La visite de Xi Jinping à Ahmedabad et Delhi en septembre dernier devait, paraît-il, sceller les grandes retrouvailles de la Chine et de l’Inde. Narendra Modi avait reçu son invité en grande pompe et s’était laissé aller à quelques familiarités sur une balançoire, au bord de la rivière Sabarmati. L’intéressé était pourtant resté de marbre et avait annoncé le lendemain 20 milliards de dollars d’investissements chinois en Inde, au lieu des 100 milliards espérés jusqu’alors par les milieux diplomatiques. Modi espère néanmoins enfoncer le clou à l’occasion d’un voyage programmé fin mai en Chine, expliquant à ses concitoyens que l’Inde est de retour sur la scène asiatique et que les deux géants jouent désormais d’égal à égal. Mieux, ne manque pas de souligner son gouvernement depuis plusieurs semaines à l’appui des prévisions du FMI, Delhi s’attend cette année à dépasser Pékin en termes de croissance économique (8% contre 7%).
Et tout à coup patatras, voilà que le président chinois a décidé, entre temps, de faire les yeux doux à Islamabad, confirmant les intérêts géostratégiques historiques que partagent la Chine et le Pakistan dans la région. Le 20 avril, Xi Jinping a lancé avec son homologue, Nawaz Sharif, un énorme projet de corridor industriel devant fluidifier la circulation des hommes et des biens entre la ville de Kashgar, à l’extrême ouest de la Chine, et le port de Gwadar, à la pointe sud-ouest du Pakistan. Le président chinois entend s’ouvrir ainsi un accès terrestre direct au Golfe Persique, tout en développant de nouveaux liens physiques vers l’Afghanistan. Il a promis d’investir 46 milliards de dollars pour construire, sur ce tracé de 3000 kilomètres, une autoroute, une voie ferrée, un oléoduc et un gazoduc.
Le sang de Narendra Modi n’a fait qu’un tour : trois jours plus tard, ce dernier a fait savoir qu’un accord était imminent entre l’Inde et l’Iran, pour réactiver le projet d’agrandissement du port de commerce de Chabahar, une ville située sur le détroit d’Ormuz, à seulement 72 kilomètres à l’ouest de Gwadar. Delhi cherche à s’assurer par là un accès maritime à l’Afghanistan et, plus au nord, à l’Asie Centrale. Le projet est chiffré à 85 petits millions de dollars et suppose qu’une route soit ensuite construite depuis Chabahar en direction du nord. La guerre des ports aura-t-elle lieu ? Ces annonces montrent en tout cas qu’à travers leurs fringants dirigeants, la Chine et l’Inde sont officiellement engagées dans la course au leadership en Asie du sud.
Avant de venir en Inde, Xi Jinping avait d’ailleurs donné le ton, se payant le luxe d’un virée aux Maldives et au Sri Lanka, où son pays construit des ports et des aéroports, sous le prétexte de ressusciter la route maritime de la Soie. Delhi avait alors déjà tordu le nez et organisé la réplique. En mars, Narendra Modi s’est ainsi rendu à l’île Maurice, aux Seychelles et à son tour au Sri Lanka, pour renforcer la présence de l’Inde sur ces territoires à coup de projets ferroviaires et portuaires, au motif qu’il faut “rendre l’Océan Indien plus sûr”. Près d’un an après son arrivée au pouvoir, Modi prend le risque de passer, au pire pour un grand naïf, au mieux pour un homme qui n’a pas les moyens de ses ambitions. Il a au moins le mérite d’être hyperactif sur la scène internationale, avec seize déplacements à son actif en onze mois. Ce n’était pas le cas de son prédécesseur.