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Billet de blog 20 mars 2018

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Andrés Baron, l'art pondéré de détourner les images

A la Cité internationale des arts, la première édition de "Correspondance" permet de découvrir le travail subtil du photographe colombien Andrés Baron dont les troublants clichés ébranlent nos certitudes. Rappelant que la réception des images varie selon son contexte socio-culturel, il nous invite à en réapprendre la lecture.

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Illustration 1
Andrès Baron, "Mirror Travelling" 16mm film, 2min, color. Sound and music: Layland Kirby (The Caretaker) © Andrès Baron

Nouveau rendez-vous de la Cité internationale des arts, "Correspondance#1" donne à voir, à travers trois expositions présentant les travaux de cinq artistes résidents, l'instantané d'une création artistique marquée ou non par les échanges permanents de la centaine d'artistes internationaux accueillis temporairement dans cette tour de Babel du quai de l’Hôtel de ville à Paris. La manifestation donne ainsi à voir la première exposition personnelle en France du photographe colombien Andrés Baron dont le titre  "Mirror travelling" reprend celui du film éponyme qui compose le premier volume d'une trilogie répondant également au même intitulé. Né à Bogota en 1986, diplômé de l'Ecole nationale supérieure des arts décoratifs, Andrés Baron utilise dans son travail, aperçu lors de la dernière édition du Salon de Montrouge, tous les possibles pour révéler les conventions qui régissent notre regard. Ainsi, une photographie ayant une existence propre devient tour à tour accessoire dans un film, objet de décor dans une nature morte ou dans un portrait, l’artiste redéfinissant au passage le statut de l’œuvre d’art qui, d’immuable, devient ici éphémère par sa transformation. Pliée, enveloppée puis dépliée, une autre image est désormais modifiée par les stigmates de ces plis indélébiles. Un diptyque formé de deux clichés de prime abord identiques mais dont le cadrage de l’un est très légèrement décalé par rapport à l’autre, trouble les repères de celui ou celle qui regarde.

L'exposition est surtout l'occasion de mettre l'accent sur le travail filmé de l'artiste colombien puisqu'elle accorde une place centrale à la trilogie Mirror Travelling visible ici pour la première fois dans sa totalité. Débutée en 2017 avec le film éponyme Mirror Travelling, elle se poursuit la même année avec Printed Sunset, avant de s'achever avec Aberration Cromatica (Fibre) qui vient tout juste d'être terminé.  S'il s'est toujours intéressé à l'image en mouvement, Andrés Baron réalise à partir de 2016 ses films à l’aide d’une pellicule cinématographique au format 16 millimètres dont les nombreuses contraintes économique (par son obsolescence programmée) et technique (par le nombre très limité de laboratoires européens pouvant le développer) l’obligent à définir un protocole précis dans lequel la production du film se fait presque entièrement à la caméra. Désormais, il tourne ses films en une seule prise, un film correspondant à une bobine, les éventuels accidents sont assumés et intégrés à l’action. Ce protocole s'applique à la trilogie Mirror Travelling dans laquelle Andrés Baron poursuit ses réflexions sur la réception des images et la lecture normée que nous en faisons.

Illustration 2
Andrès Baron, "Printed Sunset" 16mm film, 6min 09, color Sound and music- Layland Kirby (The Caretaker) © Andrès Baron

Cette recherche se trouve au cœur du corpus que forment les photographies et les films de l’artiste colombien qui, en opérant un infime déplacement, presque imperceptible, vient troubler l’interprétation du spectateur. En soulignant les codes qui sous-tendent la normativité des images, il rappelle que celles-ci ne sont que des constructions éminemment subjectives. Andrés Baron met en place un système de correspondance cinéma / arts plastiques dans lequel il compare l’image issue de la vidéo au dessin, les deux méthodes présentant le même caractère immédiat, et celle issue de la pellicule 16 mm à la gravure ou tout autre processus d’impression mécanique, dont les étapes sont plus nombreuses et plus longues. La trilogie cinématographique permet d’évoquer la perception que nous avons des images en la thématisant. Alors que Mirror Travelling propose de générer des émotions à la manière de celles que l’on trouve dans le cinéma traditionnel mais en évacuant toute narration et que Printed Sunset se joue des codes de séductions romantiques hétéronormés, Aberration Cromatica (Fiebre) aborde la couleur comme élément culturel, c’est à dire répondant à des codes et des normes d’utilisation préétablis. L'analyse du film, dernière œuvre à ce jour réalisée par l'artiste, répond à la problématique d’un travail dans lequel la lecture et l'interprétation des images en est l'enjeu fondamental.

Illustration 3
Vue de la projection d'Andrès Baron, "Aberration Cromatica (Fibre)", 16mm film, 2min, color. Sound and music- Layland Kirby (The Caretaker) © Guillaume Lasserre

Aberration Cromatica (Fibre) s’ouvre sur une scène montrant une femme qui imprime sa propre image sur un papier. L’espace qu’elle occupe est dépourvu de tout contexte autre que de ce qui est montré : un fond blanc, une table, une feuille de papier, des morceaux de scotch, un écran de sérigraphie, des serres joints, un pot d’encre noir et rouge. Ce sont ses mains présentes à chaque plan du film que nous suivons, en train d’exécuter les gestes techniques de l’impression. Le portrait produit à l’issue de l’impression présente une couche de couleur rouge formant un motif courbé et répétitif. L’image sérigraphiée est constellée de taches rouges de différentes tailles donnant l’impression que le corps est recouvert du même motif. Dans la seconde partie du film, la protagoniste maquillée de rouge, voit ses vêtements se couvrir de morceaux de tissus reprenant l’exacte motif de l’image imprimée, donnant l’impression d’une contamination des différentes représentations. L’origine du projet a été inspirée à Andrés Baron par deux ouvrages qui l’ont fortement marqués. « Chroma, un livre de couleurs », où Derek Jarman compose un journal autobiographique par la couleur. Ecrit au moment où la maladie l’entraine vers une cécité irréversible (il est séropositif depuis 1986), l’artiste britannique revisite à chaque chapitre une couleur différente dont l’histoire culturelle sert de lecture à des souvenirs personnels, des observations phénoménologiques, historiques ou littéraires. Dans le second ouvrage, « Chromophobia », David Batchelor identifie une suppression généralisée de la couleur dans l’art et la culture occidentale et examine comment et pour quelles raisons les artistes, architectes et auteurs rejettent la couleur dans tout ou partie de leurs créations.

Une certaine méfiance vis-à-vis de la couleur l’a sans doute enfermé dans des contours supposés infranchissables. Andrés Baron cherche précisément à la faire déborder de son cadre prédéfini afin de la rendre libre, incontrôlable. De la même façon, notre lecture des images, en répondant à des codes et des conventions établis se heurte à la même limite intérieure. En se situant volontairement dans des interstices à priori contradictoires, Andrés Baron rapproche les éléments qui s’opposent comme l’image fixe et l’image en mouvement, le nouveau et l’ancien, l’abstraction et la figuration, et donne au spectateur des clefs lui permettant d’en identifier les normes d’interprétation afin qu’il regarde désormais les images.

Andrés Baron, "Miror travelling" (Commissariat artistique : Thierry Fournier) 

Jusqu’au au 6 avril 2018 (dans le cadre de Correspondance#1 )- Du lundi au samedi, de 14h à 19h. 

Galerie de la Cité internationale des arts
18, rue de l'Hôtel de ville
75 004 Paris 

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