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Billet de blog 31 décembre 2010

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Hongrie. 2010.

Demain, la Hongrie prendra la tête de la Présidence tournante de l'Union Européenne ; Viktor Orbán, Premier Ministre hongrois, se retrouvera aux côtés de Herman Von Rompuy, Président du Conseil Européen, et de José Manuel Barroso, Président de la Commission Européenne. Demain, la Hongrie mettra en application une loi limitant drastiquement la liberté de la presse.

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Demain, la Hongrie prendra la tête de la Présidence tournante de l'Union Européenne ; Viktor Orbán, Premier Ministre hongrois, se retrouvera aux côtés de Herman Von Rompuy, Président du Conseil Européen, et de José Manuel Barroso, Président de la Commission Européenne. Demain, la Hongrie mettra en application une loi limitant drastiquement la liberté de la presse. A cette heure, l'Europe perdra encore un peu plus de crédit auprès de tous les démocrates qui, depuis la Seconde Guerre Mondiale, voyait dans l'avènement d'une enceinte de dialogue et d'action à l'échelle continentale l'un des ressorts d'un renouveau civique pour dépasser l'horreur.

Mai 2010. Un nouveau pays européen bascule à droite. Le MSzP (Parti Socialiste Hongrois), à la tête du pays lors de l'explosion de la crise de 2008, est désavoué, et perd 131 sièges. Il se retrouve à quelques encablures du parti d'extrême-droite Jobbik qui fait son entrée au Parlement avec 47 députés (pour celles et ceux qui ne connaissent pas ce parti, je vous recommande le reportage publié l'an dernier sur Médiapart). Le grand vainqueur du jour est Viktor Orbán qui, à la tête du Fidesz, remporte une victoire éclatante et conquiert 263 sièges sur 386, assez pour atteindre la majorité de deux-tiers et modifier la constitution à lui seul. Le pays prend un virage brutal sur sa droite, inquiet pour son avenir économique, inquiet pour son identité nationale, entre minorités hongroises disséminées dans les pays limitrophes et présence d'une communauté Rom ostracisée. C'est dans ce contexte que fin décembre, le gouvernement fait voter une loi encadrant la liberté d'information de la presse, dorénavant sous la menace de lourdes amendes allant de 10 millions de forints (36 000 €) pour les périodiques à 200 millions de forints (720 000 €) pour les télévisions nationales. Une Autorité Nationale des Médias et des Communications, composée exclusivement de membres du parti majoritaire, jugera de l'équilibre politique de la couverture médiatique et du caractère moral, conforme à la dignité humaine, des informations diffusées. Ces lourdes amendes, dont la subjectivité ne manquera pas d'être soulignée, menacent l'équilibre financier de médias indépendants qui ne pourront soutenir de telles pénalités. L'Autorité pourra ordonner des perquisitions dans les rédactions avant d'avoir incriminé l'organe de presse d'un éventuel délit, et demander la levée du secret des sources, pour le moment limitée aux cas de défense de la sécurité nationale. Gyorgy Konrad, écrivain hongrois entré en dissidence sous l'ère communiste, met en garde contre la dérive du régime qui lui rappelle les premières heures du pouvoir du NSDAP en Allemagne en 1933 : "Même si la Hongrie est un petit pays par rapport à l'Allemagne, et si un régime de terreur est peu probable, nous ne pouvons plus parler de démocratie à ce point."

Cette loi s'inscrit dans le mouvement général de défiance voire d'attaques de plus en plus marquées des gouvernements en place face au quatrième pouvoir, la presse. Que l'on pense au projet de Silvio Berlusconi baptisé loi-bâillon visant à interdire la retranscription d'écoutes téléphoniques dans la presse. Aux attaques ignominieuses de membres du gouvernement français à l'adresse d'un média qui eut l'outrecuidance d'informer les citoyens d'un possible conflit d'intérêts entre la plus grande fortune de France et le trésorier du parti majoritaire. Avec pour résultat une liberté de la presse qui régresse, comme nous l'indique année après année Reporters Sans Frontières. La presse est une cible bien facile. Il est de bon ton de tacler une presse idéologique, répondant au choix aux appels de Saint-Germain-des-Prés ou des grands capitaines d'industrie, sans se soucier de son lectorat. De railler des journalistes grassement payés, protégés dans leur cocon parisien, loin des désagréments de l'existence. Habile diversion lorsque le vent de la contestation se dresse face aux dérives de la pratique politique qui prospèrent. S'il est une liberté qu'il s'agit de chérir outre mesure, c'est celle de s'informer, celle de l'accès au savoir.

Le combat pour la culture, l'éducation, l'information est le combat fondateur des progressistes. L'élan civique, qui devrait être indissociable du dessein européen et de l'action politique, nait du brassage des savoirs et des idées. Comment défendre ses droits, lutter pour un idéal de justice collective si l'on ne dispose pas des outils intellectuels pour mener cette bataille ? Ainsi l'éducation gratuite, laïque jusqu'à 16 ans comme l'accès de tous aux œuvres culturelles font partie du patrimoine génétique des forces du progrès. La promotion de la liberté de la presse participe elle aussi de cet héritage. En son article 11, la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen proclame :

La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.

Ces combats sont toujours d'actualité en France comme plus largement en Europe, dans une crise qui n'en finit pas d'annoncer sa terminaison, où les pouvoirs, peu contents des vagues de protestation qui s'enchaînent, souhaiteraient les réduire au silence en coupant simplement le robinet à mauvaises nouvelles. Ainsi, mater les velléités d'indépendance des grands organes de presse participe de cette entreprise de désinformation, ou plutôt de non-information, des citoyens, tout comme les coupes claires faites dans les budgets de l'Éducation Nationale et de la Culture, ou encore la lutte acharnée comme les «sachants», ces vulgaires universitaires qui auraient la prétention de mieux comprendre la complexité du monde que l'Erasme qui siège actuellement à l'Élysée. Il s'agit ainsi de rendre plus dociles des citoyens hagards, incapables de critiquer en conscience les choix qui leur sont imposés. Notre liberté d'homme, de citoyen, nait en premier lieu de notre capacité à regarder le monde tel qu'il est et à l'imaginer tel qu'il devrait être. Cette liberté ne s'exerce pas seul, dans le repli douillet de l'ignorance, mais dans l'ouverture. Nous défendrons la presse comme l'organe essentiel de cette entreprise civique qui fait se rencontrer les hommes, se confronter pour mieux vivre ensemble.

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