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Il y a quelques semaines, Pascal Praud, animateur-chroniqueur sur CNews, s’indignait qu’un dessin d’Olivier Garraud montrant trois CRS, bouclier avec l’inscription « Police » dans une main, matraque dans l’autre, et légendé par l’artiste comme suit : « porter l’uniforme, c’est surtout affirmer son incapacité à s’extraire de la norme », puisse participer à une exposition[1] collective au Phakt, centre culturel Colombier conventionné avec la ville de Rennes. Il en profitait pour étriller au passage l’actuelle maire de la ville, Nathalie Appéré « qui participe à des colloques où l’on peut discuter sur ‘la police tue ?’[2] » avant d’indiquer que l’édile est « proche des gens de la Nupes » – désormais le grand Satan avec à sa tête, un ogre qui mange des enfants. Il précisait que ces gens-là pourrait-on dire « tapent sur les flics plutôt que de les défendre » sans jamais citer les inquiétudes en matière de violence policière exprimées par l’ONU qui a demandé par deux fois (1er mai et 30 juin) à la France de faire respecter « les principes de légalité, de nécessité, de proportionnalité, de non-discrimination, de précaution et de responsabilité[3] ».

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Pascal Praud, qui visiblement ne répondait pas à l’appel au calme lancé par le gouvernement, ouvrait la polémique – et le buzz – à laquelle ne manquerait pas de répondre le très « modéré » syndicat de police Alliance se présentant comme apolitique. Durant toute la séquence, on pouvait lire sur le bandeau de la chaine : « Rennes finance une œuvre critique envers la police ».Visiblement, pour Pascal Praud comme pour CNews, dont le dévot propriétaire Vincent Bolloré n’a jamais caché ses accointances avec l’extrême-droite, il n’y a toujours pas de violences policières en France. La tradition satirique du dessin politique est désormais à vitesse variable.

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Diplômé des beaux-arts de Nantes, Olivier Garraud (né en 1983, vit et travaille dans la région nantaise) s’attèle depuis 2016 à « L’office du dessin », projet au long cours aux enjeux encyclopédique et philosophique, dans lequel il tente de saisir le monde tel qu’il va, assumant pleinement ses intuitions politiques, tout en gardant une certaine distance parfois désenchantée, doublée d’un humour pince-sans-rire bien nécessaire à qui veut traverser cette époque de renversement des valeurs. La série est strictement protocolaire. Elle prend systématiquement forme sur du papier bristol à petits carreaux sous les traits d’un crayon acrylique noir avec l’aide d’une règle et, éventuellement, d’un compas. Ce systématisme entraine une synthèse géométrique appliquée à ses dessins en noir et blanc qui signe l’unité graphique de la série, non sans évoquer une réminiscence de la bande dessinée.

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Entre poétique et politique, l’œuvre d’Olivier Garraud se veut directe, très facilement accessible et fortement incisive, comme si l’urgence du présent l’obligeait à aller à l’essentiel. « Si L’Office du dessin, dans son principe, peut s’apparenter à un jeu de construction dessiné, l’intérêt de ce projet – au-delà des questions esthétiques liées à son protocole – consiste à interroger notre époque et notre société[4] » précise-t-il. « L’artiste façonne son atlas personnel, qui comptabilise aujourd’hui 300 dessins numérotés et assumés en tant qu’Office du dessin[5] ». Le langage joue un rôle essentiel dans l’œuvre d’Olivier Garraud qui ne connait que trop bien la possible instrumentalisation des mots. Ses dessins interrogent les effets des médias sur nos vies en intégrant des messages synthétiques, des légendes en forme de slogans. « Écosystème complexe, traversé d’aphorismes et de saillies graphiques, L’Office du dessin connote nos questionnements existentiels et nos croyances, cartographiant l’esprit du temps, entre empathie et causticité[6] » explique très justement l’historienne et critique d’art Éva Prouteau.

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Et ce n’est pas un hasard si Olivier Garraud choisit, pour illustrer le carton d’invitation à l’exposition orléanaise, le dessin n° 229 de « L’Office du dessin ». Celui-ci représente la statue équestre de Napoléon à La Roche-sur-Yon, à laquelle l’artiste appose les mots « Statue quo » qui donnent leur titre à la manifestation. Le tricorne ne laisse pas de place au doute quant à l’identification de l’empereur-dictateur qui réhabilite l’esclavage après que la Révolution française l’a abrogée. « Bonaparte m’avait semblé être un bon modèle, puisque j’avais réalisé ce dessin à la suite de réflexions liées au meurtre de George Floyd aux États-Unis, et à la question du déboulonnage de certaines statues, en France notamment[7] » explique l’artiste.

