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Billet de blog 8 avril 2019

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Les courses hippiques en plein désarroi

Indéniablement et nullement critique systématique, ni oiseau de mauvaise augure, ce que l’on appelle pompeusement « l’institution des courses » connaît une crise grave et plus précisément fondamentale. Au bord du gouffre si, avec l’appui de la base, des mesures drastiques ne sont pas prises pour redresser la barre.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Indéniablement et nullement critique systématique, ni oiseau de mauvaise augure, ce que l’on appelle pompeusement « l’institution des courses » connaît une crise grave et plus précisément fondamentale. Au bord du gouffre si, avec l’appui de la base, des mesures drastiques ne sont pas prises pour redresser la barre.

Pour bien comprendre la crise actuelle, il faut rappeler quelques étapes de son évolution. Dans les années 60, le tiercé « inventé » par le « génial » André Carrus, devenait rapidement un phénomène de société. Craignant que ses paroissiens ne s’attardent dans la file d’attente du café voisin au détriment du denier du culte, pour tenter de jouer sur les 3 bons numéros, l’Evêque de Marseille, dans son prêche, fustigeait cette passion ludique et païenne. Il n’en était guère tenu compte et par la suite, pendant une vingtaine d’années, les caisses des sociétés de courses continuaient de se remplir. Toute la filière en profitait.

En 1983, au début de la présidence Mitterrand, Michel Rocard alors quelque temps Ministre de l’Agriculture (à la surprise générale) élaborait, en consultation avec les intéressés, puis signait un décret modifiant, très sensiblement, les statuts des sociétés de courses. Tout en restant dans le cadre des associations à but non lucratif (Loi de 1901), les comités devaient, obligatoirement, être composés à moitié de membres cooptés et à moitié d’élus avec pour ceux-ci un quota de propriétaires, entraîneurs, éleveurs, jockeys mais pas de turfistes. Ni encore moins de représentants de la presse, pourtant partie prenante. Le PMU était alors un simple service desdites sociétés (trot et galop) parfaitement impulsé par les familles Alexandre et Carrus.

La grande concurrence

Ce PMU devenait alors un GIE (Groupement d’Intérêt Economique) avec un Conseil d’Administration présidé par une personnalité extérieure, le plus souvent un haut fonctionnaire, très bien rémunéré, tel Jean Farge qui, à un moment, défendait, furieusement, son siège et ses avantages par rapport à Pierre Charon, maintenant Sénateur, espérant alors, l’appui de Nicolas Sarkozy pour occuper ce fauteuil.

Depuis, beaucoup de successeurs ont, plus ou moins, marqué la petite histoire de ce rouage essentiel et très politique. Les sociétés de courses n’obtenant que la moitié des 10 sièges au Conseil d’Administration, en cas de conflit, se retrouvaient minoritaires par rapport aux fonctionnaires des Finances ou de l’Agriculture, l’Intérieur paraissant le grand oublié de cet organigramme. Pourtant, c’est la Police des jeux qui veille au grain utilement, aussi bien pour débusquer d’éventuels paris truqués que pour des affaires de dopage. Par contre, elle n’a guère d’autorité sur les commissaires des courses, enfermés dans leur tour d’ivoire avec souvent défense d’y voir.

Une quinzaine d’années plus tard, en octobre 2009, le Parlement votait l’autorisation et donc l’ouverture à la concurrence des jeux d’argent en ligne. Ainsi une brèche était ouverte pour l’instauration massive des lotos, jeux de grattage, paris sportifs. Contrairement à la gauche (notamment Marie-George Buffet et Gaëtan Gorse), la majorité de droite –Eric Woerth- Maire de Chantilly, et alors Ministre des Finances, défendait le texte pour lequel se prononçaient d’autres parlementaires hippiques qui ne voyaient pas le danger encouru, estimant que les courses seraient gagnantes. Ils devaient rapidement déchanter et s’apercevoir, à moins qu’ils ne soient aveugles volontaires, que les jeunes générations et même les adultes étaient attirés davantage par les paris sportifs. La déclinaison, au sens propre du terme, devenait de plus en plus évidente. Le Parc des Princes, par exemple, fait le plein à chaque match alors que les hippodromes voisins d’Auteuil, Saint-Cloud ou Longchamp ont du mal à réunir 500 clients pour des réunions ordinaires. Il en résulte d’abord sur le plan médiatique, une difficulté de trésorerie de plus en plus évidente pour l’ensemble de la famille hippique, qui ne sait plus à quel saint se vouer, et connaît les plus grandes difficultés pour une présence sur les médias audiovisuels. Comble du paradoxe, il leur faut payer pour un passage à l’antenne même lors des grands prix alors que Canal+ et d’autres opérateurs, nouveaux venus, surenchérissent pour la retransmission du Championnat de France de football, et même de rugby comme pour les Coupes européennes ou internationales. Cela est d’autant plus dommage que le produit course, surtout avec des jockeys vedettes comme Christophe Soumillon au galop et Jean-Michel Bazire au trot seraient des produits d’appel extrêmement vendeur.

