Gianni Pettena, l'anarchitecte
- 7 févr. 2021
- Par guillaume lasserre
- Blog : Un certain regard sur la culture



Entre la carte et le territoire
Au début des années soixante-dix, tout juste diplômé, il est invité en tant qu’artiste en résidence au Minneapolis College of Art and Design puis à l’Université de l’Utah à Salt Lake City. Au cours de ces années, il réalise « About non conscious architecture », marqué par le livre de Bernard Rudofsky basé sur l’exposition new-yorkaise de 1964, « Architecture sans architecte[4] ». Comme il l’explique lui-même : « J’étais plutôt attiré par l’exposition Architecture Without Architects qui avait été présentée au MOMA quelques années auparavant. J’étais intéressé par son organisation qui proposait un agencement original des concepts qui la sous-tendaient. Les hippies et leurs communautés dans le sud-ouest des États-Unis : Utah, Californie, Colorado, Nouveau Mexique, m’intéressaient aussi, les traditions indiennes inspiraient leur rapport pacifié avec la nature[5] ». À Monument Valley, il tente d’habiter une architecture plutôt vernaculaire, une structure liée à des questions de nécessité. Pettena n’a pas construit, il a simplement révélé.

Gianni Pettena, Human wall, 2012, argile, fils et bois, La Verrière, Bruxelles © Isabelle Arthuis / Fondation d’entreprise Hermès

Au centre de l’exposition trône le « Rumble sofa » – en fait un facsimilé produit spécialement pour l’exposition, le mobilier n’a jamais été produit en série et les trois prototypes conservés sont tous dans des musées –, très grand canapé modulable imaginé par Penetta en 1967, qui présente la particularité de s’adapter au lieu et non à l’humain. De forme carrée, l’objet mobilier n’a pas une assignation particulière. L’absence de style est assez pragmatique. Cependant, il n’est pas exsangue d’émotion et de séduction. Surtout, il présente une grande cohérence dans la question de la liberté en lien avec l’époque. Les objets sont libérateurs. L’art conceptuel ne produisait pas d’objets inutiles. La liberté crée l’incertitude, introduit la question l’absence de contrôle. Vue de l’exposition de Gianni Pettena, « Forgiven by Nature », 2021, La Verrière, Bruxelles © Isabelle Arthuis / Fondation d’entreprise Hermès
A quelques pas de la Verrière, l’ISELP fête ses cinquante ans en même temps que la pièce qu’il accueille. « Paper », gigantesque installation résultant d’une performance créée pour la première fois en 1971 à Minneapolis et réactivée ici, obstrue totalement la salle d’exposition. Il y a cinquante ans, Gianni Pettena et ses étudiants remplissaient la salle de lecture de la bibliothèque du Minnneapolis College of Art and Design avec des rames de papier provenant des chutes de journaux. À chaque visiteur, muni d’une paire de ciseaux, de se créer son propre itinéraire. Ainsi, tout le monde devient architecte. Il y a cinquante ans, tous se sont retrouvés au centre de la salle de lecture. À cet endroit, Gianni Pettena prononçait une conférence.
« (…) J’ai une attitude d’artiste, mais j’ai eu une formation d’architecte. Je parle toujours d’architecture, mais avec des instruments qui proviennent de l’art, ce qui suscite un intérêt dans des générations d’artistes et d’architectes. Il est vrai que ce sont le plus souvent les artistes qui demandent à travailler avec moi, ou alors qui souhaitent participer avec moi à l’organisation d’une exposition pour dialoguer avec mon travail[6] » précise-t-il.
Artiste de la transversalité, résolument libre, Gianni Pettena est une « sorte d’architecte qui ne construit pas ou d’artiste sans objets[7] » pour rependre les mots de Guillaume Désanges. Il s’est évertué, et s’évertue encore, à libérer l’architecture de la construction pour la ramener à l’attention de la nature. Car il le dit lui-même : « La nature est forte et terrible, elle tue mais, aussi, elle nous fait vivre. Dans la confrontation avec l’homme au cours d’un temps long, la nature est toujours gagnante, elle a besoin d’être connue tout en sachant que, dans un temps long, tout ego de gouvernant ou d’architecte sera effacé par sa puissance ». Finalement, en éclatant l’exposition en deux lieux, le spectateur est placé malgré lui dans la démarche de Penetta consistant à abolir les frontières entre les disciplines. Ébranler les certitudes de la modernité, c’est précisément de cela qu’il s’agit dans le travail de l’Italien, suspendre la construction en lui substituant des démarches conceptuelles et artistiques, être dans le penser (panser) plutôt que dans le faire. Comme le dit très justement Dominique Mathieu : « Savoir ne pas construire dans le cas de Gianni Pettena c’est ne pas vouloir subir et faire subir afin de bâtir un regard et une pensée tour à tour lucide et rêveuse[8] ». Et ainsi imaginer d’autres possibles pour habiter le monde.

[1] Gianni Pettena, L’Anarchitetto. Portrait of the artist as a young architect, Rimini, Guaraldi, 1973.
[2] Luisa Gastiglioni, « Entretien avec Gianni Penetta », Penser faire & faire : penser Global Tools aujourd’hui, Institut supérieur des arts de Toulouse – Beaux-arts.
[3] Ibid.
[4] L’exposition itinérante « Architecture without architects » est la première à aborder l’architecture vernaculaire. Elle a lieu au Museum of Modern Art de New York, du 11 novembre 1964 au 7 février 1965, avant d’être présentée dans plusieurs musées aux Etats-Unis et à l’étranger. Le commissariat est assuré par l’architecte, designer et critique Bernard Rudofsky qui est aussi l’auteur du catalogue. En 1972, il publie « Architecture Without Architects: A Short Introduction to Non-Pedigreed Architecture » basé sur l’exposition. L’ouvrage paraît en France en 1980 sous le titre « Architecture sans architectes : Brève introduction à l’architecture spontanée », aux Editions du Chêne.
[5] Luisa Gastiglioni, « Entretien avec Gianni Penetta », Penser faire & faire : penser Global Tools aujourd’hui, Institut supérieur des arts de Toulouse – Beaux-arts.
[6] Ibid.
[7] Guillaume Désanges, Forgiven by nature, texte accompagnant l’exposition éponyme de Gianni Pettena à la Verrière fondation d’entreprise Hèrmes, Bruxelles, du 16 janvier au 13 mars 2021.
[8] Dominique Mathieu, Le permis de penser, texte accompagnant l’exposition éponyme de Gianni Pettena à la galerie Salle Principale à Paris du 3 mars au 12 mai 2018.
Gianni Pettena, Architecture + Nature, 2011, courtesy de l’artiste et Salle Principale, Paris © Studio Gianni Pettena
« Gianni Pettena. Forgiven by nature » - Commissariat de Guillaume Désanges, dans le cadre du cycle « Matters of concern Matières à panser » - Du 15 janvier au 13 mars 2021 - Du mardi au samedi de 12h à 18h, visite commentée chaque samedi à 15h.
La Verrière
Boulevard de Waterloo, 50
B - 1000 BRUXELLES
ISELP
Boulevard de Waterloo, 31
B - 1000 BRUXELLES
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