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Pour parler racisme et statu quo, il est vrai que les monuments à la gloire des figures historiques – des hommes dans leur très grande majorité –, qui nous sont imposés comme des évidences dans l’espace public, paraissent les candidats idéaux tant la plupart d’entre eux, d’une manière ou d’une autre, ont participé aux violences coloniales. Dans quelques cas[8], il semble évident de questionner leur présence et même de les remplacer au profit de figures de l’émancipation individuelle et collective. Mais rien ne change pour le moment et c’est bien en ce sens qu’il faut comprendre le titre de l’exposition. « Choisir ce titre pour une exposition rétrospective qui rassemble des dessins, réalisés entre 2016 et 2023, me semblait pertinent puisqu’au gré des supermarchés, des SUV, des panneaux de propagande, des yachts, des jets privés, des portraits de milliardaires et d’Emmanuel Macron que j’ai dessinés, j’ai pu constater que la pente où nous sommes actuellement ne nous achemine pas vers le bien commun ni vers une politique écologique conséquente[9] » affirme l’artiste. Cet état similaire des choses, ce statu quo généralisé, semble engendrer une certaine forme de résignation conduisant inexorablement à l’acceptation de la catastrophe à venir, tant écologique que sociale.

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« Et si statu quo il y a, c’est bien parce que la démocratie représentative qui est la nôtre ne permet pas aux citoyen·nes de mettre des sujets progressistes à l’agenda de nos représentants[10] » précise encore Olivier Garraud qui explique que depuis quarante ans, les gouvernements successifs ont fait le choix de l’argent et du pouvoir au détriment de l’humain et de la planète. Accumuler toujours plus de richesse quitte à ne pas savoir qu’en faire pour une classe dominante qui a pris acte de l’effondrement climatique et qui préfère s’y adapter plutôt que de sauver ce qui peut encore l’être, condamnant par là-même des millions d’humains. La criminalisation des luttes ne dit pas autre chose. Depuis quand les écologistes et la gauche sociale sont-ils devenus les ennemis de la République alors que l’extrême droite, forte des quatre-vingt-neuf députés élus à la faveur du jeu dangereux auquel joue Macron, est devenue acceptable ? Depuis quand les femmes voilées sont-elles devenues les ennemies de la République – divisant au passage une nouvelle fois les femmes – tandis que défilent des néonazis cagoulés et silencieux dans les rues de Paris en toute quiétude ? Depuis quand dans les quartiers populaires les mamans, effrayées à l’idée de les perdre, préparent leurs enfants aux contrôles de police potentiellement mortels ? Malgré ce climat délétère, Olivier Garraud tient à rappeler que la société civile, les contre-pouvoirs associatifs et syndicaux s’organisent pourtant et résistent tant bien que mal face à cette déferlante autoritaire. L’apaisement n’est pas à l’ordre du jour.

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[1] Des fourmis dans les jambes, le Phakt, centre culturel Colombier, Rennes, du 10 mars au 17 mai 2023.
[2] « L’heure des pros », CNews, 7 avril 2023, https://www.cnews.fr/emission/2023-04-07/lheure-des-pros-du-07042023-1341788
[3] Cité dans « La France doit se pencher sur les profonds problèmes de racisme dans les forces de l’ordre, selon l’ONU », Le Temps, 30 juin 2023, https://www.letemps.ch/monde/europe/la-france-doit-se-pencher-sur-les-profonds-problemes-de-racisme-dans-les-forces-de-l-ordre-selon-l-onu
[4] Olivier Garraud, Statue quo, texte accompagnant l’exposition au titre éponyme, Le Pays où le ciel est toujours bleu, Orléans, du 22 juin au 23 juillet 2023.
[5] Éva Prouteau, Quadriller le sens de la vie, Centre d’art contemporain de Pontmain, 2018.
[6] Ibid.
[7] Olivier Garraud, op. cit.
[8] Héléna Berkaoui, Rachida El Azzouzi et Fanny Pigeaud, « Gallieni, Bugeaud, Faidherbe… les héros sanguinaires de la discorde », Mediapart, 27 juin 2020, https://www.mediapart.fr/journal/international/270620/gallieni-bugeaud-faidherbe-les-heros-sanguinaires-de-la-discorde
[9] Olivier Garraud, op. cit.
[10] Ibid.

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« STATUE QUO - Olivier Garraud »
Du 22 juin jusqu'au 23 juillet 2023. Du jeudi au dimanche de 15h à 18h30 et sur RDV
Le Pays où le ciel est toujours bleu
5, rue des Grands Champs
45 000 ORLÉANS

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