Prévisibles et tranquilles au trot, tendues et politiques au galop. Le microcosme hippique est actuellement dans les transes en pleine période électorale pour le renouvellement de ce que l’on appelle pompeusement les instances de l’Institution. C'est-à-dire la composition des comités (législatif) et conseils d’administration (exécutif) des sociétés mères du trot (Cheval Français) et du galop (Pur Sang Anglais).
Pour le trot, le scrutin déjà ouvert s’étale du 14 au 29 octobre 2015. Il n’y a guère de turbulences et de surprises à attendre : la spécialité stable, de même que ses dirigeants normands et mayennais à une large majorité. Toutefois, les propriétaires, notamment parisiens, dont le président Patrick Boey est très actif, ont bien l’intention de marquer des points.
Ceci précisé, la base semble relativement satisfaite de son sort du fait, principalement, d’un dispositif astucieux du contrôle et de la rédaction des conditions de courses parvenant à éviter l’intrusion en force du sang américain et préservant de l’ordre des ¾ du total des allocations pour les trotteurs indigènes. Ainsi sont évitées les foudres des cerbères des commissaires de Bruxelles par l’ouverture d’un quota de 16% des compétitions aux chevaux étrangers et particulièrement européens qui ont l’an dernier empoché ainsi 28% de cette enveloppe.
Les scandinaves italiens, belges principalement, peuvent venir faire leurs emplettes à Vincennes, Enghien voire en Province où se disputent, sur l’herbe comme sur la cendrée, des courses très appréciées du grand public.
Dans ce système, Dominique de Bellaigue devrait être réélu largement de même que les membres de son bureau et en tête de gondole évidemment le deus ex machina Paul Essartial, l’un et l’autre, membres associés.
Les entraîneurs et drivers sont très populaires, issus des régions auxquelles ils continuent d’êtres fidèles. Un atout de plus pour les responsables d’avant, de maintenant et de demain.
Bien sûr, ils se plaignent de la concurrence de la Française des Jeux mais il faut faire avec. Depuis la réforme Rocard de 1983 le recrutement des dirigeants est démocratique même si la moitié du comité est composée de cooptés sans guère de césure entre les uns et les autres.
Les enfants terribles
Les autorités ou dites telles ont davantage de tracas avec leurs pupilles de France Galop (siège à Boulogne). Elles n’ont jamais digéré réellement le régime du tutorat. Les notables du Jockey Club autant que Marcel Boussac longtemps patron incontesté des courses rejetaient toute intrusion dans leur cercle fermé. Jean-Luc Lagardère était parvenu à faire évoluer les esprits et les décisions mais ensuite chacun retombait dans ses travers et dans des querelles de chapelles. Celles-ci battent leur plein actuellement avec pour conséquence une campagne électorale déjà lancée, presque à couteaux tirés, qui va s’étendre sur près de deux mois.
En effet, le résultat des votes dans un processus compliqué de listes sans panachage et avec des élus « au plus fort reste » est programmé pour le 23 novembre et l’élection du président seulement près d’un mois plus tard, le 15 décembre. Plusieurs personnalités devraient postuler à la succession de Bertrand Belinguier qui à la surprise générale, fatigué par les dissensions et les coups bas, a jeté le gant et ne se représentera pas. Il n’y a pas vraiment de favori mais au moins, comme nous l’avions prévu dans notre précédent billet, il a plusieurs prétendants à sa succession. Alors outre l’inaltérable Jean d’Indy, une fois encore favori, Loïc Malivet qui compte sur un matelas de partisans parmi les éleveurs, Edouard de Rothschild, le seul véritablement indépendant de toutes chapelles et coteries et avec l’expérience d’un premier mandat, qui se déclarera probablement au dernier moment selon la conjoncture et les sondages ainsi que les duettistes normands Hervé Morin et Philippe Augier, un nouveau postulant se pointe avec des ambitions : Daniel Augereau (Président de la société Synergie Interim), un nantais, ami de François Fillon. Avec l’appui de ce dernier, alors Premier Ministre, à la fin du quinquennat Sarkozy, il avait tenté un coup de force pour faire entériner par le gouvernement une modification fondamentale des principes de la formule associative, une fusion des sociétés mères et allant même jusqu’à une privatisation.
