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Il y a, dans le geste même de « Lire le ciel. Sous les étoiles de Méditerranée », une promesse à la fois simple et vaste, celle de réapprendre à lever les yeux. Le Mucem la tient sans naïveté ni grandiloquence. L’exposition se donne pour objet la manière dont les sociétés du pourtour méditerranéen ont observé le ciel pour mieux l’étudier, du relevé mésopotamien aux rhéteurs[1] de l’astrologie contemporaine, et transforme ce vaste horizon en un parcours dans lequel l’histoire des idées dialogue avec les objets du quotidien et les œuvres d’art. Car ici, le ciel n’est pas conquis par la science seule. L’ambition est transdisciplinaire. Archéologie, sciences, ethnographie, art contemporain se mêlent pour composer une histoire du sensible. Orchestrée par Juliette Bessette, historienne de l’art à l’Université de Lausanne, et Enguerrand Lascols, conservateur au Mucem, elle révèle les circulations de savoirs entre les rives nord et sud de la Méditerranée. La scénographie transforme les salles du musée marseillais en observatoire intérieur. La circulation entre vitrines d’objets, manuscrits enluminés et installations contemporaines procure une sensation d’aller-retour temporel qui est, au meilleur de l’exposition, vertigineuse. Le parcours est ponctué de pièces d’autorité – on notera la participation exceptionnelle du musée du Louvre – qui servent de points d’aplomb historiques. Ce mélange, entre chef-d’œuvre et objet populaire, fonctionne remarquablement. La confrontation entre un tableau savant et la relique vernaculaire rend visible la circulation des savoirs et des croyances. Les prestigieux tableaux d’astronomes établissent un lien visuel et symbolique entre regard scientifique et quête humaine. À l’autre extrémité, la reconstitution contemporaine du « cabinet » d’un voyant populaire, figure culturelle du XXème siècle, introduit une leçon d’anthropologie. Le ciel n’est pas seulement objet de science, il est aussi champ de désirs, d’appels et de mises en scène de soi. Il se lit autant qu’on le raconte.
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Le parcours débute avec les premiers relevés mésopotamiens du IIIème millénaire avant notre ère. Ces tablettes cunéiformes gravées de constellations dialoguent avec des globes célestes en argent, vestiges d’un temps où le ciel dictait les rythmes de l’agriculture et de la navigation. L’astronomie arabo-musulmane médiévale, avec ses manuscrits précieux prêtés par la Bibliothèque nationale de France, éclaire les révolutions galiléennes du XVIIème siècle, comme dans cette huile sur panneau conservée aux Archives d’État de Sienne, qui capture le débat sur la réforme du calendrier grégorien en 1582, moment où le temps terrestre se plie aux caprices célestes.
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Les œuvres contemporaines, réalisées par seize artistes issus de pays méditerranéens, parmi lesquels Etel Adnan, Abdelkader Benchamma ou Fabienne Verdier, s’insèrent comme autant de lueurs dans la nuit antique. « Le parcours est chronologique mais nous avons fait le choix d’intégrer des œuvres d’artistes contemporains dans toutes les sections. Cela crée des dialogues très intéressants entre les périodes, qui témoignent de la transmission d’un héritage commun en Méditerranée, une histoire de notre lien au ciel déjà vieille de plusieurs millénaires, mais toujours vivante ![2] » expliquent Juliette Bessette et Enguerrand Lascols. La manière dont l’exposition articule micro-objets et grands récits est remarquable. Une tablette cunéiforme peut tenir le même rôle épistémologique qu’un tableau moderne parce que le commissariat les met en miroir et que le texte d’accompagnement invite à lire ces objets comme des dispositifs d’action humaine.
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Benchamma, par exemple, revisite les croyances sur les comètes avec une énergie performative qui défie les frontières entre mythe et science, transformant le ciel en une arme de résistance contre l’oubli dans un grand dessin à l’encre intitulé « Disques de Nuremberg Boucliers et torches dans le ciel » (2024), extrait de la série« Kometenbuch », qui s’inspire du « Livre des comètes », un traité du XVIème siècle dont les riches enluminures représentent différents types de comètes[3]. Depuis plusieurs années, Sara Ouhaddou explore la cohabitation des différentes perspectives sur les étoiles. Pour l’exposition, elle produit un grand dessin préparatoire répondant au beau titre de « À la recherche des étoiles, je suis revenue avec des fleurs » (2025), qui correspond à une carte mentale sous forme de cosmogramme[4]. Ces interventions ne sont pas de simples ajouts décoratifs. Elles interrogent la vulnérabilité de notre regard moderne, pollué par les lumières artificielles, et nous rappellent, comme l’évoque Frédérique Aït-Touati dans le catalogue qui accompagne l’exposition, l’urgence d’un réenchantement environnemental[5].
