guillaume lasserre (avatar)

guillaume lasserre

Travailleur du texte

Abonné·e de Mediapart

583 Billets

0 Édition

Billet de blog 18 juin 2023

guillaume lasserre (avatar)

guillaume lasserre

Travailleur du texte

Abonné·e de Mediapart

À la Quadriennale de Prague, l'expérience de la rareté

Pour sa quinzième édition, la Quadriennale de Prague met à l’honneur le thème de la rareté. Évènement international majeur axé sur la scénographie comme art à part entière, elle prend ses quartiers à la Galerie nationale ainsi qu’aux Halles de Prague où, durant dix jours, les pavillons des pays et des régions ainsi que ceux des écoles s’affrontent à coup d'imagination.

guillaume lasserre (avatar)

guillaume lasserre

Travailleur du texte

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Pavillon de Chypre © Melita Couta

Fondée en 1967 en tant que festival international axé sur la scénographie et l’architecture théâtrale, la Quadriennale de Prague s’est au fil des éditions imposée comme l’évènement international les plus important dans ces domaines spécifiques, devenant une plateforme unique de mise en relation entre artistes, institutions, professionnels, chercheurs, mais aussi étudiants et grand public. Tous les quatre ans, la capitale tchèque accueille pendant dix jours une centaine d’œuvres d’art venues de tous continents, dispatchées dans les principales sections d’expositions de la manifestation : scénographie, costumes, architecture de théâtre et écoles de scénographie. La Quadriennale[1] est principalement structurée autour de deux expositions dans lesquelles entrent en compétition des pavillons, ceux des pays et des régions d’une part, et ceux des écoles d’autre part. Ils sont agrémentés de master classes, d’ateliers éducatifs, de conférences, ou encore de performances in situ.

Illustration 2
Vue de la 15ème Quadriennale de Prague, site de Pražská tržnice, 2023 © Adam Mrácek

Pour cette quinzième édition, la manifestation a pour thème « la rareté ». Elle se déroule comme à son habitude à la Galerie nationale de Prague tandis que l’Académie des arts de la scène accueille les master classes et les ateliers. Pour la première fois, les Halles de Prague, anciens abattoirs de la ville en plein cœur du quartier de Holešovice, se font le décor des expositions en lieu et place du Parc des expositions praguois dont le bâtiment principal, le palais de l’industrie, un édifice Art Nouveau fondé en 1891, est cette année en travaux. L’idée séduisante de mêler le grand public en train de faire ses courses dans le marché sans doute le plus populaire de la ville aux expositions a semble-t-il tenu ses promesses. Et dans les deux sens, les festivaliers internationaux ne se sont pas privés de découvrir la gastronomie locale entre deux visites de pavillons. La présence de la France à la Quadriennale est coordonnée pour cette édition par ARTCENA[2], le centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre. Passé les discours d’ouverture lénifiants – l’ambiance était bien plus aux remerciements conventionnels et à la déférence qu’à la rébellion cannoise –, on peut enfin découvrir les pavillons, à commencer par le pavillon français représenté par Théo Mercier et Céline Peychet, poursuivant ici le travail autour du sable entamé en 2021 à Avignon et Zurich avec l’exposition vivante « Outremonde, the sleeping chapter », paysage de sable mouvant et mutant, avant d’être présenté à la Conciergerie à Paris l’année suivante.

Illustration 3
Céline Peychet et Théo Mercier, Gut City Punch © Ondřej Přibyl

Intitulée « GUT CITY PUNCH », que l’on peut traduire par « Coup de poing dans le ventre de la ville », l’installation, entièrement sculptée dans le sable, évoque l’urbanisation massive autant que les entrailles de nos sols. Une trentaine de tonnes de sable de provenance locale – prélevé le long de la Vitava, à quelques kilomètres, où il reviendra à l’issue de l’exposition, inscrivant la production dans un modèle de circuit court – a été nécessaire à l’édification de la représentation de la ville en perpétuel chantier par les sculpteurs de sable Enguerrand David, Jiří Kašpar et Jeroen Advocaat. Une bande sonore a été composée par Théo Mercier et le musicien Joseph Schiano di Lombo, spécifiquement pour l’œuvre dont la vision impressionne, « un geste maximaliste au niveau de son impact visuel et un geste minimaliste au niveau de son impact écologique[3] » précisent les artistes dans leur note d’intention, qui nous invitent à nous questionner sur le regard que l’on porte sur notre environnement, « sur l'évanescence de la matière autant que du temps[4] ». Vivarium ou diorama de la catastrophe, l’installation offre le spectacle d’une ville éventrée par l’urbanisation, un glissement de terrain d’où émergent des canalisations souterraines, entrailles post-industrielles d’une terre exploitée sans fin dont témoigne l’extrême fragilité du sable. Les votants ne s’y tromperont pas, attribuant au pavillon français le prix du jury de cette quinzième édition.

Illustration 4
La Neuvième école © Saymon Stasiak

Parmi les autres pavillons récompensés, Chypre reçoit le Golden Triga en interrogeant notre compréhension des sites de conflit et de traumatisme par leur matérialité en tant que porteurs de souvenirs et notre connexion avec eux par le biais de méthodologies scénographiques et finalement imaginer leur avenir possible. Le « meilleur concept de l’exposition Pays et régions » revient à la République thèque, pays hôte, pour « Limbo Hardware », reflet inquiétant d'un monde atomisé composé de multiples vérités parallèles et réalités alternatives, relativisant non seulement le spectre limité de notre pensée rationnelle, mais également notre perception de l'espace et de la distance physique. Le projet remporte également le Prix Volkswagen de l’exposition la plus durable.

