
L’art de Noémie Goudal (née en 1984 à Paris où elle vit et travaille) examine la possibilité des images en travaillant sur les dissonances entre réel et invention par le biais de la photographie, la vidéo et l’installation immersive. Diplômée en design graphique de la Central Saint Martins à Londres, elle poursuit ses études au Royal College of Art où elle obtient un master en photographie en 2010. L’artiste, qui s’intéresse à la notion de temps dans l’image, est fascinée par la paléoclimatologie[1] qui inspire depuis quelques années son travail plastique. Elle s’attache également à la question de l’illusion, de l’émerveillement. Ses photographies sont en fait des installations qu’elle fabrique dans la nature avant de les photographier à nouveau. Elle travaille beaucoup avec des strates, de papier, de miroir… Ses œuvres entretiennent une certaine ambivalence entre le côté léché et le côté artisanal. L’intitulé de son nouveau projet, « Post Atlantica », qui était récemment présenté au Grand Café, centre d’art contemporain de Saint-Nazaire, fait référence au nom du paléo-continent formé il y a deux milliards d’années et occupant la zone géographique correspondant aujourd’hui à l’Afrique de l’Ouest et l’est de l’Amérique du Sud. En se scindant, le continent a permis la création de l’océan Atlantique sud.

Le centre de la grande salle du rez-de-chaussée est occupé par un double écran sur lequel est projetée en boucle et sur les deux faces la même image inversée et légèrement décalée d’un film 8 millimètres illustrant cette mécanique de la tectonique des plaques. Réalisé sans trucage numérique, « Inhale Exhale » illustre parfaitement ce goût de l’artiste pour une illusion bricolée. Le film donne à voir un paysage de marais à la végétation foisonnante dans lequel des décors, harnachés à un système de cordes et de poulies, disparaissent progressivement, immergés dans l’eau stagnante avant de réapparaitre. Inspirer, respirer, faire apparaitre, faire disparaitre. Ces différents décors sont autant de strates de végétation tropicale, autant de lieux de mémoire d’un paysage commun à l’Afrique et l’Amérique du Sud, dont le bananier et le palmier, deux espèces que l’on retrouve régulièrement dans les œuvres de l’artiste. Ils « sont des marqueurs de mouvement, témoins de l’histoire de ce paysage disloqué[2] » précise Eva Prouteau dans le texte qui accompagne l’exposition. Ici, l’idée d’un effondrement est toujours suivie par une renaissance.

Réalisé en Grèce à l’été 2021, « Décantation » se rattache à la série « Démantèlement ». Trois ensembles photographiques de six, sept et huit clichés montrant chacun une image de montagne qui se dissout, évoque la transformation perpétuelle du paysage due à l’érosion naturelle. Pour obtenir cet effet, l’artiste utilise un papier hydrosoluble comme métaphore de sa disparition progressive. La montagne semble fondre littéralement établissant un parallèle avec la fonte actuelle des glaciers.
À l’étage, la série des « Phoenix », composée de huit images, se découvre dans la pénombre. Sa réalisation est de l’ordre de la performance pour l’artiste qui photographie des palmiers la nuit dans une palmeraie, imprime les images sur place, les découpe en bandelettes, puis les repositionne dans le paysage qu’elle photographie à son tour. Il en résulte des images complètement déconstruites, une sorte de dislocation géométrique du paysage. Noémie Goudal crée le trouble, l’illusion, invite à regarder de plus près, s’attarder sur l’image, laissant parfois quelques indices, là une pince oubliée, ici un coup de cutteur, là encore un papier qui déborde. Dans le film « Below the deep south », l’artiste utilise à nouveau des strates de papier qu’elle superpose en arrière-plans successifs, jouant avec les échelles et la profondeur pour provoquer une illusion d’optique. Neuf strates de papier représentant une jungle verdoyante sont placées devant la caméra qui, elle, ne bouge pas. Ces décors brûlent au fur et à mesure, l’un se substituant à l’autre et ainsi de suite. On ne sait jamais si on est dans un paysage réel ou dans une image.

« Study perspective n°3 » revisite l’anamorphose à partir de photographies déformées d’une grotte qui sont ici mises en scène afin de recomposer l'image à partir d’un point de vue déterminé. Noémie Goudal s’empare du thème de la grotte très usité tout au long de l’histoire de l’art et de l’architecture. Espace à la fois physique et mental, le lieu où l’on se cache, le lieu intérieur, inconnu, elle est aussi le lieu de naissance de l’art et de l’image. Noémie Goudal est toujours dans l’expérimentation. Elle manipule les images à la manière d’un jeu, sollicitant le visiteur qui devient acteur.

En équilibre entre documentaire et fiction, quelque part entre Méliès, Kentridge et Gondry, Noémie Goudal bricole les images de manière artisanale à rebours des trucages numériques. Sa « poétique des effets spéciaux modestes[3] », pour reprendre la très jolie expression d’Eva Prouteau, laisse entrevoir la dimension expérimentale de sa démarche, de même que ses imperfections. Au temps humain, elle préfère le temps long de la terre : « Mes réalisations sont un moyen de parler du temps long, en opposition au “temps de l’Homme”. Je souhaite faire le lien entre la Terre dans son entièreté et ce que les non-scientifiques perçoivent de cette planète. Car l’être humain ne voit pas le mouvement des choses, et croit donc être une entité fixe » affirme-t-elle. En nous immergeant dans les images qu’elle a pris soin de modifier, elle souhaite nous faire prendre conscience des mouvements du monde.
[1] Science qui étudie les climats passés et leurs variations au cours du temps.
[2] Eva Prouteau, texte accompagnant « Post Atlantica », l’exposition personnelle de Noémie Goudal au Grand Café – Centre d’art contemporain de Saint-Nazaire, du 10 octobre 2021 au 2 janvier 2022.
[3] Ibid.

Noémie Goudal - « Post Atlantica »
Du 10 octobre 2021 au 2 janvier 2022.
Le Grand Café Centre d'art contemporain
Place des Quatre z'horloges
44 600 SAINT-NAZAIRE