guillaume lasserre (avatar)

guillaume lasserre

Travailleur du texte

Abonné·e de Mediapart

573 Billets

0 Édition

Billet de blog 6 novembre 2024

guillaume lasserre (avatar)

guillaume lasserre

Travailleur du texte

Abonné·e de Mediapart

Lola Gonzàlez, une traversée

Retour sur « Efxaristo poli ». L’exposition monographique de Lola Gonzàlez qui vient de s’achever au Frac Poitou-Charentes à Angoulême proposait une traversée dans le travail de l’artiste forgé, au cours des treize dernières années, autour des notions de collectif et d’engagement, interrogeant nos peurs communes et nos rêves d'avenir.

guillaume lasserre (avatar)

guillaume lasserre

Travailleur du texte

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Tonnerres, video HD, 2022 © Lola Gonzàlez

Curieusement Lola Gonzàlez, bien que née à Angoulême en 1988, n’avait encore jamais exposée dans la région Nouvelle-Aquitaine. Le Frac Poitou-Charentes répare cette anomalie en consacrant à l’artiste-vidéaste une exposition personnelle qui vient de s’achever et qui était organisée autour d’une sélection de onze vidéos tournées depuis une quinzaine d’années, de « La chute » (2011) à « Mouradia » (2023), en passant par « Les anges » (2017), œuvre filmique acquise par l’institution charentaise, et d’une série de photographies réalisées avec son compagnon, le documentariste Malak Maatoug, entre 2018 et 2024. Intitulée « Efxaristo poli »,merci beaucoup en grec –, la manifestation rend hommage au territoire qui l’a vue grandir, ainsi qu’aux personnes qui ont jalonné au fil des années son parcours de création, l’ont soutenu et nourri. Car l’artiste développe un travail qui interroge les notions de collectif, d’engagement et d’amitié. C’est « un prétexte pour ne pas être seule[1] » confiait-elle en 2022 à Roxana Azimi dans le journal Le Monde. Sans doute est-ce la raison pour laquelle elle a bâti sa pratique artistique autour de moments de partage, qu’ils soient spontanés ou mis en scène. L’improvisation fait partie intégrante de sa façon de travailler qui expérimente des situations se plaçant toujours dans l’interstice qui sépare la réalité de la fiction, cette zone grise en suspens.

Illustration 2
Lola Gonzàlez, Exfaristo poli. Vues d’exposition © Frac Poitou-Charentes. Photo Arthur Pequin

Lorsqu’elle est diplômée de l’École nationale supérieure des Beaux-arts de Lyon en 2012, Lola Gonzàlez abandonne alors irrémédiablement la sculpture au profit du cinéma, « un medium qui me hantait depuis longtemps[2] » confie-t-elle. Dans ses films, elle mixe les codes et les procédures du septième art et de la télévision, utilisant la trame narrative comme un moyen de déployer un contexte propice à l’expérimentation et à l’action collective dans le temps du tournage. Depuis le début, elle travaille avec des acteurs qui sont ses amis ou des membres de sa famille, ce qui explique la profonde complicité qui les unit. Il s’agit, pour ce groupe constitué, de former des communautés mises en scène dans divers environnements domestiques ou extérieurs, jouant les drames et les joies de la vie, retournant la plupart du temps dans des endroits isolés, en marge de la société, pour lutter mais peut-être aussi pour se perdre. Ce mouvement ambigu de résistance et d’abandon, de repli ou d’action, face au reste du monde est omniprésent dans son travail. Dans ses films, on ne sait jamais si les protagonistes sont gagnants ou pas, ni même s’ils sont dangereux ou pas.

