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Billet de blog 15 févr. 2018

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Se sentir vivant avec Tiphanie Bovay-Klameth

Avec «D'autres», Tiphanie Bovay-Klameth signe un premier spectacle en forme de performance où seule en scène, elle incarne les membres d'un village vaudois. D'une tépidité toute romande, elle manie un humour à contre temps qui désamorce les peines et magnifie les joies d'une vie quotidienne en forme d'autofiction où le point de départ, le deuil d'un père se meut en hommage à la communauté.

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Illustration 1
Tiphanie Bovay-Klameth, "D'autres", Centre culturel suisse, Paris © Julien Mudry

Le Centre culturel suisse à Paris accueille pour quelques jours "D'autres", l'étonnant premier spectacle de Tiphanie Bovay-Klameth qui en assure la conception, l'écriture et la performance. Celle qui se définit comme « une Suisse de classe moyenne, une protestante vaudoise et tiède qui a développé un bon sens terrien à deux pas de la ville » incarne aussi toutes les femmes (et deux hommes) de Borbigny, bourgade typiquement vaudoise dont elle signe le portrait dans une époustouflante performance qui la conduit à interpréter tour à tour une vingtaine de personnages ayant un rôle social dans la petite communauté affairée à l'organisation de la soirée du club de gym local. Borbigny pourtant n'est pas tout à fait une commune imaginaire. Elle présente en effet de fortes ressemblances avec Bussigny, petite ville de 8 000 habitants dans le canton de Vaud où cette fille d'instituteur a grandi. «Borbigny, c’est le monde d’où je viens, une communauté imaginée entre souvenirs et caricature. J’ai une passion pour l’ordinaire, pour les accidents anodins du quotidien qui se révèlent aussi exemplaires que de vrais drames théâtraux, pour les petites gens qui mettent une énergie folle dans des choses en apparence vaines.» Et c'est bien cette énergie folle pour l'insignifiant combinée à un sens méticuleux de l'observation et à un délicieux accent vaudois qui rend si réussi ce portrait loufoque de cette localité périurbaine, commune de l'entre-deux.

Une sublime tiédeur

 La comédienne revendique une passion pour les choses de l'ordinaire, pour les petits riens de tous les jours. Il n'y a pas de grands destins ici, pas d'amours fous contrariés, de luttes de pouvoir ou de chutes d'empires, mais des gens simples dont les petites manies reflètent nos angoisses existentielles. Ainsi, on rentre dans le spectacle en suivant cette femme qui, accompagnée de ses proches venus se recueillir sur les cendres d'un père, peine à se remémorer l'endroit où elles ont été dispersées. Sur le plateau dépourvu de décor, sans costume, Tiphanie Bovay-Klameth campe tous les personnages. Sa progression dans l'espace est conditionnée aux obstacles invisibles : il faut passer les foins, longer la rivière – le défunt aimait tant la pêche que ses cendres, comme celles de son père, ne pouvaient trouver leur place que près d'un cours d'eau poissonneux. Plus loin on assiste à l'organisation réjouissante, puis aux répétitions inénarrables, d'un spectacle mélangeant danse, gymnastique et GRS, apogée de la grande soirée orchestrée par le club de gym de Borbigny, que toute la ville semble attendre. « J’ai grandi à Bussigny où j’ai fait les pupillettes. J’ai côtoyé les cours de gym-dames et j’ai vu ces moments effervescents où ces femmes se cousent un costume et, le temps d’un soir, se sentent stars. Cet élan artistique et collaboratif me bouleverse. » déclarait-elle au journal Le Temps le 5 février dernier. La comédienne infuse sa petite musique, à la fois drôle et tendre, rappelant parfois la poésie de Zouc dont l'univers si particulier fut pour l'enfant de dix ans qu'elle était une véritable révélation et dont elle se réclame encore aujourd'hui. 