Du particulier au général

Comme souvent dans la société française, le décalage entre le sommet et les anonymes de base est affligeant. Prenons-en deux exemples.

Un haut dirigeant n’a-t-il pas déploré, publiquement, le coût élevé pour le budget des hippodromes parisiens, de la mise aux normes de l’accès des tribunes pour les handicapés. Il ignorait certainement la présence régulière, sur le site, d’une admirable mère de famille, dont le fils paraplégique, passionné de courses, lisant « Paris-Turf » dans sa voiture d’infirme, peut maintenant accéder plus facilement aux tribunes et aux guichets.

Autre chose, alors que la communication officielle vante, à cor et à cri, les merveilles du nouveau Longchamp, les prix de la restauration sont prohibitifs et le droit d’assister de près à la présentation des chevaux, également très élevé. Sans parler de la piste labourée par les tracteurs de l’entrepreneur Bouygues et un moment impraticable car dangereuse pour les chevaux et les jockeys qui faisaient grève. Cerise sur le gâteau, l’agence de communication sélectionnée par France Galop, est l’objet d’une enquête de Police pour corruption, ce qui a amené les enquêteurs à une descente de Police « au temple du galop ». Voilà qui fait mauvais genre.

Une institution à bout de souffle

De façon plus générale, le monde hippique englobe environ 100 000 « français » concernés directement par cette activité (salariés du PMU, des écuries mais également entraîneurs, éleveurs, jockeys, propriétaires). Tous touchés par la baisse des enjeux qui ne fait que perdurer.

Ils ne paraissent pas pour autant et paradoxalement motivés et unis pour exprimer leur colère : casaque jaune, toque rouge rassemblées avec des pancartes devant les sièges luxueux du collecteur de paris des sociétés mères à Boulogne ou rue d’Astorg. Voilà qui ne manquerait pas d’allure. Cela pour demander des comptes à ceux qui les manipulent plus que jamais, leur faisant prendre des vessies pour des lanternes. La proposition exprimée dans « Paris-Turf » sous ma signature, d’un « grand débat », formule à la mode, à Pau, dont le Maire François Bayrou a retenu le principe, pourrait alors être prise au pied de la lettre. La dernière gaffe a consisté, comme nous l’avons relaté dans notre précédente chronique, à introniser MM. Bertrand Méheut et Cyril Linette à la tête du PMU. Sans explication, ni la moindre justification de compétence, mais avec la bénédiction de Bercy et mieux encore de l’Elysée où les Présidents de France Galop, Edouard de Rothschild, et du trot, Dominique de Bellaigue, se seraient rendus discrètement, par la grille du coq, pour un rendez-vous au Cabinet du Président. 

« Messieurs, la Cour »

Depuis près de 6 mois, l’autoritaire homme fort de l’organisme collecteur de paris, refuse de répondre à nos questions, de même que le Service de Presse de Gérald Darmanin, au Ministère de l’Action et des Comptes Publics. Il faut reconnaître que les décisions prises pour tenter d’endiguer la vague décroissante du chiffre d’affaires, paraissent difficiles à justifier.