Illustration 5
Pavillon de la Neuvième école © ARTCENA

Du côté des pavillons écoles, la « Neuvième école », sorte d’école idéale composée d’un étudiant représentant l’un des huit[5] établissements supérieurs partenaires formant à la scénographie, a bénéficié d’un an et de plusieurs résidences pour imaginer et concevoir le pavillon français sous le patronage de la designeuse Nina Chalot et du metteur en scène Cyril Teste pour qui « c’est un collectif organique plutôt qu’organisé, un véritable corps collectif extrêmement sensible. Les étudiantes sont allées cueillir leurs intuitions à la source. Aujourd’hui, tout le savoir est à notre disposition sur le net, mais savons-nous seulement le cueillir ? Or, pour des scénographes, le medium de cette attention, c’est, à l’évidence l’image et la scénographie des images. Ainsi se sont déployées peu à peu la thématique de l’eau et celle de la pierre ». De cette fiction minérale installée en extérieur naît une fontaine urbaine dont l’eau, plutôt que de s’en tenir à un circuit prédéfini, transpire à travers les pores de la pierre, infuse, ne jaillit jamais. « We do not own the water » explore la rareté des ressources naturelles, ici de l’eau, en même temps qu’une recherche d’hospitalité radicale. Dans ce pavillon cube ouvert de tous les côtés, incarnation métaphorique d’une source perdue, les matières poreuses et transpirantes sont portées à l’attention des visiteurs par la rencontre, l’invitation à déambuler à la découverte d’une eau que l’on ne domestique pas.

Illustration 6
Pavillon de la Neuvième école © ARTCENA

Parmi les pavillons écoles, à noter le radeau de la Belgique, une salle de spectacle d’urgence répondant à la fermeture des théâtres pendant la crise du covid mais aussi à la politique culturelle de ces dernières années, ou encore le pavillon philippin au titre hospitalier « Donnez ce que vous pouvez, prenez ce dont vous avez besoin ». La meilleure exposition d’école revient aux « Puzzles » du Liban, une installation qui présente Beyrouth à travers un assemblage d'objets et de mécanismes simples, invitant les visiteurs à interagir avec l'espace et à découvrir sa réalité chaotique à travers les histoires de certains de ses habitants.

Illustration 7
Pavillon belge © The Raft students

Au-delà des artistes sélectionnés pour les pavillons, plusieurs artistes français sont présents dans les huit autres sections de la programmation, traitant toutes de la scénographie sous un angle différent. Ainsi, dans la section « espace de représentation » à la Galerie nationale, Raymond Sarti présente son projet « Facing the world » qui répond à une commande du ministère de la Culture et du Centre Dramatique National de l’Océan Indien en proposant un théâtre mobile contenu dans quatre containers, boite à outil modulable répondant aux besoins des résidences artistiques sur les territoires. Le Mobil Téat devrait voir le jour en fin d’année.

Illustration 8
Raymond Sarti, Mobil Téat, Facing the World, 15ème Quadriennale de Prague, 2023 © Photo : Guillaume Lasserre

Rendez-vous incontournable de la scénographie et de l’espace théâtral, la Quadriennale de Prague est l’opportunité de rencontrer des cultures et des artistes de théâtre du monde entier, du moins de plus d’une centaine de pays. Il y a quatre ans, après seize années d’absence, la France remportait le prix du meilleur pavillon dans la section « Pays et Régions » grâce à Philippe Quesne et son installation « Microcosm ». Dans le discours d’ouverture, Théo Mercier rappelait que la rareté « c’est peut-être aussi ça, réussir des collaborations ». Les coopérations artistiques sont précieuses et la quadriennale apparait comme étant le lieu propice à la rencontre et à l’échange, à la naissance des idées, des projets. En phase avec son temps, cette quinzième édition interroge les enjeux écologique et esthétique de la scénographie contemporaine. Raymond Sarti invite à « voir un plateau de théâtre comme un paysage ». C’est bien ce que vient confirmer cette Quadriennale de Prague, percevoir les plateaux des théâtres comme autant de jardins précieux à cultiver, la rareté d’une nature vivante à protéger.

Illustration 9
Céline Peychet et Théo Mercier, Gut City Punch © Ondřej Přibyl

[1] Organisée par le ministère de la Culture de la République tchèque et produite par Art and Theater Institute.

[2] Avec le soutien du ministère de la Culture et de l’Institut français ainsi que de l’Institut français de Prague.

[3] Note d'intention de Théo Mercier et Céline Peychet, 9 janvier 2023, https://www.artcena.fr/pavillons-francais-quadriennale-de-prague/pavillon-pays-region/note-d-intention

[4] Ibid.

[5] École nationale supérieure d’architecture de Nantes – Ensa, Nantes ; École nationale supérieure des Arts Décoratifs – EnsAD, Paris ; École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre – ENSATT, Lyon ; École nationale supérieure d’architecture Paris La Villette, Paris ; École nationale supérieure d’architecture Paris-Malaquais, Paris ; Haute école des arts du Rhin – HEAR, Mulhouse & Strasbourg ; École du Théâtre national de Strasbourg – TNS, Strasbourg. L’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 n’ayant pas envoyé de représentant pour cette cession, la Neuvième école est composée de sept étudiants.

Illustration 10
Neuvième école © Eva Kořínková

15ème QUADRIENNALE DE PRAGUE - (Quadrennial of Performance Design and Space)

Du 8 au 18 juin 2023. 

Prague Quadriennal
C/O Art and Theater Institute Celetna 17
CZ - 110 00 PRAGUE 1

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.