Il s’était cassé le nez au dernier moment mais il renouvelle ses prétentions, d’une autre façon, candidat dans une liste assez réformatrice des entraîneurs. Pour l’instant, aucun sondage ne permet de désigner un favori car jusqu’à la dernière minute tout reste possible. On souhaite seulement que les protagonistes précisent bien leurs positions principalement sur ce qui est essentiel pour les propriétaires et socio professionnels : Les moyens de contrecarrer « les puissances étrangères » et de façon plus précise les gains des chevaux venus d’ailleurs.
100% British
En effet, curieusement mais probablement pour ne pas mettre d’huile sur le feu, la presse spécialisée n’a pas relevé les résultats de l’après-midi du dimanche 4 octobre à Longchamp catastrophique pour les couleurs françaises. En cette journée de l’Arc de Triomphe aucun propriétaire hexagonal n’est monté sur le podium en vainqueur des compétitions les plus importantes : Les groupes I, tout d’abord dans ce qu’on appelle pompeusement le championnat du monde des pur-sang, les casaques des premiers étaient respectivement celles de AE Oppenheimer, K. Abdullah (second et troisième) et Al Shaqab Racing puis la Famille Niarchos pour le 5ème.
Les entraîneurs britanniques étaient également les mentors du critérium des pouliches, du prix Jean-Luc Lagardère (pour les meilleurs deux ans), du prix de l’Opéra ; et de l’Abbaye de Longchamp. Dans le prix de la Forêt, André Fabre lui installé et bien installé à Chantilly restait seul en mesure de faire la « pige » à ses confrères britanniques en scellant le vainqueur Make Believe portant les couleurs là encore internationales du Prince Faisal. Les souverains saoudiens, la famille Maktoum comme le Prince Karim Abdullah, continuent leurs moissons de même que ce que l’on appelle couramment les Qataris. Toutes les courses du jour portaient la marque du sponsoring de ces derniers. Si l’on établissait une comptabilité précise –mais chez eux évidemment on ne compte pas- on s’apercevrait que les allocations qu’ils ont remportées couvrent pratiquement la dotation qu’ils ont affectée à France Galop pour s’enorgueillir de l’appellation générique de la journée et même de tout le week-end, Qatar Arc de Triomphe.
Longchamp, l’hippodrome qui fait crac boum hue
Il se confirme que Longchamp ne réouvrira pas ses portes avant 18 mois au plus tôt ; mais également que les travaux de l’ordre de 130 millions s’étaleront sur toute cette période. Certaines précisions ont été connues à ce sujet notamment dans les colonnes de notre confrère Le Parisien. Après le rejet du recours d’une association d’écologistes par le Tribunal Administratif de Paris, contre le permis de construire, le chantier commence par un désamiantage et un transport symbolique du cheval de bronze gladiateur. C’est Dominique Perrault auquel on doit notamment la bibliothèque François Mitterrand qui a obtenu le contrat. L’architecte préservera les bâtiments les plus anciens mais non pas la tribune du Jockey Club (10 000 places) construite dans les années 60 sous la présidence de Marcel Boussac. La future enceinte devrait répondre aux dernières normes environnementales avec des cellules modifiables en fonction de l’affluence. Une cinquantaine de réunions seraient disputées chaque année au lieu de 30 actuellement avec la prétention d’attirer un nouveau public. Une affirmation qui jusqu’à maintenant ne s’appuie sur aucun argument valable. En effet, on ne voit pas pourquoi le public viendrait au Bois de Boulogne, excepté deux ou trois après-midi par an, davantage dans un écrin moderne que dans des tribunes classiques comme à Auteuil ou Saint Cloud, voire Vincennes également à la recherche de turfistes in vivo mais avec des opérations de promotion plus attrayantes et ciblées. En effet, parallèlement, rien n’est fait pour attirer,
l’ami des courses et le joueur lambda vers les sites parisiens. Cela d’autant plus, que comme nous l’avions également expliqué dernièrement, la structure Pari Mutuel Hippodrome a été dissoute. Ainsi, seuls quelques guichets restent ouverts, les autres remplacés par des bornes automatiques. Le suivi des compétitions est plus confortable dans un fauteuil via Equidia. Dans deux ans le réveil risque d’être cruel. Tous ceux qui ont tiré la sonnette d’alarme sont traités de défaitistes. L’amortissement paraît absolument impossible et le slogan « crac boum hue » loin d’être dérisoire.
