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Billet de blog 17 août 2025

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Soy Niño. Portrait d’un jeune homme en feu

Avec « Soy Niño » (2022), la réalisatrice et plasticienne Lorena Zilleruelo signe un documentaire à l’intimité rare, portrait au long cours d’une adolescence transgenre au Chili, celui de son cousin Bastian qu’elle suit de ses douze à dix-huit ans, une immersion intime et politique au cœur d’une transition de genre dans un pays encore marqué par un héritage patriarcal et conservateur.

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Affiche, « Soy Niño » (2022) de Lorena Zilleruelo © Outplay Films

Le documentaire « Soy Niño » (2022) de Lorena Zilleruelo explore les thèmes identitaires à travers le parcours de Bastian, un adolescent transgenre chilien suivi de ses douze à dix-huit ans. D’emblée, le film se distingue par sa proximité avec son sujet. Lorena Zilleruelo, en tant que cousine de Bastian, adopte une position à la fois privilégiée et délicate, celle d’une observatrice impliquée, capable de capter les silences, les regards et les transformations intimes de son protagoniste. Dans ses moments les plus introspectifs, cette approche évoque les documentaires familiaux de la réalisatrice américaine Ross McElwee ou les « auto-documentaires » d’Agnès Varda, mais ici le regard est résolument ancré dans une quête d’émancipation. Bastian, jeune Chilien trans, traverse les tumultes de l’adolescence tout en affrontant les défis d’une transition de genre dans un pays marqué par un héritage patriarcal et conservateur. Loin de se contenter de filmer Bastian, Lorena Zilleruelo documente un Chili en mutation, dans lequel la nouvelle génération, incarnée par ce jeune homme doux et déterminé, pousse les murs d’une société en quête d’inclusivité. Le film s’ouvre sur des scènes de la vie quotidienne, des anniversaires familiaux aux discussions autour d’une table, qui, par leur banalité apparente, contrastent avec la profondeur des bouleversements identitaires qu’elles abritent. Cette tension entre l’ordinaire et l’extraordinaire est au cœur du travail de l’artiste-réalisatrice, qui refuse tout sensationnalisme, préférant une mise en scène sobre qui laisse la place aux gestes, aux hésitations et aux éclats de joie. Cette retenue formelle est une force politique. En évitant les pièges du pathos, le film donne à voir la transition de Bastian non comme un spectacle, mais comme un processus organique fait de progrès et d’obstacles.

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« Soy Niño » (2022) de Lorena Zilleruelo © Outplay Films

Sur le plan esthétique, « Soy Niño » s’appuie sur une photographie naturaliste, signée par Lorena Zilleruelo elle-même, qui capte la lumière crue du Chili avec une tendresse presque tactile. Les paysages urbains, souvent filmés en plans larges, servent de toile de fond à la quête intérieure de Bastian, rappelant que son parcours s’inscrit dans un contexte social plus vaste. Le montage, coréalisé avec Nicolas Bancilhon et Léa Chatauret, est d’une fluidité remarquable, alternant avec aisance entre les années, sans jamais perdre le fil émotionnel. Cette structure temporelle, qui couvre six années, fait de « Soy Niño » un document rare.  Peu de films ont en effet ainsi suivi sur une telle durée la construction identitaire d’une personne trans à l’adolescence. La capacité du film à tisser un dialogue entre l’individuel et le collectif est tout simplement remarquable. Bastian n’est pas seulement un adolescent en quête de lui-même. Il se fait le miroir d’une famille en évolution qui se mue en espace de négociation et de redéfinition lorsque le père passe du désarroi à l’engagement militant pour les droits LGBT ; espace qui s’étend à la société chilienne lorsque celle-ci tente de se réinventer à travers de nouvelles lois. Lorena Zilleruelo filme les discussions, parfois maladroites, entre Bastian et ses parents, révélant les efforts d’une famille pour dépasser les normes traditionnelles du Chili patriarcal. La réalisatrice excelle à montrer la façon dont l’affirmation de Bastian agit comme un catalyseur pour ceux qui l’entourent, transformant un choix personnel en un enjeu collectif. Ce faisant, elle interroge aussi sa propre identité, celle d’une artiste chilienne expatriée en France, dont le regard oscille entre l’intime et l’universel. Sa voix off traduit une réflexivité sur son rôle, à la fois témoin, alliée et médiatrice. Ce regard introspectif enrichit le thème de l’identité en montrant que l’accompagnement d’une transition dépasse la simple acceptation pour devenir une remise en question collective des rôles et des attentes. Et, si le film, dans son souci d’empathie, élude parfois les aspérités les plus conflictuelles du sujet, comme les résistances culturelles ou les fractures internes à la communauté trans, il s’agit d’un choix assumé qui fait de « Soy Niño » un plaidoyer pour l’amour inconditionnel et l’acceptation.

