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Billet de blog 25 décembre 2023

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Winshluss, le début de la fin

Retour sur « Something is burning », cinquième exposition personnelle de Winshluss à la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois à Paris, qui vient de s’achever, et dans laquelle il interroge la place qui reste à l’individu dans la société. Une nouvelle série de grands dessins fait face aux planches bien plus sombre de « J’ai tué le soleil » sous le regard inquiétant de Barbapapatomic.

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Illustration 1
Winshluss, Gone with the wind, 2023 Acrylique, gouache, feutre, encre, crayon sur papier 105 x 75 cm © Photo : Aurélien Mole

Un imposant diorama[1] occupe le centre de la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois à Paris, point de départ de « Something is burning », la cinquième exposition personnelle de Winshluss à la galerie en quinze ans. Il est dominé par une figure à la fois familière et étrange, apparaissant anormalement démesurée par rapport à son environnement rural et vallonné qui, vu de près, n’a rien de bucolique. Derrière l’ectoplasme rose fluo aux longs cils mais aussi à triple œil et aux multiples tentacules se devine un Barbapapa[2] en pleine mutation nucléaire – il se tient devant les énormes cheminées encore fumantes de la centrale qu’il dépasse en taille désormais –, un monstre Hulahup, sorte de Godzilla-pieuvre adipeux, à la fois effrayant et ridicule. Faisant face à une armée de plastique dotée de tanks et d’avions hypersoniques, Barbapapatomic se sert de ses tentacules pour détruire un baraquement, s’emparer d’un hélicoptère, d’une jeep… D’emblée, le visiteur est plongé dans le tumulte de la guerre, confronté à la violence du monde, une violence qui traverse toute l’exposition. L’installation, réalisée spécialement pour l’exposition « Winshluss, Un monde merveilleux »présentée en 2013 à la galerie des jouets du musée des Arts Décoratifs à Paris, n’avait plus été présentée depuis. Alors qu’elle réapparait dix ans plus tard, on ne peut pas dire que le monde aille mieux, bien au contraire.

Illustration 2
Vue de l’exposition Something is buring de Winshluss à la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, Paris, du 11 novembre au 22 décembre 2023. © Photo : Aurélien Mole

Dessinateur, sculpteur, plasticien, musicien et réalisateur, Winshluss, de son vrai nom Vincent Paronnaud, est né en 1970 à La Rochelle. Autodidacte touche-à-tout, le néo-bordelais développe un travail extrêmement narratif. Cet auteur de bandes dessinées, parmi lesquelles « Pinocchio » consacré par le public et la critique en 2008, est aussi metteur en scène, coréalisateur avec Marjane Satrapi de « Persepolis », film lauréat du Prix du Jury lors du Festival de Cannes 2007. Adepte d’un humour macabre, il se plait à placer l’insouciance toute relative de la civilisation américaine, et par extension de la civilisation occidentale, face à ses démons. Derrière son style graphique très personnel, au trait acéré, sa cache la noirceur d’un propos souvent corrosif et cynique. Pour lui, l’art ne fait rien d’autre que de poser des questions. Il n’est pas là pour y répondre.

Illustration 3
Winshluss Même pas mort ! 2023 Acrylique, gouache, feutre, encre, crayon sur papier 110 x 75 cm © Photo : Aurélien Mole

Welcome to the Death Club

Quelle place reste-t-il à l’individu dans la société ? Cette question, récurrente dans l’œuvre de Winshluss, est ici posée à travers une nouvelle série de grands dessins dont les couleurs acidulées, des  jaunes, rouges, roses incendiaires, viennent confirmer le titre de l’exposition. Tout ici semble s’embraser. Chez Winshluss, la question ne trouve de réponse que dans un éclat de rire grinçant. Face à l’absurdité du monde, il n’y a pas grand-chose à faire sinon en rire, comme ce crane, cigarette entre les dents, s’esclaffant dans « Même pas mort ! », tandis qu’un papillon en flammes, motif récurrent dans les dessins présentés ici qui  permet à l’auteur d’évoquer la fragilité de la vie, va inévitablement s’écraser. Des orifices du crane qui furent autrefois yeux, narines, bouche, s’échappent des arcs-en-ciel qui le rendent cool, contrairement au Barbapapa de « Gone with the wind », installé sur un tas d’ordure, les bras ballants, un sac en papier sur la tête : le monde pue.