Un pavé dans la mare ?
Le PMU, société anonyme.
Par une coïncidence qui n’est certainement pas fortuite dans cette période électorale, dans une interview de Philippe Germond à Paris Turf, celui-ci règle ses comptes avec les dirigeants des sociétés de course, ses ex employeurs. Fin 2014, il avait quitté du jour au lendemain ou presque la présidence du GIE PMU pour prendre un poste plus lucratif encore à la tête d’Europcar, société pour laquelle il a réussi l’introduction en bourse. Avec sa fatuité habituelle, se couvrant de fleurs sur les résultats obtenus « au service des courses » ; flashant au passage les dirigeants hippiques selon lui inélégants à son égard, il aborde de façon polémique la structure actuelle des associations à buts non lucratifs qualifiée d’archaïque. Il préconise, à l’exemple de la Française des Jeux l’instauration d’une société anonyme. S’ils en ont le courage les candidats aux différents sièges des élections en référence ici devront reprendre la balle au bond avec des arguments clairs et nets. La formule actuelle, même si elle n’est pas parfaite, évite au moins les convoitises et intérêts privés cherchant prioritairement « à se faire du blé » quitte à priver les chevaux d’avoine. Plus prosaïquement, aucune assurance ne serait donnée aux « associés » propriétaires socioprofessionnels, éleveurs pour contrôler les flux financiers et obtenir, comme c’est le cas actuellement, au moins 8% nets du chiffre d’affaires, 10% pour l’Etat et 2% de taxes diverses et 80% pour les joueurs. Cela représente, en chiffres arrondis, sur 10 milliards environ annuellement des apports vitaux pour des bénéficiaires non anonymes et dans un contexte de régression générale des enjeux.
Le langage feutré de la tutelle
Stéphane Le Foll, Ministre de l’Agriculture et Christian Eckert, Secrétaire d’Etat au Budget, ont adressé début septembre une lettre ouverte aux dirigeants de la filière hippique. Un modèle de langue de bois pour à la fois tout dire et ne rien dire concernant la situation médiocre du secteur économique concerné. En voici quelques extraits qui se passent de commentaires tant les termes en sont ampoulés. Au sujet du déficit de 40 millions, il est écrit « nous avons demandé que les modalités du retour à l’équilibre des comptes nous soient présentées. Les conditions du lancement du nouveau Longchamp imposent que cette opération sur les finances du galop soit maîtrisée. Cette rénovation doit s’accompagner notamment de la fermeture d’un autre hippodrome parisien » (NDLR, lequel ? et qui en décidera ?). «La filière détient, nous en avons la conviction, les clés de son développement». Les instances dirigeantes en ont incontestablement pris conscience et là encore c’est beau comme de l’Antique : «L’Etat sera toujours à vos cotés pour vous apporter un soutien jamais démenti sur la voie du redressement et des efforts partagés». Les ministres n’ont certainement guère d’illusions sur le présent et sur l’avenir qui ne leur appartient pas davantage. En effet, tout en étant bien traitée par le gouvernement actuel, la plupart des leaders voire même la base de la filière, n’espère qu’une chose, le retour aux affaires de leurs amis Nicolas Sarkozy et Eric Woerth. Ceux-ci pourtant n’ont été ni plus ni moins gentils envers l’institution. Mais le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas.