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Billet de blog 17 janvier 2010

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Migrant.

Migrant. Individu travaillant dans un pays autre que le sien. P. ext. Personne effectuant une migration. Il est surprenant d'ouvrir un dictionnaire. Ainsi un migrant ne migrerait qu'en raison du travail. Voilà qui devrait faire plaisir aux tenants de la seule immigration de travail qui sont nombreux à droite ! Mais si l'on regarde plus loin, un migrant est essentiellement un audacieux qui quitte sa terre pour une autre, en l'espérant, en la rêvant plus accueillante. Un migrant, c'est un Janus : émigré pour les uns, fuyant son pays d'origine, immigré pour les autres, peuplant une terre qui n'est pas (encore) la sienne.

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Migrant. Individu travaillant dans un pays autre que le sien. P. ext. Personne effectuant une migration.

Il est surprenant d'ouvrir un dictionnaire. Ainsi un migrant ne migrerait qu'en raison du travail. Voilà qui devrait faire plaisir aux tenants de la seule immigration de travail qui sont nombreux à droite ! Mais si l'on regarde plus loin, un migrant est essentiellement un audacieux qui quitte sa terre pour une autre, en l'espérant, en la rêvant plus accueillante. Un migrant, c'est un Janus : émigré pour les uns, fuyant son pays d'origine, immigré pour les autres, peuplant une terre qui n'est pas (encore) la sienne. Alors, notre dictionnaire nous parait tout d'un coup brutal, partial. Un tel mouvement, si définitif, ne trouverait qu'un unique moteur, réconfortant ainsi les commentateurs les plus obtus ou les plus pressés ? Nous devons toujours pousser plus avant la réflexion, ne jamais nous contenter de réponse à l'emporte-pièce, et nous interroger plus profondément sur les raisons de ces migrations. Pourquoi un homme, une femme, décide un jour de quitter la terre qui l'a vu naître et grandir ? Pour le travail parfois, comme ces nombreux immigrés venus habiter nos cités dortoirs à l'orée des Trente Glorieuses, venant participer à l'effort de reconstruction. Pour les siens aussi, par l'octroi du droit au regroupement familial, droit inaliénable de vivre avec ses plus proches. Pour survivre, tout simplement, comme en témoignent les boat people, les wetback (les immigrés mexicains clandestins ainsi baptisés car devant traverser le Rio Grande pour pénétrer aux Etats-Unis, se mouillant le dos), ceux qui vont se cacher dans les trains d'atterrissage pour traverser les océans ou sous les essieux des camions pour passer de la jungle de Calais à la terre promise contre monnaie sonnante et trébuchante, l'Angleterre.

Encore une fois, le choix du vocable n'est pas indifférent. On cachera sous une dénomination en apparence neutre notre attention accrue sur le voyage, son point de départ ou d'arrivée. Migrants. Immigrés. Emigrés. Emigrants ? Ecoutons ce qu'a à nous dire à leurs sujets Albert Londres, dans un chapitre ainsi intitulé, au sein de son reportage sur la ville de Marseille, porte du sud (disponible sous licence libre ici)

"Venez les voir. Ils ne ressemblent pas à tout le monde. La décision qu’ils ont prise les marque. On respire, dans ces couloirs, l’atmosphère des salles de jeux. C’est leur vie qu’ils jettent sur les tapis en criant : « Banco ! » Et ils ne sont pas des aventuriers !

Il y a donc la guerre dans leur pays qu’ils fuient ainsi ?

Oui ! La guerre de la faim.

Les uns désertent les pays trop habités, les autres les terres ingrates.

Ils s’en vont, par la grande route de l’eau, mendier une patrie.

La leur n’était plus capable de les faire manger.

Ils deviendront Argentins ou Brésiliens. Pour l’heure, ils sont encore ce qu’ils sont. Chacun reste dans son coin, même pour peler les pommes de terre.

Il y a des tranches de Polonais, des tranches d’Espagnols, des tranches de tous les autres. Cela fera bientôt un même gâteau, mais bientôt seulement ! La langue commune qui deviendra la leur rassemblera un jour tous ces morceaux. Pour l’instant, si l’on en veut goûter, il faut les manger à part, ils ne sont pas encore de même farine."

Il paraît acquis que les émeutiers de Rosarno (Italie) n'avaient pas lu ces quelques lignes avant de mener une ratonnade contre les migrants. Car ils en sont arrivés à dénier la part d'humanité des migrants en en faisant des esclaves. En les fixant sur leur terre par le qualificatif d'immigrés, en faisant des nuisibles qui viennent piller leur patrimoine - matériel, culturel, d'autres diront identitaire - les racistes opèrent un incroyable retournement de situation. Historique tout d'abord, en oubliant que l'histoire européenne, comme celle de toutes les civilisations, a été faite de migrations, intérieures et extérieures. Economique ensuite, en faisant mine de croire que la présence de migrants est un poids, en niant le fait qu'ils les exploitent pour faire tourner l'appareil productif national, en leur reniant le droit de tirer une part des bénéficies de leur labeur. Culturel enfin, en souhaitant se replier sur la défense d'un patrimoine qu'il conviendrait de conserver dans sa pureté originelle, celle d'un hypothétique âge d'or, où les barbares n'auraient pas encore menacé notre identité, là où notre passé est pétri de métissages autour de la mer Méditerranée. Un migrant n'est pas une présence hostile, un immigré qui vient troubler la quiétude de nos terres, mais un audacieux qui quitte un monde pour un autre. Ce n'est pas un homme à fuir, mais à écouter. Aucune barrière ne devra arrêter le migrant, le passeur.

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