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Billet de blog 25 avril 2023

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Jean-Michel Alberola, lire la surface du monde

À Bruxelles, Jean-Michel Alberola remonte le temps jusqu'aux années soixante pour revisiter dans un ensemble de toiles, sérigraphies et œuvres graphiques, trois années qu’il considère charnières. L’exposition « 1965 – 1966 – 1967 (DÉTAILS) » à la galerie Templon offre une vision politique et poétique de cette période décisive pour la compréhension du monde actuel.

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Illustration 1
JEAN-MICHEL ALBEROLA 1965- 1966- 1967 (Détails) - 11, 2023 Pastel et fusain sur papier | Pastel and charcoal on paper 101,6 × 65,8 cm — 40 × 25 7/8 in. © Courtesy Templon, Paris —Brussels — New York

Jean-Michel Alberola considère la deuxième moitié des années soixante comme une période fondamentale pour qui veut comprendre l’histoire contemporaine. Pour sa nouvelle exposition personnelle à la galerie Templon à Bruxelles – avec qui il collabore depuis plus de quarante ans –, il explore trois années charnières : 1965, année des premières émeutes raciales de Watts à Los Angeles, 1966 où les émeutes raciales enflamment Chicago, et 1967, année du Summer of love, déroulant un parcours dans lequel se reflètent ses influences et ses engagements personnels. Pour ce faire, il récolte beaucoup de documentation et s’inspire du cinéma, appliquant la technique du montage de film à sa pratique. Pour lui, l’exposition est « une présentation d’archives et de peintures qui accompagnent ces archives ».

Illustration 2
Vue de l'exposition Jean-Michel Alberola. 1965 – 1966 – 1967 (DÉTAILS), Templon Bruxelles, du 11 mars au 29 avril 2023 © Courtesy Templon, Paris —Brussels — New York

L’artiste, né en 1953 à Saïda en Algérie, a vécu son enfance sur un territoire en guerre pour son indépendance. La fin de la peur viendra avec l’exil. Le temps de l’insouciance lui, s’il a existé, a dû être excessivement court. De cette expérience traumatisante, il va développer une appétence quasi obsessionnelle pour l’actualité mondiale, qu’elle soit politique, musicale ou encore cinématographique. Sa production plastique va refléter ces états du monde passés par son filtre personnel.  « Je ne crois pourtant pas à l’inspiration » explique-t-il « mais plutôt à une manière de lire la surface du monde, à en avoir une conscience claire et à pouvoir en faire quelque chose ».

Illustration 3
Vue de l'exposition Jean-Michel Alberola. 1965 – 1966 – 1967 (DÉTAILS), Templon Bruxelles, du 11 mars au 29 avril 2023 © Courtesy Templon, Paris —Brussels — New York

Un ensemble de grandes toiles abstraites aux couleurs vives laissent apparaitre des mots, hommage au cinéma de Jean-Luc Godard ou à la musique de Thelonious Monk. Alberola multiplie les techniques, passant des tableaux aux sérigraphies, des petits fusains et pastels aux peintures murales très graphiques pour composer une œuvre d’art totale, une installation immersive convoquant le passé pour mieux comprendre le présent. Ainsi, les premières émeutes raciales de Watts à Los Angeles en 1965, qu’Alberola représente dans plusieurs peintures en noir et blanc, font-elles écho au mouvement actuel Black Lives Matter. Dans ces tableaux, l’artiste a pris soin d’inscrire en haut et en bas les mots « paupière supérieure » et « paupière inférieure ». Récurant dans l’œuvre d’Alberola, ils ont la même fonction que les mots haut et bas appliqués sur un colis lorsque celui-ci est fragile. Ils montrent des lieux fragilisés par des événements, la vision des habitants.

Illustration 4
Vue de l'exposition Jean-Michel Alberola. 1965 – 1966 – 1967 (DÉTAILS), Templon Bruxelles, du 11 mars au 29 avril 2023 © Courtesy Templon, Paris —Brussels — New York

Le point de départ de l’exposition sert de porte d'entrée dans ces trois années à Alberola : la couverture du Time datée du 8 décembre 1967, reproduction d’une oeuvre de Rauschenberg qui l'avait agrémentée d’un collage au bas de la photographie centrale montrant Sean Connery en James Bond, des images couchées de Warren Beatty et Faye Dunaway. Juste au-dessus, sur le devant de la voiture conduite par l’agent 007, est écrit à la main « Bonnie and Clyde ». La couverture est barrée en haut à gauche par un bandeau sur lequel est écrit : « The new cinema : violence, sex, art », une formule qu’aurait pu revendiquer Jacques Monory. L’image recomposée est accompagnée d’une photographie en noir et blanc montrant au premier plan, le demi-visage d’une femme de profil paré de lunettes de soleil. Derrière elle flotte le drapeau américain qui la sépare des manifestants opposés à la guerre du Vietnam à l’arrière-plan. La légende, collée sur le côté gauche précise que la photo a été prise à Austin, Texas, le 16 juin 1967 où opposants et patriotes se sont retrouvés de chaque côté de la rue de l’auditorium municipal dans lequel le président Johnson participait à une levée de fonds pendant le diner dansant de vendredi soir. Ces deux pièces graphiques font office d’introduction à l’exposition bruxelloise.