Paris, Tiphanie Bovay-Klameth connait bien. Elle y a disputé en 2015 la demi-finale de la coupe du monde d'improvisation. Diplômée de La Manufacture, la Haute Ecole romande de théâtre en 2009, elle rejoint alors la troupe des Deschiens de Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff pendant deux ans et demi où elle peaufine son apprentissage de la scène. « J’adore imiter, scruter les gens pour capter leurs petites manies qui en disent souvent plus que n’importe quel discours. » Cette expérience lui fait prendre conscience de l'intérêt que peut susciter sa personnalité et son univers. Avec son physique rond, expressif, son tempérament angoissé, sa démarche un peu gauche, elle connait sa puissance comique. « J’y peux rien: dès que j’arrive sur scène, je fais rire malgré moi. »  Elle semble tirer profit de cette clairvoyance pour transformer ces complexes en atouts et en tirer sa force de jeu. Elle s'installe à Lausanne à son retour en Suisse où elle joue dans plusieurs spectacles, collabore à plusieurs projets, avant de créer "D'autres" qui lui permet de déployer toute la puissance de son jeu caméléon.

Autoportrait d'une anxieuse sous Temesta

Ce récit que l'on devinait très proche de Tiphanie Bovay-Klameth se fait autobiographique lorsque, peu avant la fin, elle interprète les réactions de ses proches quand ils découvrent le spectacle pour la première fois. Oscillant entre surprise, dénis et encouragements, ils sont tous croqués par la comédienne à qui aucun travers ne semble échapper. Ce qui se dégage pourtant de cette scène est une immense tendresse pour les siens. Les éléments du récit prennent alors une autre dimension lorsque nous assistons à la cérémonie de funérailles, même si elle ne concède rien à la satire nous apprenant au détour d'un discours que le défunt est libre maintenant de rejoindre depuis l'autre côté les rivières d'Alaska, lui qui en a toujours rêvé de son vivant mais n'a jamais pu s'y prendre à cause d'une peur phobique de l'avion. La cérémonie se conclut par l'une des chorégraphies les plus singulières, les plus drôles, les plus touchantes aussi, jamais esquissée sur la chanson "Entrer dans la lumière" de Patricia Kaas où, en nous faisant rire, la comédienne finit par nous bouleverser. Pourtant, lorsqu'en tournée nationale, elle sillonne les routes helvétiques durant une bonne partie de l'année 2017, son spectacle dérange. Sans doute parce qu'en incarnant des gens ordinaires issus de sa famille, de son entourage et de la communauté locale, elle compose, sans cynisme mais avec un redoutable sens de l'observation, un portrait salutairement outrancier du village romand, démontrant que les Suisses sont aussi névrosés que les Français, les rendant profondément sympathiques et terriblement humains. 

De ce solo aux accents de tragicomédie vaudoise, Tiphanie Bovay-Klameth réussit quelque chose de rare en donnant à voir un spectacle à la fois populaire et exigeant. Comme sa grand-mère réalisant les costumes du spectacle à venir à l'aide de sa machine à coudre, elle tisse subtilement entre elles ces vies qu'elle interprète, en proposant ainsi différents niveaux de lecture qui répondent aussi bien aux orientations du théâtre contemporain qu'à l'émotion du plus grand nombre. Et si les personnages accusent une évidente forme de satire, celle-ci n'a d'égale que l'immense affection que la comédienne porte à chacun d’entre eux. Car la comédienne appartient viscéralement à cet entre-deux. Et de la mort d'un père à l'hommage incarné aux membres de la communauté, c'est finalement un autoportrait de la poésie ordinaire que dessine devant nous Tiphanie Bovay-Klameth.

Les citations de Tiphanie Bovay-Klameth sont extraites de l’entretien que la comédienne a accordé à La Tribune de Genève le 24 février 2017 sauf mention contraire.

Tiphanie Bovay-Klameth - D'AUTRES
Centre culturel suisse, du 13 au 15 février 2018 à 20h
32-38 rue des Francs-Bourgeois 75 003 Paris - +33 (0)1 42 71 44 50

Théâtre de poche 2, rue Saint-Louis 35 630 - Hédé-Bazouges, 16 mars 2018 à 20h30

Théâtre Saint-Gervais CH-1201 Genève, du 20 au 24 mars 2018 (Mardi, jeudi, samedi 20h30 ∕ mercredi, vendredi 19h)

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