A l’encontre de tous les principes arithmétiques. Comme si l’on cherchait à prouver que moins par moins donne plus. En effet, ont été supprimés de la carte des paris, non seulement l’un des trois bonus du quinté, ce qui déplait beaucoup aux petits parieurs, mais également d’autres types de paris appréciés, et engagés régulièrement par le turfiste de base, sérieux, réfléchi : le « trio » sur le tiercé et les classics tiercés dans beaucoup d’épreuves de qualité, comme le nom l’indique.

Résultat des courses, selon l’expression consacrée, actuellement tous les chiffres d’affaires sont en baisse, presque quotidiennement et seuls se montrent satisfaits, ceux que l’on appelle «Les gros parieurs internationaux », GPI (voir encadré), qui, en dernière minute sinon parait-il même après le départ, misent à coup de millions et depuis des plateformes hors de France, pour doubler la mise. La Cour des Comptes s’est penchée sur ce gros dossier dans un rapport diffusé en juin dernier. Ce document traitait également du monopole du secteur hippique en France, affirmant « une compétence nationale et non européenne ». Il évoquait également le niveau des allocations « plus important en France que dans d’autres pays européens » mais modulant ainsi cette observation « la baisse des encouragements accentuerait la crise et les difficultés des professionnels ».

On en arrivait enfin à cette conclusion, « la gouvernance de la filière hippique, des sociétés mères, doit être réformée très rapidement. Il y a urgence ». Jusqu’à maintenant, cette affirmation semble ne pas avoir été retenue, mais même plutôt occultée par les intéressés. Cela alors que la date des élections à France Galop et au Cheval Français approche. Les futurs candidats, en majorité, penchent plutôt pour le statu quo, et le meilleur moyen de conserver leurs sièges, par le biais du suffrage universel, ou indirectement la cooptation, dont le maintien parait invraisemblable.

Espérer ou croire, dans les courses, l’élevage et le pari mutuel ? Telle est la question dont les quelques millions de parieurs hippiques restant encore fidèles à ce marché, attendent la réponse.

Le vrai problème

Le problème majeur, actuellement, réside donc dans l’invasion du réseau du PMU par ceux que l’on appelle les Grands Parieurs Internationaux, désignés par leurs initiales les GPI.

Courageusement mais sans espoir réel d’être suivie par l’institution qui se veut réaliste, quitte à être amorale et suicidaire, la Cour des Comptes préconise la mise sur la touche et plus concrètement « l’interdiction de prise en compte des enjeux des grands parieurs internationaux ».

Il a été reconnu que la baisse du taux réelle de retour joueurs, de 2% occasionnée par les GPI risque, dans l’avenir, de diminuer de 4%, ce qui est énorme. D’où le libellé suivant inquiétant, et que tous les turfistes, et le monde des courses plus généralement, devrait retenir pour combattre ce fléau « ce relais de croissance représente un risque majeur, pour l’image du PMU, en raison de ses caractéristiques et de son caractère déloyal, et inéquitable, pour les parieurs ordinaires. Les parieurs professionnels, eux, bénéficient, en effet, d’avantages considérables qui leur permettent d’atteindre des taux de gains élevés au détriment des autres parieurs ». Eric Blaisse, Secrétaire Général de l’Association des Turfistes, continue de suivre ce dossier avec « assiduité ». Il a été reçu d’ailleurs par le rapporteur de la Cour des Comptes dont il a l’appui.

Ces considérations amènent les rédacteurs du rapport à recommander « l’interdiction par l’Etat de la prise de paris de ces professionnels sur la masse commune du PMU ». Ce texte par lui-même est assez explicite pour dispenser d’autres commentaires. La balle est dans le camp autant des dirigeants du trot et du galop que de l’organisme collecteur de paris. Tout l’avenir et la logistique du système en dépendent mais aussi la confiance du turfiste lambda lorsqu’il mise peu ou prou sur les compétitions à l’affiche. En effet, en allant un peu plus loin dans la réflexion, on ne peut s’empêcher de craindre que certaines courses ne soient faussées et surtout que les clients, à tous les niveaux, se tournent vers d’autres jeux, même s’ils les considèrent, au départ de la course…. moins attrayants. Reprenant la proposition, exprimée ici et relayée par « Paris-Turf », voilà un sujet brulant à inscrire sur l’éventuel ordre du jour du grand rendez-vous de Pau.

GDB

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