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Installé dans les anciens locaux du Théâtre La Loge, dans le 11ème arrondissement de Paris, le Théâtre La Flèche et ses quarante-neuf places propose une programmation axée sur le théâtre contemporain et la musique. Ça tombe bien, Louise Belmas y est actuellement à l’affiche avec « I. R. (Impulse response) », un premier seul-en-scène très musical ! La jauge, de prime abord modeste, se révèle idéale dans la proximité qu’elle offre avec le public pour un spectacle en adresse directe. De confidences en confidences, Louise Belmas se met à nu, la salle au format de poche renforçant un peu plus ce sentiment d’intimité partagée. Emmitouflé dans un manteau dont on apprend vite qu’il s’agit du costume de la fin du spectacle, elle a froid et le fait savoir. Après avoir interrogé quelques spectateurs sur leur ressenti climatique, elle promet un spectacle de théâtre, « sans doute le plus personnel de mes spectacles » dit-elle, précisant : « J’ai tout donné. Ce spectacle c'est toute ma vie ». Elle avale, à intervalles réguliers de plus en plus resserrés, des petites pilules dont elle assure qu’elles ne sont (presque) qu’aux plantes, prévenant qu’il y a tout de même pas mal de choses qui ne vont pas se passer comme prévu et qu’il ne faudra pas être déçu. Elle précise aussi que la durée du spectacle est approximative, et donne les consignes de sécurité, enjoignant notamment les spectateurs à être vigilants quant à la hauteur variable des marches qui mènent à l’unique issue de secours. L’IR du titre est une notion de physique acoustique, l’empreinte sonore d’un lieu, la réserve, l’écho.

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Brûler de la sauge blanche
Avant de commencer le spectacle, elle ne peut s’empêcher d’écouter – et nous avec – le (long) message que lui a laissé sa mère sur son répondeur. Aujourd’hui, c’est son anniversaire et pour l’occasion, sa mère lui a offert une série de diapositives. Le spectacle s’oriente désormais vers une soirée diapo dont la projection sur le mur du fond devenu écran, réceptacle d’une imagerie intime, commence par le début, c’est-à-dire pour Louise Belmas, la Bretagne. Les images défilent, la vue depuis la fenêtre de sa chambre d’enfant, son beau-père, sa grand-mère, son frère et elle, cigarette à la main à l’intérieur d’un bar, « le témoignage d'une époque » commente-t-elle… Toutes ont pour point commun d’être surexposées, ratées. La série se termine sur « l'une des rares photos du père de ma mère, mon grand-père, donc, prise à son arrivée en France. Par la mer, justement. Clandestinement » précise-t-elle, enroulé dans la toile du chapiteau du cirque algérien Amar, débarquant à Marseille, là où il rencontrera bientôt sa grand-mère.

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Un peu plus loin, un portrait du célèbre chanteur marocain Bouchaib Al Bidaoui, miné par les jeux d’argent et dont le grand-père était le sosie, à qui il ne déplaisait pas de se faire passer pour lui, pour jouer au casino et non pas au violon. Il n’était pas violoniste comme lui. « Moi non plus d'ailleurs. J'étais violoniste, mais c'est pas comme le vélo. Ça se saurait » dit Louise Belmas. Dans la salle, le rire se fait alors plus tendre, s’emplit d’une forme de spleen. Au deuxième message de sa mère, l’invitant à se rendre au Maroc à sa place pour régler un souci de dette en héritage, expliquer qu’elle n’est pas liée familialement à ce chanteur endetté, le spectacle bascule. Louise Belmas embarque alors les spectateurs dans un voyage à la destination incertaine, assurément inconnue. Le stand-up subventionné se meut en concert. Elle va désormais se mettre à parler depuis la chanson. À la télévision, une émission spéciale fête les soixante ans de la populaire Eurovision. Lorsque vient le tour de l’Estonie, une sensation bizarre de déjà-vu l’envahit. « Ça lui rappelle un truc d’il y a vraiment, vraiment longtemps. Ça fait un flashback dans sa vie d’avant » dit-elle à la troisième personne, rattrapée par la peur du souvenir inconscient des leçons de violon en reconnaissant la partition musicale du compositeur estonien Heino Tobias étudiée enfant.

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« c’est aux cicatrices qu'il laisse que l'on reconnaît un souvenir »
« C’est l'histoire d’une petite fille qui devait devenir violoniste et qui, à 8 ans, découvre qu'elle a raté sa vie ». Autrice, compositrice, metteuse en scène, comédienne mais aussi musicienne, formée à la MAO (Musique Assistée par Ordinateur) au CRR d’Aubervilliers, Louise Belmas interroge sa mémoire : De quoi est-elle faite ? Que sait-elle? Qu’a-t-elle préféré oublier ? Dans ce monologue très réussi, elle croit fermement au hasard,« point de départ commun à toutes nos existences[1] ». Commencer par un début que l’on n’a pas choisi nous rapproche. Si nous sommes faits de déterminismes sociaux, il est bien compliqué néanmoins de savoir qui nous sommes. « S'il m'est impossible de répondre de manière exhaustive à la question qui suis-je ?, je peux toujours me demander qui je ne suis pas » précise-t-elle. En trouvant un soir un jeu de diapositives par hasard et en le visionnant, Louise Belmas s’est inventée une vie, ou plutôt des vies. Ainsi naissent les fictions. À la fin du spectacle, ces mêmes diapositives sont projetées à nouveau. Désormais, elles ne sont plus en contre-jour. D’autres personnes apparaissent, qui ne sont pas les membres de sa famille. Elles racontent une autre histoire. Cet exercice est très troublant. En inventant des récits, la comédienne trouve la parade à l’indétermination de son identité. Après tout, il y a autant de vérités que de points de vue. Pas mal de choses ne vont pas se passer comme prévu, avait-elle prévenu. « Je suis faite des histoires que je me raconte. Elles changent, se renouvellent, et moi aussi. Ainsi s'écrit ma fluidité[2] ». Assurément, Louise Belmas n’a pas fini de nous raconter des histoires.

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[1] Louise Belmas dans sa note d’intention.
[2] Ibid.
I.R. (Impulse response) - TEXTE & JEU Louise Belmas. MISE EN SCÈNE Louise Belmas, assistée d'Antoine Formica. COLLABORATION ARTISTIQUE Joël Maillard. LUMIÈRES Ivan San Miguel. MUSIQUES Louise Belmas & Julie Roué. REMERCIEMENTS Anaïs Allais Benbouali, Karima El Kharraze, Béatrice Houplain. AVEC LE SOUTIEN DU CENTQUATRE-PARIS, Compagnie SNAUT, Compagnie La Grange aux Belles, MC93, Théâtre de l'Echangeur, Théâtre de la Bastille. Spectacle vu le 29 février 2024 au Théâtre La Flèche, Paris.
Théâtre La Flèche Paris, du 11 janvier au 14 mars 2024.

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