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Situation aberrante aujourd'hui en France. Alors qu’en raison de la progression très rapide de l’épidémie de Coronavirus (Covid-19), le Président de la République Emmanuel Macron a annoncé la fermeture des écoles et universités et l'interdiction de tout regroupement de plus de mille personnes jeudi 12 mars, que le lendemain, Edouard Philippe les limitait à cent, fermant de ce fait les théâtres, les musées, les centres d'art de tout le pays, avec pour effet immédiat de plonger l'ensemble du monde de la culture dans une inquiétude inédite[1], qu'hier enfin, le premier ministre a à nouveau annoncé la fermeture de tous les lieux recevant du public qui ne sont pas indispensables au bon fonctionnement du pays : plus de bars, plus de restaurants, plus de cafés, plus de cinémas,... le président et le gouvernement ont fait le choix de maintenir le premier tour des élections municipales. Au total 47, 7 millions de citoyens inscrits sur les listes électorales sont susceptibles de se rendre dans les bureaux de vote ce dimanche. Un acte irrationnel qui serait ridicule s’il n’était pas potentiellement très dangereux.
Une telle contradiction entre les précautions drastiques du confinement que nous nous apprêtons à vivre et ces élections, l'un des plus grands rassemblements de la République, est incompréhensible, d'autant plus que les probabilités pour que le second tour puisse être organisé et maintenu, semblent quasi nulles. De deux choses l'une : soit les mesures prises sont exagérées mais auraient l'avantage d'assigner toute la population française à résidence, contenant ainsi idéalement les irréductibles Gilets Jaunes et asphyxiant toute résistance à une politique en marche vers la liquidation de l’Etat providence, que paradoxalement l’épidémie va sans doute sauver. Lors de son allocution télévisée du 12 mars, le président n'a pas hésité à déclarer avec un aplomb déconcertant : « Ce que relève cette pandémie, c’est qu’il est des biens et services qui doivent être placé en dehors des lois du marché[2] », rendant ainsi hommage au modèle social français qu’il n’a pourtant cessé de mettre à mal[3]. Le dernier sondage en date indique que soixante pour cent de la population souhaite l’abandon de la réforme du système des retraites[4], une opinion inchangée depuis quatre mois. Soit l'exécutif refuse obstinément de repousser une élection très défavorable pour la majorité qui vient clôturer, espère-t-il ainsi, une période de tension sociétale extrême, probablement la plus radicale de la Vème République. Une simple comparaison entre la courbe de progression du nombre de personnes infectées par le Covid-19 en France, et celle en Italie, montre que celles-ci sont similaires, avec un décalage d'une bonne semaine - le relevé de progression des infections en Allemagne est identique à celui de la France. Autrement dit, d'ici dix jours, la France et l'Allemagne serons plus ou moins dans la même situation que l'Italie aujourd'hui, ce qui n'est pas très rassurant.
Dans les deux cas, le Président de la République et le gouvernement apparaissent une nouvelle fois totalement irresponsables face à une potentielle contamination de masse alors que depuis hier le stade 3 a été déclenché sur l'ensemble du territoire. Il est grand temps que les conséquences des actes qu’engagent par leur vote les élus de la République puissent être jugées et condamnées. A la fin de son livre « Qui a tué mon père », Edouard Louis nomme très justement les vrais coupables - au premier rang desquels on trouve Nicolas Sarkozy ou encore Martin Hirsch - de la déchéance prématurée du corps de son père et à travers lui, celle des milliers d'autres issus des classes populaires, armée silencieuse d'ouvriers, mains-d'œuvre, travailleurs précaires, chômeurs,... dont les conditions déjà difficiles se durcissent un peu plus à chaque nouveau gouvernement. La fabrique de la honte mise en place par les dirigeants et distillée par les médias, invente les stigmates qui font des personnes les plus défavorisées, des « assistées », des « fainéantes », des « parasites », rendant ainsi possible, voire légitime, la diminution toujours plus draconienne des aides publiques en matière sociale. Désormais, il apparait indécent, c’est à dire impossible, de s’abriter derrière cette formule inventée par la gauche, « responsable mais pas coupable ». Comment pourrait-il en être autrement? Pour reprendre le précepte de résistance théorisé récemment par Virginie Despentes, à partir du geste d’Adèle Haenel quittant ostensiblement la dernière cérémonie des Césars après que la récompense du meilleur réalisateur eu été attribuée à Roman Polanski, histoire de rappeler aux femmes à qui appartient le pouvoir. La comédienne, ainsi que l’humoriste Florence Foresti qui présentait la soirée, ont du faire face au cours de la semaine suivante, à la manifestation archaïque de déchaînements misogynes et haineux du patriarcat, démonstration exemplaire de harcèlement et de domination. Car depuis la cérémonie, « On se lève et on se casse. C’est terminé. On se lève. On se casse. On gueule. On vous emmerde[5] ». En introduction de son texte, Virginie Despentes précise : « Que ça soit à l’Assemblée nationale ou dans la culture, vous, les puissants, vous exigez le respect entier et constant. Ça vaut pour le viol, les exactions de votre police, les césars, votre réforme des retraites. En prime, il vous faut le silence de victimes. » Dorénavant, il y aura le bruit et la fureur. Aujourd'hui, j'ai refusé d'aller voter.
[1] Rappelons ici la précarité dans laquelle vit la grande majorité des acteurs de la culture, au titre desquels les artistes auteurs de la création plastique, communément rangés sous le vocable fourre-tout d'art contemporain, déjà proches de la misère, ont eu, pour ceux cotisants à l’Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (AGESSA), la désagréable surprise de découvrir que cet organisme a tout simplement oublié de prélever les cotisations retraite depuis sa création il y a plus de quarante ans. Comme le précise le Rapport Racine, remis au ministre de la culture le 22 janvier dernier : “plus de 190 000 [artistes-auteurs] n’ont jamais été prélevés de cotisations à l’assurance vieillesse depuis (…) 1975, alors que le contraire leur était indiqué”. Bruno Racine, L’auteur et l’acte de création, janvier 2020. https://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Rapports/L-auteur-et-l-acte-de-creation consulté le 14 mars 2020.
[2] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/03/12/adresse-aux-francais Consulté le 15 mars 2020.
[3] Lire à ce propos « Il est temps de s'apercevoir que la santé doit échapper à la loi du marché ! », entretien avec le Professeur André Grimaldi, par Laura Dulieu et Eric Chaverou, France Culture, 13 mars 2020. https://www.franceculture.fr/societe/professeur-andre-grimaldi-il-est-temps-de-sapercevoir-que-la-sante-doit-echapper-a-la-loi-du-marche Consulté le 14 mars 2020.
[4] Sondage réalisé les 2 et 3 mars 2020 par YouGov pour le HuffPost, https://www.huffingtonpost.fr/entry/lopposition-a-la-reforme-des-retraites-monte-61-des-francais-veulent-son-retrait_fr_5e2969bac5b6d6767fcf613a Consulté le 15 mars 2020.
[5] Virginie Despentes, Césars : «Désormais on se lève et on se barre», Libération, 1er mars 2020. https://www.liberation.fr/debats/2020/03/01/cesars-desormais-on-se-leve-et-on-se-barre_1780212 Consulté le 1er mars 2020.