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Billet de blog 25 novembre 2025

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Polémique Mandon : et si on avait raté l’essentiel ?

Depuis plusieurs jours, une seule phrase revient en boucle dans les médias, comme si elle résumait à elle seule l’intervention du général Pierre-Joseph Mandon, patron de la Garde nationale : « Il faudra accepter de perdre vos enfants si la France est attaquée. »

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Cette déclaration, par sa brutalité et l’imaginaire qu’elle convoque, a immédiatement déclenché une tempête d’indignation. Les élus locaux présents ont été stupéfaits, les réseaux sociaux se sont embrasés, et l’exécutif est intervenu avec une rapidité inhabituelle pour défendre le général, donnant naissance à des soupçons de communication politique, certains allant jusqu’à évoquer une stratégie “d’effet drapeau” à l’approche des élections municipales.

Mais à force de concentrer toute l’attention sur cette phrase choc, l’espace public est passé à côté d’un fait beaucoup plus important : le reste du discours, celui prononcé devant des maires, portait sur un sujet autrement plus structurant pour l’avenir de nos collectivités, et pourtant totalement ignoré. Ce discours développait une idée simple et pourtant lourde de conséquences : la défense du pays commence désormais dans les communes, et les maires en sont devenus les premiers acteurs opérationnels.

Autrement dit, derrière l’émotion immédiate, se cache une transformation institutionnelle profonde — et c’est elle qui mérite d’être examinée

Lorsque l’on s’éloigne de la phrase isolée et que l’on replace l’intervention dans son contexte, un constat apparaît clairement : le général Mandon n’est pas venu parler d’héroïsme sacrificiel ou de rhétorique martiale. Il est venu rappeler que, dans une crise majeure — qu’elle soit militaire, cyber, terroriste, technologique ou hybride — le premier territoire touché n’est pas l’État central, mais la commune, et que le premier responsable à devoir agir concrètement n’est pas un ministre ni un chef d’état-major, mais le maire.

En d’autres termes, la mairie devient le premier front. Non pas symboliquement, mais matériellement : c’est à l’échelle locale que les infrastructures cèdent, que les populations paniquent, que les services essentiels se bloquent, et que les décisions doivent être prises dans l’urgence. Cette réalité, pourtant déjà présente dans plusieurs textes juridiques, n’avait jamais été exposée aussi clairement devant des élus locaux.

Illustration 1

Un rôle inscrit dans la loi

Ce rôle n’est pas une invention improvisée au détour d’un discours. Il s’inscrit dans un corpus juridique déjà en vigueur, mais que beaucoup d’élus méconnaissent. Le Code général des collectivités territoriales fait du maire le responsable de la sécurité civile sur son territoire (art. L. 2212-2). Le Plan communal de sauvegarde, obligatoire dans un grand nombre de cas, impose à la commune d’organiser la mise à l’abri, l’information et la protection de sa population en cas de crise.

Le dispositif ORSEC, quant à lui, établit une chaîne de commandement dans laquelle le préfet dirige, mais le maire exécute et organise localement, mobilisant ses moyens, ses agents, ses bâtiments, et sa capacité de coordination. Enfin, le Code du service national confie aux communes le recensement militaire, maillon administratif essentiel aux dispositifs de défense.

Autrement dit, le maire n’est pas un observateur de la sécurité nationale. Il en est une pièce juridiquement définie, même s’il n’en a pas encore pleinement la perception politique.

L'importance de l'échelon locale 

Ce que le général Mandon a rappelé, et que la polémique a éclipsé, c’est que les crises modernes ne ressemblent plus à celles du passé. Elles ne débutent pas nécessairement sur des frontières militaires. Elles peuvent se déclencher dans le quotidien le plus banal : une attaque informatique paralyse des serveurs municipaux, un sabotage compromet l’accès à l’eau potable, une désinformation ciblée fracture la cohésion sociale, une rupture énergétique met à l’arrêt les écoles, les EHPAD ou les secours.

