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Billet de blog 4 mars 2022

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Révéler le vivant. L’art organique de Marinette Cueco

A Dunkerque, le LAAC rendait hommage à Marinette Cueco en organisant la première rétrospective d’envergure de l’artiste de 87 ans. Prenant pour point de départ le début de son travail sur le monde végétal, « L'ordre naturel des choses » propose, à travers un parcours thématique, de (re)découvrir une œuvre qui résonne étonnement avec la fragilité actuelle de notre monde.

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Illustration 1
Vue de l'exposition consacrée à Marinette Cueco au LAAC de Dunkerque -Salle 3 - 2021 © Cathy Christiaen, Ville de Dunkerque (2)

Le travail artistique de Marinette Cueco (née en 1934 à Argentat, Corrèze, vit et travaille à Paris) témoigne de son rapport intime à la nature et fait appel à des pratiques qui, dans l’imaginaire collectif, sont traditionnellement attribuées aux femmes, à l'image du tricot, de la broderie ou du crochet, révélant un savoir-faire caché. « J’ai travaillé tous ces outils et ces pratiques textiles féminines[1] » indique-t-elle en précisant : « Je les ai apprises en famille », au moment de l’enfance. L’exposition « L’ordre naturel des choses » proposée par le Lieu d’art et d’action contemporaine (LAAC) à Dunkerque embrasse pour la première fois cinquante ans de création plastique dont la présentation thématique permet d’appréhender une production qui fonctionne par séries concomitantes développées sur plusieurs années, les sujets réapparaissant immanquablement dans son travail, de façon cyclique. Le processus de création de Marinette Cueco est un processus de pensée. Loin d’être exhaustive, l’exposition s’apparente plus à une traversée dans son travail, une promenade sensorielle faisant entrer l’organique dans l’institution. Chacune des quatre salles de l’exposition présente un thème particulier introduit par une citation de l’artiste, et active une intervention au sol à partir d’éléments existants – l’une d’elles est toutefois inédite. Celles-ci viennent compléter ce qui est montré aux murs. Marinette Cueco pratique un art du recyclable, un art du réemploi.

Illustration 2
Vue de l'exposition consacrée à Marinette Cueco au LAAC de Dunkerque -Salle 1 © Cathy Christiaen, Ville de Dunkerque

La nature comme un trait de crayon

Le premier espace réunit, sous l’intitulé « Tresses et entrelacs », les œuvres les plus anciennes de la manifestation. Dans les années soixante, Marinette Cueco pratique l'art de la tapisserie, participant au mouvement de réhabilitation de cette technique. L’artiste commence à tresser des herbes à la fin des années soixante-dix, décidant d’abandonner l’usage des fibres animales et végétales transformées au profit de fibres végétales brutes, en l'occurence ici plusieurs variétés de joncs, carex, lianes. C’est en se mettant à tresser des graminées dans son jardin qu’elle envisage de soumettre le végétal aux techniques textiles : tressage donc, mais aussi nouage, tissage, tricotage, crochetage, entrelacement. L’artiste commence à dresser un répertoire des herbes existantes, attribuant à chacune la technique lui correspondant le mieux, inventant de nouveaux gestes afin d'adapter sa pratique à la fragilité extrême des végétaux.

Illustration 3
Marinette Cueco, Arbre de Judas - Cercis Siliquastrum, herbier Voyageurs immobiles, 2006, arbre de Judée, 45 x 90 cm, © ADAGP, 2021, Photo © David Cueco

Les herbiers, inventaires botaniques, sont l’occasion chez elle d’allier méthode scientifique et création artistique en leur concédant un caractère indéniablement poétique. La raison se fait onirique afin de mieux révéler la sublime beauté d’une terre matricielle. « La précision scientifique pratiquée par Marinette n’est ni pédagogique, ni un simple étalage de connaissances acquises au cours des années passées en Corrèze ; elle témoigne avant tout du respect ressenti par l’artiste envers les plantes. Jamais portraits anonymes, ces sont des éléments végétaux individualisés, traités selon leur « personnalité » propre[2] ». Elle n’établit aucune hiérarchie entre le vivant. Depuis 1990, chaque exposition est prétexte à la publication d'un nouvel herbier. Ses « herbailles »,prenant le sous-titre de « petits herbiers de circonstance » comptent aujourd’hui dix volumes. Fidèle à sa conception de rendre visible les choses invisibles, le dernier opus édité à l’occasion de la rétrospective dunkerquoise, « Bris et débris », donne à voir un herbier réalisé avec des rebus de cuisine (épluchures…). Ses installations ne s’inscrivent toutefois pas dans le « Land art ». L’artiste a très tôt abandonné ses expérimentations in situ pour les poursuivre à l'intérieur des espaces d'expositions sous la forme d'installations composées de matières végétales pour la plupart monochromes. La nature est une source inépuisable de matière première nourrissant un travail artistique qui, après avoir été tressé, dessine de délicats réseaux linéaires dans des tableaux de petits ou moyens formats destinés à être relevés sur le mur.

