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Billet de blog 27 mars 2025

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Roy Köhnke, le goût du feu

À Ivry-sur-Seine, Roy Köhnke investit la quasi-totalité des salles d’exposition du Crédac de ses œuvres hybrides aux formes sensuelles et organiques, science-fictionnelles. L’artiste questionne la dimension politique de nos désirs dans des sculptures, vidéos, installations, qui sont autant de corps greffés, en mutation, d’où surgissent des contre-récits.

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Illustration 1
Roy Köhnke, Evolv' in(g)to You, Trap series, inox, film diffractant, 140 × 140 × 33 cm, 2024, Hight touch #2, Parade series, inox, aluminium, film diffractant, 200 × 400 cm, 2024, Fleur, feu, No Sad Star Allowed, extrait du carnet personnel de l'artiste, impression Fine art sur papier Murakumo, 33 × 48 cm, 2024 © Adagp, Paris, 2025 / Photo : Marc Domage

Ce jour-là au Crédac, la présence d’un groupe d’étudiants venu découvrir « Fleur, Feu », l’exposition monographique de Roy Köhnke, nous oblige, pour plus de commodité, à commencer la visite à rebours. C’est donc par la fin supposée que l’on débute le parcours, par trois vidéos issues de la série de vidéos 3D immersives intitulée « Magnetic Tendencies » (2024), et l’on se dit que ce n’est peut-être pas si mal quand on apprend que ce projet est à l’origine de l’exposition. Chacune des vidéos donne à voir une forme d’hybridation à travers diverses relations entre les êtres. La série révèle la fascination de l’artiste pour la coévolution d’espèces très différentes, des espèces qui deviennent dépendantes l’une de l’autre. Köhnke explore de nouveaux modèles d’interactions sexuelles, de nouvelles façons de se lier, de se traverser, de se fondre. Pour chacune des vidéos, un ou une artiste est invité à créer une œuvre sonore – respectivement ici Talita Otović, Low Lov et Sabrina Calvo –, intensifiant les possibilités d’interactions entre des corps aux matérialités divergentes.

Illustration 2
Roy Köhnke, Extreme softness, animation 3D, 3min 38s, 3D : Guillaume Seyller, BO : Talita Otovic, +/+, 2024 © Adagp, Paris, 2025
Illustration 3
Roy Köhnke, High Touch, animation 3D, 3min 34s, 3D : Guillaume Seyller, BO : Low Lov, Do U Feel like I DO?, 2024 © Adagp, Paris, 2025

« Extreme softness », la première, est sans doute la plus explicite, celle dans laquelle on peut se projeter le plus facilement. Elle renvoie à la forme documentaire et évoque une union entre des plantes à fleurs et des insectes qui, petit à petit, évoluent en relation unique et exclusive. Pour cela, les organismes usent quelquefois de stratagèmes très élaborés, à l’image des orchidées sauvages qui modifient leurs anatomies pour attirer les insectes pollinisateurs mâles en inventant des leurres visuels et sexuels qui reproduisent, par exemple, la pilosité ou l’odorat d’insectes femelles. La seconde vidéo, intitulée « High Touch », montre un nuage, compris comme un être atmosphérique, et un organisme biotechnologique en train de s’agréger. Quant à la troisième, « Chaotic system », elle s’inspire d’un texte de Sabrina Calvo commandé pour l’occasion et intitulé « Murmurations » où il est question du corps collectif, de la multitude des corps qui prennent ici la forme de fibres, de tissus animés par des champs de force formant des mots que l’artiste a écrits en écho au texte de Sabrina Calvo. La série « Magnetic Tendencies » écarte l’idée même d’un ordre naturel et ouvre à des désirs queer. « Nous sommes des êtres biologiques, plastiques, des choses vivantes qui se regardent et se rêvent, fascinés » explique l’artiste. Les trois vidéos sont présentées enchâssées dans une structure qui renvoie à celles des datacenters, donnant une physicalité au numérique.