Et dans ces situations, lorsque les habitants cherchent un interlocuteur, ce n’est pas vers l’État central qu’ils se tournent, mais vers la mairie, qui reste l’institution la plus accessible, la plus incarnée et la plus identifiée. Le maire devient alors le premier recours, parfois le seul, alors même que la loi l’y oblige, mais qu’il n’a pas toujours les outils pour y répondre.

Et ce point résonne d’autant plus fortement que la place des communes dans les situations de crise n’est pas une invention contemporaine. Lorsque j’étais doctorant, j’ai travaillé sur plusieurs expositions consacrées au centenaire de la Grande Guerre, et ces recherches m’avaient déjà conduit à une conclusion frappante : à l’arrière, l’échelon communal avait joué un rôle déterminant dans le soutien à l’effort de guerre.

Ce sont les mairies qui : organisaient les collectes de vivres et de matériaux, géraient l’accueil des blessés et des réfugiés, maintenaient les services essentiels malgré l’absence des hommes mobilisés, soutenaient les familles plongées dans l’incertitude, et servaient de relais administratif entre l’État et la population.

Autrement dit, la survie civile du pays passait déjà par les communes, même loin du front. La guerre de 1914-1918 avait révélé, avant l’heure, que la solidité de la nation dépendait largement de son tissu local — de ses maires, de ses conseils municipaux, de sa capacité à organiser la vie quotidienne dans un contexte de choc.

Et si l’idée d’une guerre sur le sol français peut aujourd’hui paraître, politiquement, excessive voire dramatisée, il n’en reste pas moins que ce rôle des communes dans la gestion de crises majeures s’est vérifié très récemment, sans aucune dimension militaire : pendant la crise du Covid-19. Ce sont les maires qui ont :

organisé la distribution de masques et de matériel, maintenu les services publics essentiels, soutenu les plus vulnérables, coordonné l’action avec les préfets, géré l’angoisse et l’attente des populations.

Autrement dit, même sans guerre, même sans front, la commune a déjà été la première ligne — et elle l’a été massivement.

Ce que Mandon affirme aujourd’hui avec des mots contemporains — et que la polémique a occulté — n’est donc pas une fiction militaire, mais une réalité civile déjà éprouvée : lorsque la crise frappe, c’est la commune qui tient, ou qui cède.

Quels moyens pour ces missions ?

C’est peut-être l’aspect le plus dérangeant du discours, et pourtant celui que personne n’a relevé : on demande aux communes d’assumer un rôle stratégique sans leur donner les moyens correspondants. Il n’existe à ce jour aucun financement national pérenne spécifiquement dédié à la résilience communale. Aucune obligation de formation pour les élus. Aucune ingénierie territoriale systématisée. Et pourtant, la responsabilité pénale du maire en cas de carence demeure bien réelle.

On affirme que la commune est la “première ligne”. Mais on lui confie, pour se défendre, des ressources qui relèvent davantage de la gestion quotidienne que de la préparation stratégique. Cette contradiction n’est pas seulement un problème administratif : elle constitue un risque national.

Un débat démocratique nécessaire 

Le plus inquiétant est peut-être l’absence totale de débat institutionnel sur cette évolution. Aucun débat parlementaire de fond. Aucune communication massive à destination des communes. Aucune doctrine publique claire. Pourtant, tout indique que le centre de gravité de la défense française se déplace progressivement : du militaire vers le civil, de l’État vers les collectivités, du national vers le local.

Et ce mouvement se fait sans information, sans préparation, et sans consentement démocratique.

À quelques mois des élections municipales, les programmes se concentrent sur des thèmes connus — propreté, sécurité du quotidien, fiscalité locale, stationnement, caméras. Mais le sujet du Plan communal de sauvegarde, de la continuité des services essentiels, de la cybersécurité municipale, de la chaîne ORSEC, ou encore des risques juridiques encourus par le maire en cas de crise majeure, reste totalement absent.

Or, c’est le mandat 2026-2032 qui portera, peut-être pour la première fois de façon visible, cette responsabilité nouvelle. Le futur maire sera confronté à des enjeux qu’aucune campagne n’évoque, et pour lesquels aucune préparation n’est prévue.

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