Les sociétés de courses fonctionnent selon la loi de 1901 d’associations à but non lucratif. Pourtant, elles génèrent, via le PMU, un chiffre d’affaires très élevé de 10 milliards, presque essentiellement les paris hippiques. Elles sont placées sous la tutelle de deux ministères : l'économie et l’agriculture, en charge surtout de la règlementation des compétitions et du code. Le plus souvent, les ministres de la rue de Varenne ne montrent pas beaucoup d’intérêt pour le secteur, si ce n’est pour de grandes décisions. Par exemple, Michel Rocard avait été le principal instigateur, en 1983, d’une réforme démocratisant les statuts des sociétés de courses : un décret imposait des élections pour faire partie des comités directeurs, avec une représentation paritaire de cooptés et d’élus, propriétaires, entraîneurs ou éleveurs. Cela s’était passé sans trop de difficultés, grâce au charisme de celui qui était alors le tuteur rue de Varenne. Les dirigeants s’étaient inclinés d’assez bonne grâce finalement, en l’occurrence le président Hubert de Chaudenay. A cette époque, pourtant pas tellement lointaine, les « gens des courses », surtout ceux du Galop, conservateurs et membres du jockey club en majorité, étaient terrorisés par l’arrivée de la gauche au pouvoir. Certains allaient même jusqu’à annoncer « l’invasion de Longchamp » par les chars rouges.
Une lettre qui fait du bruit
En 4 décennies, les passions se sont calmées, mais de façon tout à fait normale et légale, Bercy exerce son rôle de contrôleur des recettes et dépenses. Directement intéressé à la répartition des flux financiers, en effet sur près de 10 milliards de chiffre d’affaires du PMU au cours du dernier exercice, la répartition est la suivante grosso modo : 72 % de retours aux parieurs, 14 % pour les organisateurs, le PMU d’abord, la gestion des sociétés et les allocations de courses ensuite, et près de 14 % directement en retours ou en ponctions pour les finances publiques. Or le Ministre du Budget, Christian Eckert, vient, comme l’a écrit Sylvain Copier dans Paris-Turf, de « sortir de l’ombre », adressant une lettre cadrée et sévère au président de France Galop, Bertrand Bélinguier, et dont la spécialité est particulièrement dépensière, et à Dominique de Bellaigue, son alter ego au Trot. Il écrit notamment « nous vous encourageons à poursuivre vos efforts en diminuant le montant d’allocations qui ces dernières années ont cru de façon disproportionnée par rapport au niveau des prix à la consommation ainsi qu’à l’évolution des enjeux sur les paris hippiques ». Ceux-ci, en effet, après une période ascensionnelle, jusqu’à 10 % de plus certaines années, subissent, en 2014 et encore cette année, au premier trimestre, une régression de moins 2,8 %. La crise économique nationale en est la cause principale mais également la concurrence accrue de la Française des Jeux qui ne cesse d’attirer de plus en plus d’adeptes, aussi bien pour le Loto que les paris sportifs, jeux à grattage, en dur ou en ligne. Contrairement à ce qui avait été espéré, l’ouverture à la concurrence des jeux par internet, voulue en 2009 par Nicolas Sarkozy et son gouvernement, très proche d’opérateurs de jeux en ligne, a été très néfaste à la filière des courses. Elle ne récolte que des miettes des investissements des joueurs, notamment les jeunes, très peu intéressés par le pari hippique.
Cette situation inquiète donc autant la tutelle, d’où sa lettre de mise en garde, que les propriétaires, entraîneurs ou éleveurs, à tous les étages de la compétition. Pourtant, comme si de rien n’était, la marche en avant, presque à l’aveuglette, se poursuit en puisant sur les réserves des années précédentes.
Que de belles phrases
Accusés plus ou moins ouvertement d’une gestion laxiste, les intéressés n’apportent que des réponses dilatoires à leur mise en cause. Ils arguent de la création d’un groupe de travail et de réflexion, un plan stratégique qui selon eux aurait des effets quasi miraculeux… en l’an 2000. Les réunions se succèdent pour trouver des solutions à la crise, mais sans préconiser de véritables décisions, sinon de belles phrases d’autosatisfaction : par exemple « la réussite du PMU est conditionnée par la solidité des courses (Xavier Hürstel, énarque, nouveau Président du PMU) » ou encore « face à une concurrence de plus en plus forte, des acteurs du marché du divertissement et des loisirs, nous devons être capables de nous réformer pour garder notre clientèle, la renouveler et retrouver les moyens de notre croissance et de notre développement ». Voire encore, à l’issue d’une grand-messe réunissant, le 11 février, les principaux affidés dans les salons de l’Automobile Club de France, place de la Concorde (coût : 34 000 €), cette autre florilège « le seul spectacle sportif associant l’homme et le cheval qui allie authenticité et modernité, riche d’émotions démultipliées par le pari ». Le communiqué de presse titrait « Une attractivité retrouvée grâce à une modernisation en profondeur » et concluait « avec ce plan […] c’est en redonnant toute sa place aux courses dans l’univers des jeux et loisirs que l’institution garantira la pérennité économique et le niveau d’emploi de toute la filière hippique française ».