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« Soy Niño » (2022) de Lorena Zilleruelo © Outplay Films

Au cœur du film réside la question de l’identité de genre, incarnée par la transition de Bastian. Le film documente son affirmation progressive en tant que garçon, un processus marqué par des étapes concrètes – changements hormonaux, démarches administratives – et des moments d’introspection. Lorena Zilleruelo capte avec attention les nuances de cette construction identitaire, évitant de réduire Bastian à sa transidentité. Les scènes dans lesquelles il exprime ses doutes, ses joies ou son impatience face aux obstacles – comme les lenteurs bureaucratiques chiliennes – soulignent que l’identité de genre n’est pas un état figé, mais un cheminement dynamique, influencé par le corps, les émotions et le regard des autres. Le film met également en lumière la performativité du genre. Bastian, par ses choix vestimentaires, son langage corporel et ses interactions, négocie constamment sa place dans un monde binaire. Une scène particulièrement éloquente montre Bastian adolescent discutant avec ses amis, son aisance contrastant avec les tensions familiales des années précédentes. Cette évolution reflète une appropriation de son identité, mais aussi les limites imposées par une société encore peu inclusive, comme en témoignent les allusions aux discriminations subies.

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« Soy Niño » (2022) de Lorena Zilleruelo © Outplay Films

« Soy Niño » inscrit le parcours de Bastian dans un Chili en pleine mutation, où les questions d’identité de genre gagnent en visibilité grâce aux mouvements sociaux et aux réformes légales, comme la loi sur l’identité de genre de 2018. Lorena Zilleruelo ne tombe cependant pas dans un optimisme réducteur. Les obstacles économiques – le coût des traitements hormonaux – et culturels – les préjugés persistants – rappellent que l’affirmation identitaire est conditionnée par le contexte social. Bastian, en effet, ne peut être pleinement lui-même que dans des espaces où il est soutenu, comme auprès de ses amis ou dans des environnements militants. Ce thème est traité avec subtilité à travers les arrière-plans urbains et les interactions sociales. Les plans de Santiago, à la fois vibrants et austères, symbolisent un espace de possibles, mais aussi de résistance. Les discussions entre Bastian et ses pairs, souvent filmées en plans serrés, contrastent avec les scènes plus formelles comme les démarches administratives, soulignant la tension entre l’expression individuelle et les normes institutionnelles. Ce contraste fait écho à une réflexion sur l’identité comme un dialogue constant entre soi et le collectif.

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« Soy Niño » (2022) de Lorena Zilleruelo © Outplay Films

Moins explicite mais tout aussi pertinent, le thème de l’identité culturelle est incarné par la position de Lorena Zilleruelo. En tant que Chilienne expatriée en France, elle porte un regard à la fois intime et distancié sur son pays d’origine. Cette dualité se ressent dans sa manière de filmer le Chili, avec une tendresse nostalgique, mais aussi une acuité critique envers ses rigidités sociales. Bastian, quant à lui, représente une nouvelle génération chilienne, plus fluide dans ses identités et moins attachée aux conservatismes traditionnels. Ce contraste intergénérationnel et diasporique enrichit le film, suggérant que l’identité est aussi une négociation entre héritage culturel et aspirations contemporaines. Enfin, « Soy Niño » révèle l’intersectionnalité des identités. Bastian n’est pas seulement trans, il est aussi adolescent, Chilien, issu d’une famille modeste, et membre d’une société en transition. Ces dimensions s’entrecroisent, influençant son parcours. Par exemple, les contraintes économiques limitent son accès aux soins, tandis que son adolescence amplifie ses questionnements identitaires. En évitant de hiérarchiser ces aspects, la réalisatrice offre une vision nuancée de l’identité, où chaque facette dialogue avec les autres.

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« Soy Niño » (2022) de Lorena Zilleruelo © Outplay Films

Exploration riche et nuancée des thèmes identitaires, « Soy Niño » est un film d’une grande humanité, porté par la relation unique entre Lorena Zilleruelo et Bastian. Il articule l’intime et le politique avec une rare sensibilité, abordant l’identité de genre comme un processus dynamique, imbriqué dans les sphères familiale, sociale et culturelle. Le film s’impose ainsi comme un repère dans le cinéma documentaire contemporain, non seulement pour sa représentation des parcours trans, mais aussi pour sa manière de questionner, avec finesse, les normes de genre et les dynamiques familiales. L’œuvre murmure plus qu’elle ne crie mais sa portée résonne longtemps après le générique de fin. Dans un monde où les récits trans sont encore trop souvent stéréotypés ou marginalisés, Lorena Zilleruelo offre un regard d’une justesse rare, ancré dans l’amour et la compréhension. « Soy Niño » invite à penser l’identité non comme une essence fixe, mais comme un espace de dialogue, de lutte et de transformation.

Bande annonce officielle, « Soy Niño » (2022) de Lorena Zilleruelo © Outplay Films

« SOY NIÑO » -  Réalisation : Lorena Zilleruelo. Avec : David Bastian Matthew Jorquera Tapia, Scénario : Lorena Zilleruelo. Image : Lorena Zilleruelo. Montage : Nicolas Bancilhon, Lorena Zilleruelo, Léa Chatauret, Sandra Ach. Musique : Guillermo Dumay. Production : Capicua Films, Minimum Moderne. Distribution : outplay. Chili, France, 2022, 62', Documentaire, VOSTF.

[DVD] 19,99 € TTC Expédié sous 24h/48h Suppléments : Bonus (65 min). Entretien avec la réalisatrice (45 min). Scènes coupées (20 min). Livret du film. Bande-annonce.

LOCATION 2,99 € TTC sur le site Univerciné.

« Soy Niño » sera projeté lundi 8 septembre 2025 à 19h à l'auditorium Charles Brabant, La Scam, en présente de la réalisatrice. 

Réservation obligatoire par mail à l'adresse suivante : soynino.lefilm@gmail.com 

La Scam
5, avenue Vélasquez
75 008 Paris

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