Illustration 4
Winshluss Error 503 2023 Acrylique, gouache, feutre, encre et crayon sur papier 110 x 75 cm © Photo : Aurélien Mole

Dans « Error 503 », un soleil-smiley cœur s’embrase telle une météorite fonçant sur ce qu’il reste de la terre dont la surface est occupée par le squelette d’un animal fantastique traversé par les anguilles multicolores tandis qu’une femme et un homme, dos-à-dos et à bonne distance, communiquent avec leur smartphone respectif, le tout dans un environnement gris de montagnes et de brumes. « Les réseaux c’est l’humanité dans toute sa splendeur dégueulasse[3] » affirme l’artiste. La série de dessins se conjugue au présent, dans un moment apocalyptique. Winshluss a voulu faire une synthèse de ce qui nous traverse actuellement, quelque chose qui est assez sombre malgré des couleurs éclatantes. Dans son œuvre, il traite les sujets qu’il aborde, souvent dramatiques, de façon symbolique. Cela lui permet de les décharger ainsi de toute lourdeur en les rendant ludiques ou désuets. Il fait, tôt ou tard, toujours référence à l’enfance, même dans les pires moments, comme en temps de guerre comme l’illustre ici le diorama central, qui rappelle, avec son armée de soldats en plastique, que les enfants ont de tous temps joué à la guerre.

Illustration 5
Winshluss J’ai tué le soleil (planche 13) 2021 Encre, feutre et aquarelle sur papier 29,7 x 21 cm © Photo : Aurélien Mole

Winshluss poursuit son analyse de l’être humain dans « J’ai tué le soleil[4] », son dernier album paru en 2021, dont une série de planches est exposée ici pour la première fois. Ce récit apocalyptique met en scène Karl tentant de survivre dans un monde où les humains ont été décimés par une terrible pandémie. S’il est amnésique, il n’a pas complètement oublié son projet : tuer l’humanité et, avec elle, le soleil. L’artiste s’empare des codes du récit survivaliste, mêlant l’humour à la violence pour en adoucir le pathos. Sans humour la brutalité du monde serait insupportable. Tout en grisaille, le trait nerveux, la série s’inscrit dans l’exposition comme son négatif, un contrepoint aux couleurs fluos et acidulées des grands dessins et du diorama. « C’est la fin du début autant que le début de la fin[5] » souligne Marc Donnadieu dans le texte qui accompagne l’exposition. Sur la planche n° 35, Karl est vu de dos. Suréquipé et surarmé, il marche à travers champs en direction d’un soleil-smiley, déclarant : « Je suis parti vers le soleil levant. Ça m’a paru être un bon présage ». Le monde brûle mais sa fin n’est pas inéluctable et les arcs-en-ciel qui pârent de leur couleur de nombreux éléments des nouveaux dessins semblent bien décidés à éteindre l’incendie.

Illustration 6
Winshluss J’ai tué le soleil (planche 56) 2021 Encre, feutre et crayon sur papier 29,7 x 21 cm © Courtesy de l'artiste et de la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, Paris

[1] Mode de reconstitution d’une scène en volume.

[2] Personnages piriformes de diverses couleurs qui ont la capacité de changer de forme à volonté, héros d’une série de livres pour enfants, créée le 19 mai 1970 par un couple franco-américain, Annette Tison et Talus Taylor.

[3] Vincent Bernière, « Winshluss, petit prince de l’underground », Les cahiers de la BD, n°15, pp. 28-57, juillet-septembre 2022.

[4] Winshluss, J’ai tué le soleil, Paris, Gallimard jeunesse, 2023, 200 pp.

[5] Marc Donadieu, Winshluss. User Manuel (jusqu’ici tout allait bien), texte accompagnant l’exposition Something is buring de Winshluss à la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, Paris, du 11 novembre au 22 décembre 2023.

Illustration 7
Winshluss J’ai tué le soleil (planche 73) 2021 Encre, feutre et aquarelle sur papier 29,7 x 21 cm © Photo : Aurélien Mole

Winshluss, « Something is burning » - Jusqu’au 22 décembre 2023 - Du lundi au samedi, de 10h30 à 13h et de 14h à 19h30. 

Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois
36, rue de Seine
75 006 Paris 

Illustration 8
Winshluss Et après le feu, un murmure doux et léger... 2023 Acrylique, gouache, feutre, encre et crayon sur papier 110 x 75 cm © Photo : Aurélien Mole

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