Illustration 5
Vue de l'exposition Jean-Michel Alberola. 1965 – 1966 – 1967 (DÉTAILS), Templon Bruxelles, du 11 mars au 29 avril 2023 © Courtesy Templon, Paris —Brussels — New York

La série de douze dessins qui donne son nom à l’exposition « 1965 – 1966 – 1967 (DÉTAILS) », compose une sorte d’archéologie contemporaine. Le mot « archéologie » est d’ailleurs inscrit telle une signature en bas à droite de chacun d’entre eux. Jouant avec les typologies spécifiques des années soixante, avec les couleurs, les soulignages, avec tous ces détails du sous-titre de l’exposition qui rendent ces dessins très graphiques, ils dressent des listes, rappellent la façon dont on prend des notes, constituent des archives agrandies dans des sortes d’affiches. Ainsi, sur l’un peut-on lire : « 1965, Assassinat de Malcolm X Harlem, NYC. 1965, Émeutes de Watts Los Angeles, 1966, Émeutes de Chicago, 1965-66, « Burning gas station » Ed Ruscha, 1967, Émeutes de Détroit ». Sur un autre : « Georges Perec 1965 « Les choses » 1965 Marcel Broodthears « Le triomphe des moules » 1965 Donald Judd « Specific objects » 1966 Cecil Taylor Unic structures 46’27 1967 Martial Raysse Éléments de vocabulaire ». Un autre encore liste les films tournés par Jean-Luc Godard et ceux de Jean-Marie Straub et Danielle Huillet durant ces trois années. Des Beatles à la guerre du Vietnam, de Pasolini à Philippe Garrel, ce sont autant d’informations mises en avant dans ses œuvres pour esquisser un récit sur cette période, un récit qui parle d’aujourd’hui.

Illustration 6
Vue de l'exposition Jean-Michel Alberola. 1965 – 1966 – 1967 (DÉTAILS), Templon Bruxelles, du 11 mars au 29 avril 2023 © Courtesy Templon, Paris —Brussels — New York

Jean-Michel Alberola aime à « raconter des histoires », dire le monde tel qu’il le perçoit, tel qu’il le pense pour mieux nous amener à nous interroger sur les faits sociaux et politiques qui traversent notre quotidien. Les mots « passage du temps », inscrits à même la toile au titre éponyme, semblent ouvrir une porte vers le passé et l’avenir, une faille spatio-temporelle qui revisite l’histoire pour mieux parler de notre présent. Ces années de tous les possibles s’arrêtent à partir de 1968, date à laquelle la contre-culture découvre le marché dans lequel elle va peu à peu se vendre, peu à peu se noyer. Jean-Michel Alberola l’affirme, il n’y a pas de nostalgie ici, « la nostalgie c’est toujours récupéré par le capitalisme » dit-il, envisageant l’exposition comme « une leçon d’histoire pour les jeunes générations (…) contre l’amnésie programmée ». L’artiste, qui fêtera ses soixante-dix ans cette année, n’a pas renoncé à ses convictions. Sur le mur du fond est écrit en lettres de néon bleu : « La question du pouvoir est la seule réponse ».

Illustration 7
Vue de l'exposition Jean-Michel Alberola. 1965 – 1966 – 1967 (DÉTAILS), Templon Bruxelles, du 11 mars au 29 avril 2023 © Courtesy Templon, Paris —Brussels — New York

« Jean-Michel Alberola. « 1965 – 1966 – 1967 (DÉTAILS) » » - Jusqu'au 29 avril 2023. Du mardi au samedi de 11h à 18h. Entrée libre et gratuite.

Galerie Templon
Veydtstraat, 13A
B - 1060 Bruxelles

Illustration 8
Vue de l'exposition Jean-Michel Alberola. 1965 – 1966 – 1967 (DÉTAILS), Templon Bruxelles, du 11 mars au 29 avril 2023 © Courtesy Templon, Paris —Brussels — New York

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