Illustration 4
Roy Köhnke, Chaotic system, animation 3D, 3min 37s, 3D : Guillaume Seyller, BO : Sabrina Calvo, Murmuration, 2024 © Adagp, Paris, 2025

Sortir de la « peine » et de « l’autorité » 

L’exposition est rythmée par une série de textes présentés dans chaque salle et issus du même fichier informatique WORD. Les « DEAF MORNING SERIES » résultent d’un protocole qui engage Roy Köhnke à écrire pendant trente minutes tous les matins, au lever, des textes qui n’ont pas d’adresse. Ils sont partiellement caviardés par l’artiste lui-même. Loin du journal intime, il est plutôt question ici d’effectuer un exercice ritualisé pour laisser sortir les choses. En écrivant sur des expériences émotionnelles, on peut extérioriser et gérer des sentiments complexes.

Dans la grande salle du Crédac, le visiteur est confronté à de nouvelles œuvres, des pièces inédites réparties en trois ensembles plastiques qui s’organisent autour des mots : « trap », « parade » et « plateau ». Les « traps » correspondent à des espaces où l’on peut se dérober, cacher des choses. Elles expriment l’idée de protection, de repli, et en même temps, de quelque chose qui piège, qui retient. Établissant un principe de séduction avec le public, ces sculptures métalliques enferment une forme organique, presque matricielle, qui cherche à repousser les limites de la cage qui l’enferme. Formes sensuelles néanmoins pourvues des piques qui sont autant de protections, elles renvoient à une sorte d’épanouissement dans la contrainte, et sont autant de prototypes hybrides, point zéro d’êtres en devenir. La série des « Parade » (2024) opère une démonstration de force et de beauté dans l’espace public. Champ de l’autorité et du pouvoir, la parade peut être militaire, mais aussi esquive. Elle peut conduire à s’affirmer en se montrant, en paradant. Cet ensemble de sculptures se compose de plusieurs couches superposées les unes par dessus les autres : une forme de résille tout d’abord, puis un filet de tissu inox couronné d’un film plastique rainuré qui a la capacité de diffracter la lumière. Ce filet difractant permet d’appréhender toute la complexité du spectre lumineux. L’ensemble rejoue l’idée du filet de camouflage qui rejoue lui-même l’idée de l’effeuillage.

Illustration 5
Roy Köhnke, Out of Battery, capture d'écran, impression sur film transparent, film diffractant, 2024 © Adagp, Paris, 2025 / Photo : Marc Domage
Illustration 6
Roy Köhnke, Evolv' in(g)to You, Trap series, inox, film diffractant, 140 × 140 × 33 cm, 2024, Hight touch #2, Parade series, inox, aluminium, film diffractant, 200 × 400 cm, 2024, Fleur, feu, No Sad Star Allowed, extrait du carnet personnel de l'artiste, impression Fine art sur papier Murakumo, 33 × 48 cm, 2024 © Adagp, Paris, 2025

C’est, la plupart du temps, par le dessin et le travail d’écriture que l’œuvre s’invente chez Roy Köhnke. « No sad star allowed » (2017-2024) est une série de dessins extraits des carnets de l’artiste dans lesquels se croisent des figures à l’esthétique proche des dessins animés et des formes anatomiques hybrides, novatrices. Ces dessins, sans adresse particulière, sont réalisés dans des états émotionnels singuliers. Ils ponctuent l’exposition, alternant avec les textes des « DEAF MORNING SERIES ». Enfin, la série « X-Ray style » (2023-2024) dévoile un autre ensemble de dessins exécutés sur des papiers Craft dont la fonction première était de protéger les oeuvres sculptées en cours de création. Empreintes des sculptures de l’artiste, ces papiers en sont les véritables négatifs : les trous et autres traces de brûlures sont autant de stigmates indélébiles qui renvoient aux soudures des pièces. Ces sortes de trouées de différentes tailles composent une constellation fragile et poétique.

