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Sous-titrée « un modeste panorama des surfaces phonographiques contemporaines et quelques ellipses », l’exposition « Des oscillations », présentée actuellement au Centre Tignous d’art contemporain à Montreuil trouve son origine dans les « Revues phonographiques », rencontres de machines et de gestes musicaux sur supports phonographiques initiées par Jérôme Poret à partir de 2019 au Théâtre municipal Berthelot Jean-Guerrin de Montreuil à l’invitation de son directeur, Patrice Caillet, pour le Festival Bizarre. Ces soirées engagent une réflexion autour du support du disque ou plutôt sur la partie « fin de vie » de l’objet. Patrice Caillet propose à Jérôme Poret de prolonger ce questionnement à travers une exposition qui se veut la plus élargie possible, associant au centre d’art le territoire : le théâtre Berthelot, les Instants chavirés, laboratoire des musiques improvisées, expérimentales, bruitistes, et la bibliothèque Robert-Desnos, ainsi que le PhonoMuseum à Paris, pour une quinzaine de rendez-vous éclatés sur ces différents lieux. Tous les artistes exposés sont placés sur le même plan. Il n’y a pas de hiérarchie.

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Des disques qui ne sont plus, des disques qui n’en sont pas
La première salle est dédiée à la question de la réalisation du support : la phonogravure. Elle réunit des artistes processuels, et s’ouvre sur « Études et gestes », série de quatre dessins que Marie Reinert réalise à la mine graphite, matériau très minéral et ancien. Elle concorde avec les périodes de « retour à l’atelier » qui rythment les résidences menées à l’intérieur du monde du travail. Les titres indiquent la durée d’exécution de chaque œuvre, dans ce processus de rendu d’une expérience physique par la trace et le dessin. L’artiste fabrique un compas à sa mesure et trace des cercles, faisant de chaque dessin un monotype qui entre en contradiction avec la notion de reproductibilité du disque. Juste à côté, un ensemble de cinq disques pressés manuellement avec un composé d’ambre surchauffé de l’artiste suisse Sandrine Pelletier qui, durant une dizaine d’année, avait son atelier au Caire. « Procession towards the unkwon » est un projet d’improvisation musicale et d’expérimentation initié et dirigé en Égypte par l’artiste. « Vingt-cinq minutes de paysages sonores et d’incantations à la fois magiques et inquiétantes » gravées sur un disque en ambre – résine de pin – créent des récits du temps. Le paysage est une sorte de vanité, accompagné d’éléments qui sont autant d'indices donnant des fragments de l’histoire.

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Dans la salle suivante, les Discantus, disques en céramique – qui réduisent forcément à la cuisson – que Fabrice Beslot moule à partir d’une terre de sa région de la Drôme, vers Montélimar, laissant échapper un son tellurique mélangé à des chansons populaires sur les nougats, composent un ensemble d’œuvres sonores regroupées sous le titre « Geological sounds ». La consistance périssable que l’artiste s’évertue à donner à ses disques renvoie à la précarité de toute création, indissociable de la condition mortelle des humains. Un Juke Boxe de 1909, prêt du PhonoMuseum, l’une des plus anciennes machines de l’institution, rappelle ce qui est important à l’époque : la chanson et non pas l’interprète. Ce sont les voix qui se mettent au diapason des instruments et non l’inverse. Le premier appareil à enregistrer la voix fut montré au cours de l’exposition universelle de Paris en 1889, cadeau d’Edison à Eiffel. Les machines parlantes d’Edison sont d’abord imaginées en remplacement du secrétariat mais les essais ne sont pas suffisamment concluant. Déçu, Edison abandonne le projet. Ce système sera repris sur les foires par les forains qui vont faire chanter les gens, leur proposant un enregistrement moyennent une somme d’argent.

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Le mur principal de la troisième salle est recouvert du papier-peint « La princesse des disques », œuvre de Jean-Baptiste Bruant & Maria Spangaro exécutée à partir d’une photographie à l’échelle 1 d’un mur qui conservait les traces de 45t, empreintes blanches et circulaires, devenues motifs répétitifs, presque abstraits, après décrochage des disques qui apparaissent sur le mur comme des chansons fantômes errantes. Les « feutrines de phanère », nouvelle série expérimentale de Jérôme Poret, explorent les possibilités de la feutrine qui, habituellement, sert à absorber les vibrations entre le diamant et le disque et permet donc d’isoler le disque. La feutrine est ici augmentée de phalènes (poils) et de poussière récupérée au dos de la machine à graver du studio qui, en tension permanente, engendre un phénomène électrostatique agglomérant des paquets de poussière. L’espace est ici un territoire qui parle de temps, d’emprunts, de traces, et qui se prolonge dans la salle suivante, autour de « Aucun souvenir » de Patrice Caillet, assemblage de sous et sur pochettes de disques suspendus.

