pouvoir, sont accusés de vouloir s’en prendre à la nation indienne, au lieu de trouver une solution à la question des Intouchables dans le système éducatif, soulevée par le suicide d’un thésard à Hyderabad, au lieu de tenir bon face aux revendications déraisonnables de la caste des Jats qui voudraient bénéficier des quotas d’emplois dans la fonction publique au même titre que les classes défavorisées, le chef du gouvernement crie au complot.
“Certains personnes n’ont qu’une seule préoccupation en tête : critiquer mon gouvernement du matin au soir. Elles n’ont jamais digéré le fait qu’un vendeur de thé soit devenu premier ministre”, prétend Narendra Modi. Selon lui, c’est en réalité parce que la guerre a été déclarée à la corruption depuis qu’il dirige l’Inde que les critiques pleuvent. “J’ai pris des décisions qui ont rendu la vie difficile à beaucoup de gens, ceux qui étaient corrompus sont en colère contre moi”, assure-t-il. Durant la campagne électorale de 2014 déjà, Modi avait entonné cette petite musique, accusant les médias et les ONG de lui vouloir du mal. Il y a de quoi se pincer, quand on sait que son parti, le BJP, a fait un raz-de-marée à la chambre des députés avec 282 élus sur 545, qu’il revendique aujourd’hui 110 millions d’adhérents, faisant de lui l'une des plus grosses formations politiques au monde, et que l’exécutif “safran” reste à des niveaux record de popularité.
Pour l’instant, la seule réponse que le premier ministre a apporté à ceux qui jugent la liberté d’expression en danger a été d’obliger les universités à faire flotter le drapeau indien au-dessus des amphithéâtres. Modi n’a en revanche rien dit de ce qu’il pensait de l’avenir du Cachemire, dont il est pourtant supposé discuter prochainement avec son homologue pakistanais, rien dit non plus de la façon dont il entendait faire évoluer le concept de discrimination positive mis en place dès l’Indépendance pour lisser l’effet social dévastateur des castes. Et puis voilà que lundi 22 février, il a commencé à tenir des propos enfin dignes de sa fonction. “Pour réussir dans la vie, il faut suivre le rythme du changement et la première condition pour y parvenir, c’est de ne jamais laisser mourir en soi l’étudiant que l’on a été”, a-t-il déclamé.
Selon Modi, c’est aux étudiants qu’il revient de trouver les solutions aux problèmes que rencontre l’Inde. “Quand on perd toute curiosité, la vie devient une impasse, a-t-il expliqué, il faut trouver des idées innovantes pour faire baisser la température”. L’espace d’une seconde, ceux qui l’écoutaient ont pu croire qu’il parlait des tensions politiques et religieuses qui agitent le sous-continent en ce moment. En réalité, il faisait allusion au réchauffement climatique, l’un de ses chevaux de bataille. Pour le reste, libre à chacun de jauger la sincérité du propos, au moment où le Parti du Congrès et son vice-président, Rahul Gandhi, font une remontée spectaculaire dans les sondages, comme le souligne l’hebdomadaire India Today dans sa dernière édition.