Illustration 3
Lola Gonzàlez, Exfaristo poli. Vues d’exposition © Frac Poitou-Charentes. Photo Arthur Pequin

Ses vidéos explorent le langage, qu’il soit corporel – tous communiquent avec leur corps et expérimentent diverses façons d’être ensemble – ou verbal. Sur la mezzanine à l’étage, un ensemble de six films courts tournés entre 2019 et 2020 offre un dispositif de présentation –  moniteurs posés à même le sol, coussins et écoute au casque – correspondant aux moments intimes qui nous sont donnés à voir. Mis à part « Huit », dans lequel huit personnages improvisent un débat pour savoir quel serait le meilleur moyen d’agir ensemble, les films ne sont formés que des duos, l’un philosophant sur la nécessité de vivre l’instant présent – « Nous n'avons qu’une seule vie » rappelle un vieil homme à une jeune femme –, l’autre inventant un hymne à la puissance des images –  « il y a encore mille images à inventer » chante Anouk à Telma –, dans un troisième, une femme demande à son compagnon de quitter l’île où ils vivent – « on doit partir et rejoindre les autres »demande l’homme à la femme –, quand dans le suivant (ou le précédant), une jeune femme demande à sa sœur de ne plus manipuler les images, tandis dans un autre, la même jeune femme improvise des pleurs factices. Surtout, tous dialoguent dans une langue inventée, née de leur improvisation. Les sous-titres, rédigés et transcrits après le tournage, participent de ce flottement entre réalité et fiction en instillant le doute quant à la véracité de ce que l’on regarde et de ce que l’on entend. Ils tentent de légitimer un langage inconnu – en l’occurrence inventé – en en proposant une traduction en français.

Illustration 4
Les Anges, video HD, 2017 © Lola Gonzàlez - Collection Frac Poitou-Charentes

Dans « Les Anges » (2017), deux hommes traversent la ville, se déplaçant mains au sol, zonant et dormant au fil des paysages qu’ils traversent. Ils semblent revenus à une sorte de condition animale. Ils sont bientôt rejoints par un troisième homme qui leur apprendra à marcher et les conduira vers d’autres personnes constituant un groupe. Ainsi, ils passent de l’animalité à l’humanité, de l’errance à la société. « Les Anges » concentrent les principaux points d’intérêt qui caractérisent le travail de Lola Gonzàlez, qu’il s’agisse du souci du collectif, de l’influence de l’environnement sur le comportement humain ou de la qualité plastique de l’image. Chacun de ses films invente le suivant. « Now my hands are bleeding and my knees are raw » (2017), tourné la même année lors d’une résidence à Athènes, suit dans une atmosphère fantomatique, trois groupes de danseurs positionnés à différents endroits de la ville qui vont se retrouver en s’appelant par un chant.

Illustration 5
Lola Gonzàlez, Exfaristo poli. Vues d’exposition © Frac Poitou-Charentes. Photo Arthur Pequin

Tourné dans la Vallée de la Roya dévastée après le passage de la tempête Alex, « Tonnerres » (2022) suit, à l’aide d’un drone, un groupe d’individus semblant faire corps avec la nature, se déplaçant de façon étrange, visiblement désorientés, à la manière de possédés, de fous, de survivants. Le choc de la catastrophe semble avoir généré des spasmes, des troubles auditifs. Torrents de boue, pont coupé, maisons éventrées désormais au bord de la falaise, ils traversent ce qu’il reste du paysage après la tempête. Dans leur marche vers la ville, ils sont rejoints par d’autres dans une danse qui se fait transe et dont on ne sait si elle veut faire cesser ou appeler l’orage. Lorsque monte la musique, le ciel s’assombrit. Carcasses de voitures, arbres arrachés, torrents, la danse se fait inquiétante en même temps qu’elle apparait libératoire pour les corps. « Lors d’une résidence de création, je recherche tout d'abord les décors qui accueilleront mon histoire. Je tente de voir ce qui marque, ou a marqué, un lieu[3] » explique Lola Gonzàlez avant de préciser : « Le paysage est central dans mon travail. Ami ou ennemi, il nous donne beaucoup d’informations sur notre époque, notre rapport à l’autre et attire toujours mes personnages avec lesquels il semble jouer[4] ».

