Guillaume Delacroix (avatar)

Guillaume Delacroix

Journaliste

Pigiste Mediapart

90 Billets

0 Édition

Billet de blog 31 mars 2017

Guillaume Delacroix (avatar)

Guillaume Delacroix

Journaliste

Pigiste Mediapart

Du financement occulte de la politique

L’Inde vient de déplafonner les dons des entreprises aux partis politiques. De quoi améliorer la transparence, affirme le ministre des finances.

Guillaume Delacroix (avatar)

Guillaume Delacroix

Journaliste

Pigiste Mediapart

Le combat pour la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption ont des limites. Alors que le gouvernement Modi ne cesse d’affirmer qu’il lave plus blanc que blanc - preuve en est, parait-il, le changement brutal de papier monnaie de novembre dernier, couramment désigné sous le vocable de « démonétisation » -, les partis politiques pourront désormais être financés sans limite par les entreprises privées. Une disposition allant en ce sens a été votée jeudi 30 mars par la chambre des députés (Lok Sabha), lors de l’adoption définitive du budget de l’année fiscale 2017-2018.

Le sénat (Rajya Sabha), où la droite nationaliste est minoritaire pour encore quelques mois, avait bien tenté de faire barrage à cette mesure, en rétablissant le plafond qui s’imposait jusqu’ici aux dons des entreprises, à savoir 7,5% du résultat net des trois années précédant le don. Mais c’est la chambre basse qui a eu le dernier mot. Ce plafond a été à nouveau supprimé en seconde lecture, à la demande du ministre des finances, Arun Jaitley, selon qui limiter le montant des dons encourage le financement des partis politiques en argent liquide. En revanche, si les fonds émanant d’un grand groupe sont importants, explique le ministre, ils pourront plus spontanément être versés par chèque ou par virement sur internet, et la transparence sera garantie. D’autant que les dons en liquide des personnes privées devraient de toutes les façons être bientôt limités à 2000 roupies (28 euros).

« Cela n’a aucun sens car les valises de petites coupures ne sont jamais référencées nulle part », estime Sitaram Yechury, secrétaire général du Communist Party of India (Marxist), qui voit au contraire dans cette initiative la volonté de faciliter « le blanchiment » d’argent sale. Une chose est sûre, dorénavant les entreprises privées n’auront plus l’obligation de publier la liste des partis qu’elles soutiennent financièrement. En outre, la loi de finances crée un autre système de dons passant par l'intermédiaire des banques, qui permettra à quiconque le souhaite de donner de l’argent aux partis dans le plus parfait anonymat.

Ce budget 2017-2018 recèle décidément bien des surprises, comme le souligne sur son blog S.R. Praveen, journaliste au quotidien The Hindu. Le gouvernement Modi a fait passer en douce des dispositions qui n’ont rien à faire dans une loi de finances et qui frisent l’anti-constitutionnalité, observe-t-il. L’une d’entre elles concerne la justice : dorénavant, la nomination des présidents des tribunaux et des cours d’appel ne pourra se faire qu’avec l’assentiment du gouvernement fédéral, à Delhi. L’indépendance de la justice en prend un coup et les conflits d’intérêt ne vont pas manquer de surgir, car dans nombre des juridictions concernées, comme le tribunal militaire, le tribunal de l’environnement, le bureau de censure du cinéma ou l’autorité de régulation des télécoms, l’Etat est parfois sur le banc des accusés.

La droite dénonce régulièrement le mal occasionné en Inde par l’état d’urgence décrété à la fin des années 1970 par Indira Gandhi. A raison, quand on sait la violence avec laquelle les règles démocratiques et les libertés individuelles avaient à l'époque été bafouées, pour des motivations électoralistes. Pour S.R. Praveen toutefois, ce qui vient de se produire au parlement est du même acabit. Personne n’a déclaré l’état d’urgence mais il est bel et bien en train d’être réinstauré par le parti au pouvoir, affirme-t-il. A méditer...

NB : Dans son billet hebdomadaire du 2 avril publié par The Indian Express, le précédent ministre des finances de centre gauche, Palaniappan Chidambaram, s'émeut lui aussi des nouvelles dispositions concernant le financement des partis politiques. « Si les objectifs du gouvernement sont la transparence et le financement "propre" de la politique, pourquoi les noms des donateurs et des partis bénéficiaires devraient-ils être gardés secrets ? », s'interroge-t-il. « Les grandes entreprises devraient se méfier », ajoute-t-il : « Rien n'empêchera un gouvernement futur », a posteriori, « d'amender la loi et de rendre publics tous les noms ».