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Prêt exceptionnel du Louvre, « L’Astronome » de Johannes Vermeer (1668) trône comme un pivot. La figure solitaire, penchée sur son globe, incarne la performativité du savoir. Le geste n’est pas neutre. Il est chargé de poésie et de pouvoir. Le peintre de Delft l’inscrit dans une longue histoire de la science. Sur la table se trouvent un ouvrage traitant des premiers observateurs du ciel durant l’Antiquité et un astrolabe persan, symbole de l’âge d’or de l’astronomie médiévale. Autour de lui, des fresques de Pompéi et des contes oraux du patrimoine ethnographique du Mucem tissent un réseau d’hybridités célestes dans lequel objets archéologiques et œuvres contemporaines de Clément Cogitore avec « Atlas » (2017), image du cosmos tatoué sur un dos, ou Caroline Corbasson, avec « Touch Webb », grand dessin au charbon inspiré du télescope spatial James Webb ou une œuvre extraite de la série « Starlight », conçue comme un herbier de fleurs ayant poussé à la lumière des étoiles, les deux étant emblématiques de son travail plastique nourri de l’imagerie scientifique du ciel, lient l’astrophysique actuelle à l’imaginaire ancestral.
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L’exposition questionne subtilement les frontières entre raison et superstition, sans jugement hâtif. Le cabinet reconstitué du mage Belline[6] (années soixante-soixante-dix), avec ses tarots et ses sphères armillaires, agit comme un miroir post-moderne, révélant comment les savoirs marginaux résistent à l’hégémonie scientifique. Son « homme zodiacal » à l’iconographie issue de l’astrologie médicale ancienne, associe chaque signe du zodiaque à une partie du corps humain, permettant par exemple de préconiser ou non un soin en fonction des positions des astres dans la constellation correspondant à la zone affectée du corps. Influencée par un comité scientifique pluriel, de l’astrophysicien Emmanuel Hugot, chercheur en astronomie et astrophysique au Laboratoire d’astrophysique de Marseille (LAM), à l’historienne Isabel Bonora Andújar, conservatrice du patrimoine au département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du musée du Louvre, l’exposition évite le piège d’une narration linéaire, préférant les allers-retours entre les rives.
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« Lire le ciel. Sous les étoiles de Méditerranée » rappelle que les étoiles ont toujours une signification qui dépasse leur physicalité. Elles sont indexées à des calendriers, des pouvoirs, des imaginaires. L’exposition s’achève avec une réflexion sur notre place dans l’univers, un ciel qui, vu de la Terre, recentre l’humain dans sa fragilité. Explorant la pollution lumineuse, les œuvres de Matthieu Pernot en collaboration avec l’astronome syrien en exil Muhammad Ali Sammuneh, d’Anaïs Tondeur qui examinent l’histoire des mythes et des fictions lunaires, ou de Thierry Cohen avec la série « Villes éteintes » qui met en relation des villes avec des vues de ciels à la même latitude, mais photographiés depuis un lieu préservé de la pollution lumineuse, nous rappellent que le cosmos n’est pas un territoire à conquérir, mais, vu de la terre, un feu qui s’éteint sous nos excès. Le catalogue, riche de six essais inédits et d’entretiens, approfondit cette empathie pour les voix du ciel. L’exposition n’est pas seulement un voyage poétique. Elle est une résistance douce contre l’obscurcissement de nos imaginaires. Au Mucem, sous les étoiles en Méditerranée, elle nous invite à lire le ciel non comme un texte figé, mais comme une peau vivante sur laquelle chaque constellation porte l’empreinte de nos rêves collectifs.
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[1] Maîtres de la rhétorique dans l’Antiquité.
[2] Entretien avec Juliette Bessette et Enguerrand Lascols, commissaires de l’exposition.
[3] Le texte décrit la signification sur Terre de chaque planète selon son apparence spécifique, notamment la forme de sa chevelure, le halo de gaz et de poussières se déployant derrière elle.
[4] Représentation globale de l'univers sous forme de diagramme.
[5] Juliette Bessette et Enguerrand Lascols, « Regarder le ciel, voir la terre. Entretien avec Frédérique Aït-Touati », Lire le ciel. Sous les étoiles de Méditerranée,catalogue de l’exposition éponyme, Mucem, Marseille, du 9 juillet 2025 au 5 janvier 2026, Éditions du Mucem, 2025, pp. 89-94.
[6] En 1977, Marcel Forget (1924–1994), connu sous le nom du mage Belline, donne au musée national des Arts et Traditions populaires, ancêtre du Mucem, l’ensemble du mobilier de son cabinet de voyance et ses archives. Médium important de la scène parisienne, il avait entre autres prédit la mort de Marilyn Monroe. Il se considérait comme un « confesseur des âmes » et un « conseiller des esprits ».
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« LIRE LE CIEL. SOUS LES ÉTOILES EN MÉDITERRANÉE » - Commissariat Juliette Bessette, historienne de l’art à l’Université de Lausanne, et Enguerrand Lascols, conservateur au Mucem.
Jusqu'au 5 janvier 2026 - Tous les jours sauf le mardi, de 10h à 18h.
Mucem
7, promenade Robert Laffont 13 002 Marseille
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