Illustration 6
Lola Gonzàlez, Exfaristo poli. Vues d’exposition © Frac Poitou-Charentes. Photo Arthur Pequin

Désormais installée à Lisle, village du Périgord vert en Dordogne, Lola Gonzàlez y a racheté avec son compagnon Malak Maatoug l’ancien cinéma et la salle de bal des années cinquante. Le couple les a transformés en lieu de vie à vocation culturelle et sociale, répondant au nom de « La maison dans laquelle ». Un ensemble de photographies argentiques en noir et blanc, réalisé par elle et lui depuis 2018, vient compléter l’exposition qui est aussi la première assurée par Irene Aristizábal, nommée en février dernier à la direction du Frac Poitou-Charentes. Il se compose à la fois de portraits d’amis et des images de leur quotidien, entre documentation et geste artistique collectif. Les plus grandes images sont des portraits de lieux qui ont construit l’artiste, d’une part la maison de Lisle et, d’autre part, l’aire de jeux créée par ses parents sur le terrain de leur maison à Dignac en Charente. A Lisle, l’artiste a tourné « Mouradia » (2023), son film le plus récent, qui suit des individus réfugiés dans une curieuse demeure, se tenant à l’abri d’un monde exsangue. Film choral, « Mouradia » ne déroge pas à la règle, étant improvisé en langue inventée. Le film fait référence à « L’ambassade » (1973) de Chris Marker, court-métrage qui prend place dans une ambassade anonyme que l’on situe, même si le film ne le dit pas, à Santiago du Chili deux jours après un coup d'État du 11 septembre 1973 qui porta Pinochet au pouvoir. Le film super 8 montre la vie quotidienne des réfugiés au sein de cette ambassade. Par sa qualité de film amateur, il rend palpable une certaine réalité de la peur. Fidèle à sa façon de créer entre documentaire et fiction, Marker décrit la vie en transit dans cet espace souverain protégé du monde extérieur. Le parallèle avec les réfugiés de « Mouradia », qui prennent soin de rester eux aussi éloignés du monde, n’annonce rien de bon. Le danger immédiat qui hante la plupart des films de Lola Gonzàlez fait partie intégrante de l’apprentissage de la vie et du groupe. Qu’ils soient climatiques, sociaux, politiques ou tout à la fois, les ciels et les paysages que compose l’artiste se montrent menaçant, à l’image de notre époque incertaine. Entre gestes du quotidien et réflexions sur le sens de la vie, Lola Gonzàlez filme l’intime dans des films choraux, questionnant le commun d’une manière poétique que domine une inquiétante étrangeté.

Illustration 7
Lola Gonzàlez, Exfaristo poli. Vues d’exposition © Frac Poitou-Charentes. Photo Arthur Pequin

[1] Roxana Azimi, « Lola Gonzàlez, vidéaste : « Mon travail est un prétexte pour ne pas être seule », Le Monde, 31 janvier 2022, https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2022/01/31/lola-gonzalez-videaste-mon-travail-est-un-pretexte-pour-ne-pas-etre-seule_6111741_4500055.html

[2] « Être ici suffira », interview de Lola Gonzàlez, propos recueillis par Alain Berland, Mouvement, n°92, nov - dec 2017.

[3] Lola Gonzàlez, Entretien avec Éric Mangion, feuille de salle de l’exposition Ce que nous avons perdu dans le feu, Villa Arson, Nice, du 6 février au 17 avril 2022.

[4] Ibid.

Illustration 8
Tonnerres, video HD, 2022 © Lola Gonzàlez

« LOLA GONZÀLEZ. Efxaristo poli  » -  Commissariat : Irene Aristizábal, directrice du Frac Poitou-Charentes. 

Jusqu'au 3 novembre 2024. Du mercredi au dimanche, de 14h à 18h.

Frac Poitou-Charentes
63, boulevard Besson Bey
16 000 Angoulême

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.