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Billet de blog 29 octobre 2021

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Womanhouse. Pauline Sales et les femmes de la maison

En souvenir d’un ancien amour, un homme prête une maison qu’il ne peut se résoudre à vendre à des femmes artistes qui en font leur atelier temporaire. Dans « les femmes de la maison », Pauline Sales interroge la société au cours des soixante-dix dernières années, en convoquant la figure de la femme artiste. Une mise en abime qui fait la part belle aux actrices.

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Illustration 1
Les femmes de la maison, texte et mise en scène de Pauline Sales © Jean-Louis Fernandez

La pièce s’ouvre sur l’intérieur d’une maison baigné par un clair-obscur : un rocking-chair, un lit, une table, une chaise, un lavabo et trois fenêtres d’où provient la lumière de la lune. Nous sommes dans les années quarante en banlieue parisienne. Une femme quitte un homme pour un autre. Elle est photographe. Afin de lui permettre de vivre pleinement son art, il lui offre la maison et l’épouse en guise d’adieu. Bien des années après, il la rachète discrètement lorsqu’elle la met en vente. Incapable de l’habiter ou de la vendre à son tour, Joris décide d’en faire un lieu de résidence avant l’heure, réservé aux femmes artistes – elles sont peintres, plasticiennes, autrices –, en échange d’une œuvre laissée à la fin du séjour, de quelques règles à suivre et de la présence d’une femme de ménage qui veille sur la maison mais aussi sur ces locataires de passage. Trois temps, trois histoires, vont habiter cette maison, autant de trajectoires qui tentent de s’émanciper par la création artistique, et qui se font le reflet de la société de leur époque – tour à tour les années cinquante, soixante-dix et aujourd’hui –, en étant traversé par les grandes questions que chacune soulève.

Treize rôles, trois actrices, un acteur. Pour incarner les personnages de sa nouvelle pièce, Pauline Sales fait appel à des comédiens avec qui elle entretient un lien particulier. Dans sa note d’intention, elle précise que les acteurs sont « principalement ce qui motive mon désir de mise en scène[1] ». Ainsi, retrouve-t-on dans le rôle de Joris Vincent Garanger, avec qui l’autrice et metteuse en scène a dirigé le Préau – Centre dramatique national de Normandie – Vire durant dix ans et avec qui elle a fondé la compagnie A l’envi. Chaque actrice joue plusieurs rôles. Hélène Viviès, Olivia Chatain et Anne Cressent incarnent à leur manière les trois époques.

Illustration 2
Les femmes de la maison, texte et mise en scène de Pauline Sales © Jean-Louis Fernandez

La pièce a pour point de départ l’exposition éponyme « Womanhouse[2] » qui s’est tenue en Californie au début des années soixante-dix à l’initiative des artistes Judy Chicago et Miriam Shapiro, cofondatrices du « Feminist art programm » au California Institute for the Arts. Les deux artistes ont largement inspiré les personnages de la deuxième partie de la pièce. La maison, c’est celle abandonnée du 533 North Mariposa Avenue à Hollywood, Los Angeles, en Californie. Chicago et Shapiro ont investi les dix-sept pièces qui la composent avec leurs étudiantes et des artistes femmes locales, proposant des performances, installations et autres projets artistiques qui interrogeaient la construction politique de l’espace domestique et son enfermement forcé. L’exposition-manifeste dure moins d’un mois[3] mais va marquer un tournant décisif dans l’histoire de l’art féministe.

Au début de la pièce, Germaine, personnage derrière lequel on devine la photographe Germaine Krull, répond à la jeune femme de l’agence immobilière, avec qui elle vient d’avoir une légère altercation : « Ne faites pas ça, pas seulement, des enfants, débrouillez-vous pour faire autre chose ». Dans les années cinquante, Simone, mariée et mère de deux enfants, s’en prend à elle-même, s’invective, se couvre violemment d’insultes : « Merde merde merde, connasse connasse connasse, la matinée est foutue, tu ne déjeuneras pas, grosse truie, pour la peine ». Elle tente de s’émanciper et de trouver son indépendance artistique. « La figure de la femme émancipée devait recouvrir celle de la femme traditionnelle, combiner les deux visages[4] » écrit Simonetta Piccone Stella dans son étude sur la vie des femmes dans les années cinquante. Deux décennies plus tard, sur la côte pacifique des États-Unis, Miriam, bientôt rejointe par Judy, transforme la maison en « womanhouse ». Enfin, à notre époque, trois écrivaines[5] trouvent refuge dans la résidence pour échapper à l’instrumentalisation dont font aujourd’hui l’objet les femmes artistes après avoir longtemps été niées. Invisibilisées jusque très récemment, elles deviennent aujourd’hui prisées, recherchées. On n’en finit pas désormais de célébrer les artistes décédées du XXème siècle, de leur rendre hommage en découvrant leur travail artistique. Bien souvent, elles sont les compagnes, les épouses d’artistes masculins célèbres.