C’est beau comme de l’antique, on croit rêver.
Tous les autres textes ou slogans, notamment de la Direction du marketing et de la communication de France Galop (l’inénarrable Monsieur Giletta), sont de la même veine, tandis que les hippodromes se vident et que les bureaux de PMU, à Paris comme en Province, voient leur clientèle se restreindre chaque jour. Sur le terrain, c'est-à-dire les différents champs de courses, la situation, en effet, devient de plus en plus critique. Les turfistes ne se déplacent plus : quelques centaines de fidèles seulement en semaine et risquant d’être de moins en moins nombreux dans les années à venir. En effet, (contrairement au Trot qui a une politique très différente avec une offre d’entrées à moins de cinq euros, assortie de tickets de paris gratuits), chez les pur-sang, on voudrait faire payer les entrées à des tarifs comparables à ceux des loges du Parc des Princes pour le Paris-Saint-Germain. Plus grave encore, a été décidée la fermeture du service dit PMH, c'est-à-dire les jeux en direct aux guichets des champs de courses. Un reclassement d’une partie des 127 salariés est prévu au PMU, d’autres faisant valoir leur droit à la retraite. Mais la fermeture des guichets induirait également la fin du lien social, de la convivialité, où se retrouvent en files d’attente les gros parieurs comme les turfistes d’un jour. Les tablettes ou bornes automatiques n’ont rien de bien convivial. Les salariés commencent à s’inquiéter de la dégradation de la situation financière et du blocage des salaires. Devant le refus de France Galop (423 permanents) d’accorder 1 % d’augmentation cette année, une délégation syndicale a occupé la piste de Saint-Cloud le 14 avril, retardant d’une dizaine de minutes le départ de la course du Quinté, devant les caméras de télévision et des reporters ébahis et muets devant ce spectacle inhabituel... et tant d’audace.
Huit hippodromes pour France Galop
Les courses de plat et d’obstacles, en région parisienne et assimilées, se disputent sur 9 hippodromes : Auteuil et Enghien pour l’obstacle, Longchamp, Chantilly, Maisons-Laffitte, Saint-Cloud, Deauville, Compiègne et Fontainebleau pour le plat. Cela peut sembler pléthorique, vu de l’extérieur, et plus prosaïquement coûteux car chaque terrain demande un personnel qualifié pour l’entretien des pistes et des salariés assurant l’administration et la bonne marche de toute réunion. On peut s’étonner que les autorités de tutelle ne se montrent pas plus exigeantes dans le cadre du souci de gestion ci-dessus expliqué, pour demander que soient « nettoyées » les écuries d’Augias. Nous avons évoqué, dans un article publié à la veille de l’Arc de Triomphe, le cas de Longchamp. Considéré comme la pièce maîtresse de l’image de marque des courses internationales, ce site appartenant à la Ville de Paris, comme Auteuil d’ailleurs, est l’objet d’une controverse. Sans être vétuste, il est cependant peu fonctionnel, voire amianté, et inadapté aux grandes réunions des mois de juillet (Grand Prix de Paris) et d’octobre (Arc de Triomphe). Un projet pharaonique est à l’ordre du jour, très coûteux, de près de 200 millions. Le président du Galop, Bertrand Bélinguier, probablement réélu à ce poste en fin d’année, tient mordicus à sa concrétisation, s’appuyant sur une campagne de lobbying forcenée. Notamment 3 pages de plaidoyer pro domo dans Paris-Turf. Il est déjà envisagé de fermer le site du Bois de Boulogne pendant deux ans, pour le transférer provisoirement à Chantilly, cité chère à Eric Woerth, l’ami de la famille (leurs épouses ont fait courir sous une même casaque). Chantilly a été récemment modernisé avec l’aide notamment de la Région, de la municipalité mais aussi de son altesse l’Aga Khan et de la famille Wildenstein, véritables mécènes de ces travaux.
