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Billet de blog 30 juillet 2016

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Le Cachemire, terre interdite aux Pokémon

Les heurts entre séparatistes et forces de l'ordre qui se succèdent depuis début juillet dans la province de l'extrême nord de l'Inde ont fait une cinquantaine de morts. Les rassemblements sont interdits et internet est toujours coupé.

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La réalité du terrain a beau être aussi tragique qu'inextricable, l'analogie entre les événements en cours au Cachemire et la folie qui s'est emparée des joueurs de Pokémon Go est frappante. Voilà déjà huit jours que la police se mobilise dans les grandes villes d'Inde pour alerter la population sur le nouveau jeu en "réalité augmentée", auquel les plus accros s'adonnent le nez dans leur smartphone, en marchant dans la rue ou en conduisant leur voiture, au risque de se cogner à un mur ou de provoquer un accident de la route. La chasse aux Pokémon a des conséquences inattendues et les forces de l'ordre appellent à succomber à ce nouveau délire dans des lieux clos.

Au même moment, Delhi et Islamabad s'invectivent aveuglément par presse interposée à propos du Cachemire, où au terme de trois semaines de couvre-feu, tout rassemblement de plus de quatre personnes reste interdit. Le premier ministre pakistanais, Nawaz Sharif, a déclaré qu'un jour, la région sous souveraineté indienne de la province ferait partie du Pakistan. Même pas en rêve, a immédiatement rétorqué la ministre indienne des affaires étrangères, Sushma Swaraj. L'ensemble de l'Etat du Jammu-et-Cachemire, incluant dans son esprit la partie nord actuellement administrée par le Pakistan, ainsi que deux petits territoires de l'est contrôlés par la Chine, appartient à l'Inde "pour l'éternité", a-t-elle dit.

Les dommages collatéraux de ce dialogue de sourds commencent à faire tâche. Depuis que le 8 juillet, la police a abattu le militant séparatiste Burhan Wani, qui appartenait au mouvement Hizb-ul-Mujahideen (le parti des guerriers saints), les manifestations à répétition entraînent des heurts violents. A ce stade, elles ont fait une cinquantaine de morts et plus de 3 600 blessés parmi les civils. L'enterrement de  Burhan Wani a lui-même attiré entre 15 000 (selon l'armée indienne) et 200 000 personnes (selon la presse), du jamais vu depuis les obsèques de Sheikh Abdullah, le lion du Cachemire, en 1982, relève le Times of India daté du 30 juillet.

Prise entre son obligation de loyauté envers Delhi et son devoir d'entendre les revendications de la population, la chef du gouvernement local, Mehbooba Mufti, prétend que Burhan Wani a été tué "par hasard". Prend-elle les gens pour des Pokémon ? En tout cas, ses administrés ne risquent pas de succomber à la fièvre des avatars japonais : celle qui a succédé à son père en avril dernier a fait couper internet dans toute la vallée du Cachemire et elle continue de restreindre les communications téléphoniques. Une politique de l'autruche que l'on pourrait qualifier de réalité diminuée.