Illustration 3
Les femmes de la maison, texte et mise en scène de Pauline Sales © Jean-Louis Fernandez

Au-delà de ces artistes, il y a d’autres femmes, celles qu’on ne voit généralement pas, dédiées aux travaux d’entretien et de ménage de la maison. « Elles œuvrent pour que d’autres s’émancipent, elles révèlent parfois le fossé qui les sépare » écrit très justement Pauline Sales. « A qui et pour qui œuvrons-nous en tant qu’artiste ? » s’interroge-t-elle. « En fait, il n’y a que les femmes pour faire croire à l’homme » réalise Annie qui s’occupe de l’entretien de la maison californienne. Seul homme de la pièce, Joris fait figure de gardien de la maison. Homme sans âge exprimant sa masculinité loin des stéréotypes, il reste le plus souvent silencieux et tente de passer inaperçu. Une fois n’est pas coutume, son sexe est ici minoritaire. Il traverse le temps en spectateur privilégié de la vie de ces femmes, plus rarement en acteur. À la fois bienveillant et paternaliste, il est attentif à la décolonisation, processus qu’il semble mieux comprendre que les femmes de la maison. Dans la seconde partie, il incarne aussi Christiane, la dernière femme de ménage de la maison. Auxiliaire de vie malgré elle, elle est l’un des visages des classes populaires d’aujourd’hui.   Personnage à part entière, la maison elle-même évolue avec les époques, dans le temps mais aussi dans l’espace. Elle est ainsi un pavillon de banlieue parisienne dans la France de l’après-guerre, puis une maison « for women only » dans le sud de la Californie – « alors on déménage sans même s’en rendre compte »constate Joris. « On se déplace » lui répond Annie –, et enfin, une bâtisse isolée quelque part en France dans les années 2020. Elle se fait le miroir de ce qui se joue de l’époque et de ses enjeux féministes. Les conditions spécifiques à la création engendrent un huis clos à chaque fois renouvelé qui résonne étonnamment avec les confinements successifs que nous avons traversés.

« Les femmes de la maison » n’a rien d’une pièce documentaire, encore moins d’un manifeste. De manière sensible et fictionnelle, Pauline Sales explore, à travers un regard porté sur la condition des femmes artistes, seules ou en collectif, féministes ou pas, le rapport au patriarcat, la sororité et ses rivalités, les questions de classe et d’origine, le lien entre intime et politique. Il est bien difficile de construire une parole commune, bien éprouvant de créer, surtout dans l’enfermement d’une résidence d’artiste. Pourtant, il n’en reste pas moins que le propriétaire de la maison est un homme. Certes, il ne rentre dans aucun des stéréotypes classiques du mâle dominant mais « Joris n’est pas Jésus » comme le rappelle Miriam. Omniprésent, traversant les époques et le XXème siècle, il est celui qui rend les choses possibles, le mécène. Cet état n’en finit pas de surprendre. Quelle signification donner à cette présence masculine, qui plus est seul personnage à traverser la pièce de bout en bout ? Sans doute que plus qu'une pièce féministe, c'est l'égalité entre les femmes et les hommes que l'écriture de Pauline Sales cherche ici à atteindre.

[1] Sauf mention contraire, les citations sont extraites de Pauline Sales, texte d’intention, dossier de presse, janvier 2021.

[2] Voir à ce propos Miriam Shapiro, « The education of women as artists: project Womanhouse », Art Journal, vol. 31, n° 3 (spring 1972), pp. 268-270.

[3] Du 30 janvier au 28 févier 1972.

[4] Simonetta Piccone Stella, « Pour une étude sur la vie des femmes dans les années 1950 », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 16 | 2002, 245-269.

[5] On devine dans ses trois personnages Amélie Nothomb, Paul B. Preciado et Pauline Sales elle-même qui ne s’épargne pas en écrivaine d’âge mur quelque peu dépassée par les questions féministes actuelles, faisant preuve d’une bonne dose d’autodérision.

Les femmes de la maison, texte et mise en scène de Pauline Sales © TGP CDN de Saint-Denis

LES FEMMES DE LA MAISON - Écriture et mise en scène Pauline Sales. Avec Olivia Chatain, Anne Cressent, Vincent Garanger, Hélène Viviès. Scénographie Damien Caille Perret. Création lumière Laurent Schneegans. Création sonore Fred Bühl. Costumes Nathalie Matriciani. Coiffure, maquillage Cécile Kretschmar. Régie son Jean-François Renet ou Fred Buhl. Régie générale et lumière François Maillot. Habilleuse et entretien perruques Nathy Polak. Spectacle créé le 11 janvier 2021 au Théâtre de l'Ephémère, scène conventionnée pour les écritures théâtrales contemporaines, Le Mans. Vu le 22 juillet 2021 au TNBA - Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine.

Du 20 au 23 octobre 2021 • Théâtre de L’Ephémère – Le Mans
Du 26 au 29 octobre 2021 • La Comédie de Reims
30 novembre 2021 • Théâtre Jacques Carat – Cachan
14 décembre 2021 • Scènes du Jura - Scène nationale 
Du 11 au 22 mai 2022 • TGP – Centre Dramatique National de Saint-Denis

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