Illustration 7
Roy Köhnke, No Sad star allowed, Extraits du carnet personnel de l’artiste, impression Fine art sur papier Murakumo, 33 x 48 cm © Adagp, Paris, 2025
Illustration 8
Roy Köhnke, Escap' in(g)to You, Xray style series, grafite, feutre, brulûre, collage, papier craft, 2023 © Adagp, Paris, 2025 / Photo : Marc Domage

Dans la deuxième salle, trois sculptures en plâtre, corps hybrides et parasitaires, à la fois organiques et technologiques, sont issues de la série « Suspended consumption » (2020-2021). Plâtre poli sur une face, projeté sur l’autre, ces squelettes faits de câbles Ethernet forment une sorte de pied de nez en apparaissant comme des organismes à une échelle corporelle. L’artiste travaille ici sur la colonne vertébrale, le dos. Ces structures anatomiques technologiques, échappant à toute détermination, sont suspendus à des structures métalliques tandis que les câbles trainent au sol, leur donnant une posture d’aplomb. La lumière vient caresser ces carcasses à la sensualité étrange, chimères à deux faces, à la fois lisses et rugueuses. Au centre de la pièce, une étonnante veste-sculpture en jean, marquée par des moments de travail mais aussi des moments de vie, sert d’archivage, de mémoire. Dans la doublure, un texte écrit au moment de sa confection en fait une « Battle jacket », une veste punk customisée. Si, en tant que vêtement, elle vient protéger le corps, elle est aussi un objet de parade.

Illustration 9
Roy Köhnke, Suspended Consumption #1, #2, #3, 2020-2021, plátre, cables Ethernet, acier, Ram jacket #3, denim, cyanotype, javel, 2024 © Adagp, Paris, 2025 / Photo : Marc Domage

Enfin, dans le Crédakino, Roy Köhnke invite la commissaire et critique indépendante Caroline Honorien qui imagine une programmation vidéo répondant au titre de « Retour de Marsyas », et composée de trois oeuvres filmiques – « _God Mode_ » des artistes Larry Achiampong et David Blandy, « Precursing » de Nina Davis et « It’s Dangerous to go Alone!  Take This » de Bassam Issa Al‐Sabah – autour du corps et de la peau où la chair est comprise comme un espace de perception et une interface au monde, à l’histoire, à la mémoire et aux nouvelles technologies. Hallucinations ou rêveries, corps nouveaux fantasmagoriques, les œuvres de Roy Köhnke prennent la forme d’entités techniques vivantes, venant déparasiter notre regard. Chez lui, les fleurs sont anthropomorphes et font feu de leur pistolet. « Pour moi, “fleur et feu”, c’est ce qui permet de sortir de la “peine” et de “l’autorité” », explique l’artiste. « La fleur évoque la sexualité, le feu la force. Il est donc question de protester, de résister à un ordre établi. Mon exposition porte sur les différentes formes de sexualités possibles qu’on n’a pas encore toutes explorées. » Roy Köhnke a l’amour et le désir pour résistance.

Illustration 10
Roy Köhnke, Extreme softness, animation 3D, 3min 38s, 3D: Guillaume Seyller, BO: Talita Otovic, +/+, 2024, High Touch, animation 3D, 3min 34s, 3D : Guillaume Seller, BO: Low Lov, Do U Feel like I DO?, 2024, Chaotic system, animation 3D, 3min 37s, 3D: Guillaume Seller, BO: Sabrina Calvo, Murmuration, 2024 © Adagp, Paris, 2025 / Photo: Marc Domage

« ROY KÖHNKE. FLEUR, FEU » - Commissariat : Claire Le Restif, directrice du Crédac. 

Jusqu'au 23 mars 2025.

Du mercredi au vendredi, de 14h à 18h, le week-end de 14h à 19h.

Le Crédac
1, place Pierre Gosnat 
94 200 Ivry-sur-Seine

Illustration 11
Roy Köhnke, Ram jacket #3, denim, cyanotype, javel, 2024, La belle sucette, 2023, Touché.x.es, 2024, Fire!*, 2023, extraits du carnet personnel de l'artiste, impression Fine art sur papier Murakumo, 33 x 48 cm © Adagp, Paris, 2025 / Photo : Marc Domage

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