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Billet de blog 28 février 2022

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La science des rêves de Martine Aballéa

Martine Aballéa investit la grande halle des Tanneries, centre d’art contemporain d’Amilly dans le Loiret, pour y installer un laboratoire imaginaire, cœur d’un dispositif irrigué de mille récits. « Résurgence », installation réalisée in situ aux couleurs roses et bleues de l’artiste, déploie sa grande vague textile indigo ondulant au-dessus des anciennes cuves de tanneurs.

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Illustration 1
Martine Aballéa, vue de l'exposition "Résurgence", Grande Halle des Tanneries, Centre d'art contemporain d'Amilly, 25 septembre 2021 - 6 mars 2022 © Photo : Margot Montigny Courtesy de l’artiste © Martine Aballéa, ADAGP, Paris, 2022

Dans la note d’intention rédigée en mars 2020 à propos de l’exposition monographique « Résurgence » que lui consacrent actuellement les Tanneries, centre d’art contemporain d’Amilly, dans l’agglomération de Montargis, Martine Aballéa (née en 1950 à New York, vit et travaille à Paris) écrit : « Il existe un lieu traversé par l’eau depuis des siècles. Elle modèle le paysage, mais elle a aussi été détournée par la présence humaine. Aujourd’hui un liquide différent surgit de ces anciennes routes souterraines. Il en résulte une substance fluide particulière. Son extraction donne des ondes brillantes de bleu et d’or qui illuminent l’espace avant de s’enfouir à nouveau dans les profondeurs[1] ». Le lieu est un élément essentiel de la pratique de l’artiste qui, depuis 1976, réunit objets, images et textes dans des installations éphémères à la précarité assumée. Entre réel et fiction, elle joue de façon équivoque avec le vrai et le faux.

Illustration 2
Martine Aballéa, vue de l'exposition "Résurgence", Grande Halle des Tanneries, Centre d'art contemporain d'Amilly, 25 septembre 2021 - 6 mars 2022 © Photo : Margot Montigny Courtesy de l’artiste © Martine Aballéa, ADAGP, Paris, 2022

Un temps suspendu par la crise du coronavirus, l’invitation faite à Martine Aballéa par le centre d’art à investir la grande halle, vient révéler le passé industriel du lieu – la transformation de la peau – par les nouveaux atours dont elle le pare, rendant palpable la transformation chimique à travers l’installation d’un laboratoire imaginaire, ainsi que la circulation des eaux du Loing – la rivière qui irrigue le Gatinais – détournées autrefois par les tanneurs, à travers l’imposant lé de tissu figurant une vague au-dessus des cuves aujourd’hui inutilisées. La dimension physique très prégnante qui s’en dégage est aussi celle de la mémoire de la résurgence du Loing. L’exposition est en effet l’occasion d’un partenariat avec le musée tout proche de Dordives[2], dédié au verre scientifique et touché par les inondations du Loing de 2016. Sa fermeture au public depuis lors autorise Martine Aballéa à piocher ampoules à décanter et autres ballons à réduction dans ses collections pour construire un laboratoire chimérique au double coloris de rose et de bleu qui est le sien. « Physicienne de formation, elle garde un goût pour le caractère foncièrement imaginaire des théories scientifiques[3] » écrit Bernard Marcadé à propos de l’artiste dans le Dictionnaire universel des créatrices. Et même s'il s'agit plus exactement de philosophie des sciences, c’est néanmoins ce goût pour la chimie, voire l’alchimie, que l’on retrouve ici.

Illustration 3
Martine Aballéa, vue de l'exposition "Résurgence", Grande Halle des Tanneries, Centre d'art contemporain d'Amilly, 25 septembre 2021 - 6 mars 2022 © Photo : Margot Montigny Courtesy de l’artiste © Martine Aballéa, ADAGP, Paris, 2022

Éric Degoutte, directeur des Tanneries et commissaire de l’exposition, note que « La halle devient un antre qui, parcouru d’un souffle subtil, se fait le creuset d’une respiration mélodieuse distillée en collaboration avec Jérôme Poret et Eugénie Loiseau[4] ». Le dispositif, très scénographique, ne vient pas cacher la machinerie qu’il sous-tend, bien au contraire. Il met en avant une sorte de Deus ex machina qui fait redécouvrir la grande halle d’une autre façon, sous un autre regard. Plongé dans le noir, le visiteur n’est pas dans le même rapport au réel. Il traverse la proposition plastique à la façon d’un rêve éveillé, à la lisière d’un songe que vient renforcer la bande sonore composée par Martine Aballéa en collaboration avec Jérôme Poret et interprétée par Eugénie Loiseau qui l’enregistre in situ. Le dédoublement du procédé musical renvoie à une forme de berceuse performée par un instrument à la sonorité rappelant la corne de brume. La dimension néoromantique de l’œuvre semble revendiquée par l’artiste, notamment dans ses références filmiques à « la fiancée de Frankenstein[5] » ainsi qu’au « Casanova de Fellini[6] » pour la grande vague de tissu, élément qui invite à ce voyage immobile aux multiples ramifications. Le travail de la lumière apparait lui aussi primordial, orchestrant un jeu d’éclairages cinématographiques qui viennent renforcer les variations de couleurs de l’onde textile et des éclats des verres du laboratoire idéal. L’installation transforme ainsi la grande halle en un lieu propice à l’expérimentation. Dans ce décor fantôme empreint d’une poétique magique, la résurgence est autant la représentation onirique du jaillissement mémoriel des eaux que la réapparition de son histoire. De cette révélation temporaire, il restera un « Condensé de résurgence » mis en bouteille par Martine Aballéa.

Illustration 4
Martine Aballéa, vue de l'exposition "Résurgence", Grande Halle des Tanneries, Centre d'art contemporain d'Amilly, 25 septembre 2021 - 6 mars 2022 © Photo : Margot Montigny Courtesy de l’artiste © Martine Aballéa, ADAGP, Paris, 2022

[1] Cité dans le dossier de presse de l’exposition.

[2] Musée du verre et de ses métiers, Dordives, Communauté de communes des Quatre Vallées.

[3] Bernard Marcadé, « Martine Aballéa », in Béatrice Didier, Antoinette Fouque, Mireille Calle-Gruber, Dictionnaire universel des créatrices, 2018, https://www.dictionnaire-creatrices.com/recherche?q=Martine+ABALLÉA Consulté le 1er mars 2022.

[4] Éric Degoutte, texte accompagnant l’exposition Résurgence de Martine Aballéa aux Taneries, centre d’art contemporain d’Amilly, du 25 septembre 2021 au 6 mars 2022.

[5] Film américain réalisé par James Whale, sorti en 1935.

[6] Film italien réalisé en 1976 par Federico Fellini, librement inspiré de « Histoire de ma vie » de Casanova.

Illustration 5
Martine Aballéa, vue de l'exposition "Résurgence", Grande Halle des Tanneries, Centre d'art contemporain d'Amilly, 25 septembre 2021 - 6 mars 2022 © Photo : Margot Montigny Courtesy de l’artiste © Martine Aballéa, ADAGP, Paris, 2022

« Résurgence » exposition monographique de Martine Aballéa - Commissariat d'Eric Degoutte, directeur des Tanneries, centre d'art contemporain d'Amilly.

Du 25 septembre 2021 au 6 mars 2022.

Les Tanneries, centre d'art contemporain
234, rue des ponts
45 200 Amilly

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