Illustration 4
Marinette Cueco, Entrelacs - Juncus Eparsus & Juncus Capitatus, 2019, jonc épars, jonc capité et bris d’ardoise, 90 cm de diamètre © ADAGP, 2021.

« Le matériau que votre corps et votre main aiment »

Dans la citation qui ouvre la première salle de l'exposition, Marinette Cueco conseille à qui veut s'inventer une écriture avec un matériau vivant, de trouver celui qui plait le plus à son corps et ses mains. « Quant au savoir-faire, c’est le plus facile à apprendre et, de surcroît, il faut souvent l’oublier ! ». Maitriser l'aspect technique pour mieux s'en délivrer et surtout suivre son intuition. D'emblée, l'artiste formule une invitation qui sonne comme une promesse de ferveur artistique.

Elle interroge dans plusieurs séries la relation entre minéral et végétal et les contraires qu’elle sous-tend, entre solide et dense, durable et fragile. Dans les années 2000, elle réalise « Écritures », une série d’ardoises qu’elle perce afin d’y tresser des fibres végétales. L’ardoise rappelle la série des ciels peints par son mari, le peintre et écrivain Henri Cueco (1929-2017), sur ce matériau récupéré après avoir été violemment exposé aux intempéries. « Après une tempête, les ardoises qui recouvraient le toit de la grange au Pouget en Corrèze sont tombés. Cueco m'a dit : je vais peindre chaque jour le ciel changeant sur ces ardoises, (ce que) précisément elles regardaient quand elles étaient tournées vers le ciel[4] » se souvient l’artiste, poursuivant : « De mon côté, j'ai inventé ces écritures mêlant intimement végétaux et minéraux ».

Illustration 5
Vue de l'exposition consacrée à Marinette Cueco au LAAC de Dunkerque -Salle 4 - 2021 © Cathy Christiaen, Ville de Dunkerque

La démarche de Marinette Cueco s’incarne dans la manière qu’elle a de déposer la nature devant nos yeux. A travers un travail de retrait, ascétique, elle construit une œuvre qui s'articule autour d’un système de recueil du vivant. Elle prélève dans son environnement naturel les matières premières de ses créations futures, faisant de la cueillette le socle même de son travail et ainsi « retrouver par des gestes archaïques ou rudimentaires des rites inscrits dans la nature[5] ». Son art singulier à la poésie discrète réaffirme, surtout lorsque son caractère est éphémère, la précarité de toute forme de vie, en révélant la grande fragilité, la sublime beauté. La récente prise de conscience du changement climatique semble enfin donner une visibilité à l’œuvre jusque-là trop confidentielle d’une artiste en avance sur son temps, incitant à reconsidérer la nature non seulement en la regardant autrement mais également, par déplacement, métamorphose, en l'éprouvant. L'art de Marinette Cueco ne se situe pas dans la représentation mais dans la mise en forme de la traduction la plus juste d'une émotion ressentie. « Lorsque je tresse l'herbe en prairie, on peut penser qu'il s'agit métaphoriquement d'une chevelure. En fait il s'agit d'une relation plus simple et plus charnelle, une sorte de sympathie profonde qui lie tous les règnes du vivant, végétal, minéral, animal, humain, et à laquelle j'ai le sentiment d'être étroitement associée. Lorsque j'étais enfant, je me couchais dans le pré et j'écoutais mes sensations, je ne les ai pas perdues » rappelle-t-elle. C'est bien de cela qu'il s'agit dans l'oeuvre de Marinette Cueco, rendre palpable la sensation du souffle du vent, de l'odeur de l'herbe fraiche.

Illustration 6
Vue de l'exposition consacrée à Marinette Cueco au LAAC de Dunkerque -Salle 2 © Cathy Christiaen, Ville de Dunkerque

[1] Mainette Cueco, conversation filmée avec Evelyne Artaud, 2021.

[2] Itzhak Goldberg, Evelyne Artaud, Marinette Cueco, Marinette Cueco, Paris, Editions du Cercle d’art, collection Le pré, 1998.

[3] Cité dans le livret de l’exposition, Marinette Cueco. L’ordre naturel des choses, au LAAC, Dunkerque, du 16 octobre 2021 au 5 mars 2022.

[4] Ibid.

[5] Ibid.

Illustration 7
Marinette Cueco, Magnolia Macrophylla, herbier Herbes de la Saint-Jean, 2007, magnolia à grandes feuilles, 45 x 90 cm, © ADAGP, 2021, Photo © David Cueco

« L'ordre naturel des choses », exposition monographique de Marinette Cueco - Commissariat d'Evelyne Artaud, critique d'art, et Elena Groud, commissaire d'exposition, en étroite collaboration avec l'artiste.

Du 16 octobre 2021 au 6 mars 2022.

LAAC, Lieu d'Art et d'Action Contemporaine
302, avenue des Bordées
59 140 Dunkerque

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