Durant leur carrière politique, il arrive parfois que les élus marquent les esprits par un discours qui reste ensuite gravé pour la postérité. Celui qu’a prononcé Narendra Modi, samedi 24 septembre, à Calicut, dans l’Etat du Kerala, pourrait bien faire partie de cette catégorie. Près d’une semaine après l’assaut contre la base militaire d’Uri, au Cachemire, au cours de laquelle dix-huit militaires ont été tués, le premier ministre indien a montré qu’il pouvait prendre de la hauteur. Ou en tous cas être très habile. Alors que les plus excités des nationalistes hindous de sa formation, le Parti du peuple indien, attendaient de lui des propos va-t’en-guerre contre le Pakistan, soupçonné de fomenter les attaques à répétition contre l’armée indienne, Modi a surpris son monde en s’adressant au peuple pakistanais.
Au lieu de s’en prendre aux deux hommes les plus puissants du pays ennemi, le premier ministre Nawaz Sharif et le chef d’état major des armées, Raheel Sharif, il a invité les Pakistanais à demander des comptes à leurs dirigeants. « Demandez-leur pourquoi, depuis l’indépendance de nos deux pays, l’Inde exporte des logiciels et le Pakistan exporte le terrorisme. Demandez-leur pourquoi ils ne font pas plutôt la guerre à la pauvreté, au chômage, à l’illettrisme et à la mortalité infantile », a-t-il dit. « Sur ces terrains-là, que l’Inde et le Pakistan fassent la guerre, oui, et on verra bien qui gagnera », a lancé Modi.
Qui aurait imaginé autant de mesure il y a trois ans, de la part d’un homme qui rêvait que l’Inde monstre ses muscles et qui reprochait au Parti du Congrès, alors au pouvoir, de ne pas riposter aux provocations du Pakistan ? Modi, depuis, a appris le métier d’homme d’Etat. Dans le discours de Calicut, il a fait d’une pierre deux coups : il a annoncé implicitement qu’il ne déclarerait pas la guerre à Islamabad et il a rappelé que son projet politique consistait à développer l’Inde, économiquement et socialement.
Il s’est ainsi extirpé du piège que lui tendaient ses propres amis, celui d’avouer que l’Inde aurait beaucoup à perdre à un conflit armé avec le Pakistan. C’est tout l’intérêt de la dissuasion nucléaire, entre les deux pays d’Asie du sud qui détiennent la bombe atomique. Mais il y a également une réalité : l’armée indienne ne dispose pas de moyens suffisants pour hausser le ton plus que de mesure. A cet égard, l’achat de 36 Rafale conclu la veille du discours de Calicut arrive trop tard. En revanche, à partir du moment où les avions de chasse de Dassault commenceront à être livrés à l’armée de l’air indienne, en 2019, ce sera une toute autre histoire. Et si Modi est réélu d’ici là, il sera sans doute moins pondéré.