La question n'est plus de savoir si la disparition des principaux billets de banque, début novembre, a fait des ravages en Inde. Mais d'évaluer le degré de sincérité de ceux qui prétendent que la pilule amère ayant été avalée, le retour à la normale est proche. Arvind Subramanian est de ceux-là. En présentant, mardi 31 janvier, le traditionnel rapport sur l'état du pays, qui précède de vingt-quatre heures la présentation du budget annuel de la nation, l'économiste en chef du gouvernement Modi a déclaré que le retour à la normale était prévu pour fin mars s'agissant des liquidités en circulation.
Si l'on se réfère aux calculs savants des experts qui scrutent la planche à billets de la banque centrale depuis trois mois, c'est une bonne nouvelle, puisqu'on promettait aux Indiens une période difficile jusqu'au mois de juin au moins, voire jusqu'à fin 2017. Si l'on compare en revanche aux promesses initiales du premier ministre, qui assurait que tout serait rentré dans l'ordre pour le Nouvel An, c'est un aveu : le choc monétaire est plus long à digérer que prévu.
Ces détails de calendrier mis à part, Arvind Subramanian - et par voie de conséquence le ministre des finances, Arun Jaitley - a pris le risque d'afficher une prévision de croissance optimiste pour l'année fiscale 2017/2018 (entre 6,75% et 7,5%), en s'appuyant sur une estimation de l'année en cours (7,1%) qui ne prend pas en compte l'impact de la démonétisation ! Pour mémoire, le FMI table, lui, sur un point de croissance perdu par rapport aux dernières estimations, à 6,6%. Est-ce à dire que Subramanian croit vraiment que l'économie est en train de retrouver son régime de croisière ? Ou qu'il a reçu la consigne de donner le moral aux électeurs qui se rendront bientôt aux urnes en Uttar Pradesh et au Pendjab ?
Le journal économique Mint abonde dans son sens. Malgré les destructions d'emploi constatées par centaines de milliers dans l'industrie manufacturière et l'agriculture notamment, il semble que les grandes entreprises aient à peine tremblé sur leurs bases ces dernières semaines, d'après ses calculs. Au quatrième trimestre 2016, les poids lourds cotés à la Bourse de Bombay ont réussi à enregistrer une progression de 0,6% de leur chiffre d'affaires. Cela n'est certes pas brillant, quand on sait que leur activité augmente en moyenne de 5 ou 6% habituellement, mais ce n'est pas non plus la catastrophe. Seul leur résultat opérationnel est en berne, avec un recul de 2% sur trois mois. Encore ce chiffre est-il à prendre avec des pincettes. Seuls les résultats constatés sur l'intégralité de l'exercice en cours diront le vrai.
Encore plus fort : quand on interroge l'homme de la rue, la volatilisation de l'argent liquide semble avoir été un non événement. En Inde, les sondages sont extrêmement rares et celui que vient de publier l'hebdomadaire India Today, pas particulièrement fan de Modi, porte un coup aux espoirs électoraux de l'opposition. En effet, 45% des personnes interrogées par l'institut Karvy Insights pensent que la démonétisation leur a fait plus de bien que de mal. Narendra Modi est considéré comme le meilleur chef de gouvernement que le pays ait connu depuis l'indépendance, avec 30% d'opinions favorables, loin devant Indira Gandhi et Nehru.
Enfin, si les législatives devaient se tenir aujourd'hui, Modi est plébiscité par 65% de l'échantillon et son parti nationaliste hindou obtiendrait davantage de sièges encore qu'il n'en a obtenu avec la majorité absolue à lui seul, en 2014. Si un indien sur cinq trouve que Modi parle beaucoup et agit peu, un Indien sur trois salue le fait que le premier ministre n'a pas peur de prendre des risques. Dont acte.