Voilà trois semaines que l’Inde survit tant bien que mal à la volatilisation de 23 milliards de ses billets de banque. A Bombay, capitale financière du pays, les distributeurs automatiques sont toujours à la peine, daignant tout juste cracher un billet de 2000 roupies par personne ici ou là. Pour obtenir du liquide, il faut encore faire la queue au guichet et contre un chèque, chacun a droit à 24 000 roupies par semaine seulement (330 euros). La fin de mois s’annonce difficile pour tous ceux qui touchent un salaire en petite monnaie, femmes de ménage, gardiens d’immeuble, chauffeurs de voiture…

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Si l’on en croit les chiffres publiés lundi 28 novembre par la Reserve Bank of India (RBI), la patience reste impérative. A ce jour, les Indiens ont rapporté à la banque 8000 milliards de roupies en vieilles coupures démonétisées (110 milliards d’euros). Mais en échange, les banques n’ont été capables de fournir que 330 milliards de roupies sous forme de nouveaux billets (4,5 milliards d’euros). A ce rythme, il faudrait donc un an et quatre mois pour remettre en circulation l’équivalent de l’argent disparu, sauf à imaginer que la population ait soudain décidé d’épargner en quantité, préférant laisser son argent bien au chaud à la banque.
Heureusement, on nous dit que les distributeurs seront tous remis aux normes d’ici le 30 novembre, ce qui signifie qu’à partir de demain, tout devrait rentrer dans l’ordre. A un petit détail près : la RBI n’a pas les quantités de billets suffisantes pour les alimenter. Le chroniqueur Karan Thapar, dans The Hindustan Times daté du 27 novembre, a d’ailleurs apporté des précisions intéressantes à ce sujet. Les nouvelles coupures étant signées de la main du nouveau gouverneur de la RBI, Urjit Patel, nous avons la preuve que la planche à billets n’a commencé à tourner qu’après sa prise de fonction, le 6 septembre dernier. En outre, la RBI ne peut produire que 3 milliards de billets par mois, ce qui montre que nous étions trop optimistes dans notre dernier billet : il faudra huit mois au bas mot à la RBI pour rétablir une situation à peu près normale dans le pays. Rendez-vous début mai.
Sur l’efficacité de la mesure, officiellement destinée à porter un coup à la corruption et aux trafics en tous genres, le doute reste quant à lui permis. En Inde, l’argent sale n’existe en effet qu’à 6% sous forme liquide, d’après Pronab Sen, ancien patron de la National Statistical Commission (l’homologue indien de l’Insee). Le précédent ministre des finances, Palaniappan Chidambaram, lui, avance le taux de 15%. Quoi qu’il en soit, Karan Thapar s’interroge : « Les difficultés que nous endurons actuellement sont-elles justifiées? »
La réponse est « oui », semble penser la majorité de la population. Les sondages valent ce qu’ils valent, on l’a vu avec la victoire inattendue du Brexit au Royaume-Uni, l’élection inattendue de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, le succès inattendu de François Fillon à la primaire de la droite française. Mais enfin… Selon une enquête menée par MavenMagnet pour la dernière édition dominicale de The Economic Times, 64% des Indiens se déclarent favorables à l’opération démonétisation. Ils sont 69% à faire confiance à Narendra Modi pour éradiquer la corruption et 81% à se dire satisfaits de son leadership. Même les Chinois sont admiratifs. Modi a fait le choix de « l’audace » et que la démonétisation produise ou non les effets escomptés, elle crée « un précédent » dont Pékin devra tirer des enseignements, affirme le Global Times, un tabloïd en phase avec la ligne officielle du parti communiste chinois. Le premier ministre indien n’en demandait pas tant !