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De l’objet support à l’objet symbole
Dans les années soixante et soixante-dix, « Photosonor », la petite boutique de Marcel Chansignaud, photographe et éditeur de disques à petit tirage à Romainville, proposait d’enregistrer sur vinyle tout ce que les gens voulaient. Ses archives, dont est dépositaire Thierry Madiot, composent une sociologie vernaculaire du quartier. Objets publicitaires, tampons, on trouve parfois des sons résiduels ou laissés pour compte, à l’image de Dominique Blais avec une œuvre issue de « Melancholia » initiée en 2008 dans laquelle l’artiste s’attache à rendre perceptible quelque chose qui est à peine audible : les fréquences sonores du tourne-disque démembré et suspendu qui continue néanmoins d’émettre.

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Les sculptures réalisées à partir de fragments de disques vinyles tenus par une corde de piano du musicien, compositeur et plasticien français eRikm, rappellent en creux les gestes de cassure, de fragmentation des disques. Les résidus sont des tests de four, le temps que celui-ci atteigne la bonne température. Les filaments sont dûs à la mise en chauffe du moule en nickel (conducteur de chaleur). La technique d’enregistrement sur disque plat a été mise au point en 1887 par Emile Berliner, savant allemand installé aux États-Unis. En 1947, le disque microsillon (45 tours) remplace le disque sillon standard (78 tours) et devient le principal support de diffusion d'enregistrement sonore commercial pendant la seconde moitié du XXème siècle. Après la Seconde guerre mondiale, le disque est devenu l’élément le plus mondialisé. Il incarne le mouvement perpétuel.

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Au fond de la dernière salle, la machine inventée par Elia David pour nettoyer les disques accuse un côté très artisanal. Les bras de lecture comportent de petits aspirateurs qui retirent la poussière des disques qui sont ensuite remis à leur propriétaire. La proposition de Patrice Caillet et Jérôme Poret a permis de mettre l’accent sur la représentation, la convocation ou l’usage du disque dans l’art et la culture populaire. « Quelle idée d’imaginer qu’il est possible de fixer des sons sur un support, et d’inventer des appareils capables de les restituer ! » s’exclame Jalal Aro, cofondateur du PhotoMuseum de Paris, avant de poursuivre : « Aujourd’hui, quelques passionnés qui exhument ces drôles de machines, pour les rajeunir et rendre la parole à des fantômes tapis dans la cire ». Au cours des rendez-vous publics qui ont jalonné la vie de l’exposition, nombre de ces fantômes, à la faveur de machines parlantes, ont pu s’extraire encore une fois, peut-être la dernière pour certains, de cette cire qui leur donne une voix et qui la reprend inexorablement. Dans l’usure de l’objet disque se reflète notre précarité humaine. Pour clôturer cette aventure, le co-commissaire et artiste Jérôme Poret proposera le 22 juillet prochain de mixer les disques qui furent présentés tout le long de l’exposition, histoire de se retrouver encore une fois entre vivants et fantômes, écouter ces voix à la fois proches et lointaines, familières et inconnues.

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« Des oscillations. Un modeste panorama des surfaces phonographiques contemporaines et quelques ellipses » - Commissariat artistique : Patrice Caillet et Jérôme Poret. Avec Dominique Blais, Jean-Baptiste Bruant & Maria Spangaro, Patrice Caillet, Louise et Marcel Chansigaud, Elia David, Erikm, Fabrikdelabeslot, Sandrine Pelletier, PhonoMuseum, Jérôme Poret, Marie Reinert, Matthieu Saladin.
Jusqu'au 22 juillet 2023. Du mercredi au vendredi de 14h à 18h, le samedi de 14h à 19h, nocturne le jeudi jusqu'à 21h.
Centre Tignous d'art contemporain
116, rue de Paris
93 100 Montreuil

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