Ce fut une quinzaine faste ! Le 20 mars avait lieu à Paris le lancement du « Printemps Républicain », qui est à Riposte Laïque ce que Franprix est au hard discount. La même daube mais en plus présentable [1]. Quelques jours plus tard, la ministre Laurence Rossignol n’hésitait pas à comparer au micro de RMC les femmes ayant fait le choix de porter le voile aux « nègres américains » qui soutenaient l’esclavage. Approuvée aussitôt par Elisabeth Badinter qui appelait sans sourciller au boycott des marques de vêtements estampillées « mode islamique ». (Et qu’en pense la Cour de cassation qui vient de trancher à quatre reprises : boycotter Israël – mais seulement Israël – est un délit). Le 4 avril, enfin, lors d’un colloque au théâtre Déjazet, Manuel Valls assimilait – sous les applaudissements du public – le voile à « un asservissement, un signe politique qui vient confronter la société française », et contre lequel le premier ministre affirmait la nécessité d’ « agir ». Sans doute pas complètement par hasard, Libération publiait le même jour un violent réquisitoire contre les « nouveaux antiracistes » : un éditorial de Laurent Joffrin, deux « enquêtes », et quatre portraits au vitriol. Une campagne bien orchestrée, aurait dit, en son temps, Georges Marchais. Et qui s’inscrit en réalité dans le droit fil d’une thèse lancée il y a plus de dix ans par Alain Finkielkraut, dans Au nom de l’Autre – Réflexions sur l’antisémitisme qui vient : l’antiracisme serait devenu le « nouveau totalitarisme du 21ème siècle ». Un extraordinaire tour de passe-passe qui consiste, en fait, à dissocier la lutte contre l’antisémitisme de la lutte contre le racisme : sacraliser et sanctuariser l’une pour mieux disqualifier l’autre. Un sillon qui a été depuis patiemment labouré et ensemencé. Au final, on se dit que cela en valait la peine : les plus beaux fruits se récoltent désormais sur des terreaux où l’on n’aurait jamais imaginé autrefois les voir pousser et éclore.
Laurent Joffrin est prudent. Sous le titre Piège grossier, son édito [2] ne s’en prend pas à l’antiracisme en tant que tel. A un certain antiracisme seulement… Lequel ? « Le " nouvel antiracisme" que nous décrivons pose plusieurs questions. D’abord parce qu’il est délibérément communautaire. Les musulmans défendent les musulmans, les Noirs défendent les Noirs. Ainsi, chacun s’occupe de son clocher, de sa paroisse, de son origine ». A l’opposé de l’authentique antiracisme qui suppose avant tout la défense de « valeurs communes ». Le directeur de Libération n’aurait-t-il rien oublié dans sa très limitative énumération des communautarismes faisant grief ? Certes, quelques lignes plus bas, il ajoute : « Si les juifs défendent les juifs, les Noirs les Noirs, les musulmans les musulmans, qui défendra les principes communs ? ». Mais les juifs n’interviennent ici qu’à titre hypothétique : si… Pour les besoins du raisonnement, en quelque sorte. Le communautarisme des Noirs et des musulmans, seul, mérite d’être dénoncé sur le mode affirmatif. La suite de l’édito est à cet égard sans ambigüité Car d’un côté, outre le communautarisme, les deux autres péchés du nouvel antiracisme sont clairement nommés : l’usage (tendancieux selon Joffrin) du concept d’Islamophobie – pourquoi n’aurait-on pas le droit de « critiquer-une-religion » ? – ainsi que de la théorie « perverse » de « l’impensé postcolonial ». De l’autre, Joffrin (toujours à la pointe d’une actualité brûlante) souligne que la cause du capitaine Dreyfus s’appuyait quant à elle sur la défense de « principes universels ». Un esprit chagrin qui aurait eu le mauvais goût d’aller chercher des exemples concrets plus récents aurait pu tout de même rappeler à Laurent Joffrin que le communautarisme juif existe aussi, d’autant plus « pervers » qu’il amalgame sans le moindre complexe la défense inconditionnelle de la politique israélienne la plus radicale et la lutte contre l’antisémitisme.
La suite du « dossier » procède du même esprit. L’ « enquête » Plongée chez les nouveaux antiracistes [3] revient sur les polémiques de ces derniers mois et prend parti sans nuance en faveur des « associations historiques comme SOS Racisme, la Licra où le MRAP » qui estiment qu’« en République, la lutte contre les discriminations doit être universelle, sans segmentation communautaire ». Ce camp serait « notamment incarné » par… Gilles Clavreul, le très contestable Délégué interministériel à la lute contre le racisme et l’antisémitisme, proche de manuel Valls, et qui depuis sa nomination, il y a dix-huit mois, a multiplié les manifestations intempestives en faveur de cette vision très caricaturale du champ de l’antiracisme : d’un côté les défenseurs de principes universels, mais très abstraits. De l’autre, les fauteurs de troubles… Gilles Clavreul a d’ailleurs publié sur son mur Facebook l’édito de Joffrin, en le qualifiant de « très important ». Ce qu'il y a de bien quand on reste en famille, c'est qu'on se tient chaud.
Cette enquête sur les « nouveaux antiracistes » est illustrée d’une photo : une sorte de patchwork impressionniste, où se mêlent différentes taches de couleur, mais peu d'éléments figuratifs. Quelques uns, tout de même : on y distingue un quadrillage noir et blanc, les motifs d’un keffieh. Et le mot « Palestine », écrit sur une sorte d’écharpe. N’en jetez plus. On a compris.
[1] Voir notamment cette excellente analyse décryptage du Printemps républicain http://www.contretemps.eu/interventions/%C2%AB-printemps-r%C3%A9publicain-%C2%BB-rappel-ordre-bourgeoisie-jacobine
[2] http://www.liberation.fr/france/2016/04/03/piege-grossier_1443734
[3] http://www.liberation.fr/france/2016/04/03/plongee-chez-les-nouveaux-antiracistes_1443736