Pour Longchamp, ce sont les grands propriétaires du Qatar qui seraient disposés à assumer les frais. Une assurance de leur part aurait déjà été donnée pour la « prise de contrôle » et la privatisation de la tribune dite présidentielle, où ils pourraient recevoir leurs amis et connaissances, notamment au grand week-end de l’Arc de Triomphe. Tout cela reste encore en pointillés, la municipalité parisienne a donné un accord de principe seulement, puis maintenant pourrait être plus réticente à encourager une sorte de fuite en avant, dépensière et risquant de contrarier Bercy.
Les HLM de Saint-Cloud
Ces dernières semaines, une bombe a éclaté, mettant en émoi les élus de l’ouest de Paris, et plus précisément de Saint-Cloud et des communes avoisinantes des Hauts-de-Seine. C’est Le Parisien qui dans son édition du 11 mars a levé le lièvre avec ce titre « 6 000 logements envisagés à la place de l’hippodrome ». Un vaste projet sur 65 hectares du site appartenant à France Galop. L’initiative vient du ministère du logement dans le cadre d’une Opération d’Intérêt National où c’est l’OIN, et plus concrètement le Grand Paris qui intervient et délivre les permis de construire. On évoque 520 000 m² habitables et 70 000 m² d’activités tertiaires et d’équipements. En partie des HLM, mais également des accessions au logement de particuliers ou de sociétés financés par ceux qui veulent devenir acquéreurs. Des espaces verts et des jardins sont également inscrits dans les premiers libellés du projet pour ne pas déplaire aux écologistes. Plusieurs opérations du même genre sont en cours de concrétisation notamment à Aubervilliers sur un lieu-dit Le Fort, actuellement propriété de l’armée. Il ne soulève pas de grosses oppositions car il n’est pas susceptible de modifier les tendances électorales d’un département détenu en majorité par le Parti socialiste et le Parti communiste.
Par contre, dans l’Ouest parisien, l’implantation d’HLM et donc d’électeurs nouveaux, d’essence plus populaire, fait frémir Patrick Devedjian, récemment réélu à la tête du département et tous les maires, notamment ceux de Rueil, Saint-Cloud et Suresnes.
Ce dossier, dit « Les ateliers du Grand Paris objectif 2020 », comporte 33 sites à l’étude, 70 000 logements par an puis 200 000 au total. Il est pris à bras le corps par les ministres concernés comme au plan des départements de la couronne. Il en a été question, lors de l’assemblée générale des maires de l’Ile de France au cours de laquelle le Préfet de région a précisé la volonté de l’exécutif d’avancer rapidement, afin d’éviter que certains (dans les Hauts de Seine notamment, on y revient, et plus précisément à Saint-Cloud) ne jouent la montre, dans l’attente d’un changement de majorité à tous les niveaux dans l’exécutif en 2017. Ainsi, l’Office du Logement pourrait être amené à réquisitionner les terrains si les maires n’acceptent pas les propositions de ventes aux tarifs fixés par les domaines.
En quelques sortes un avertissement sans frais.
Des recettes inespérées
La société France Galop, dès qu’elle a eu connaissance du projet d’immobilier sur « son hippodrome », a rejoint dans leur contestation les maires du 92. Ses dirigeants ont tout autant manifesté une opposition radicale, à l’ « expropriation » d’un hippodrome et de terrains qui lui avaient été en quelques sortes légués par la succession Boussac il y a quatre décennies, et pour lesquels les célèbres promoteurs Balkany avaient « à l’époque » manifesté de l’intérêt, flairant la bonne affaire.
Depuis, la situation a évolué : vingt-cinq réunions de courses maximum sont inscrites au calendrier de Saint-Cloud chaque année. Les mieux dotées, dites courses de groupes, réunissent très peu de partants et ne sont pas rentables. Tout cela coûte cher. Et en période de crise, paraît injustifié. Même si Bertrand Bélinguier et son conseil d’administration affirment que la fermeture ou l’expulsion serait « dramatique pour la filière », sous prétexte que les compétitions de Saint-Cloud ne sont pas transférables puisque disputées sur un parcours à nul autre pareil (techniquement ce que l’on appelle corde à gauche… personne n’est parfait). Cette thèse semble légère. Pourrait-il s’agir d’un jeu de rôles ? En effet, même si l’acquisition par l’établissement public foncier d’Ile de France et autre organisme, en accord avec les ministères de tutelle, ne se ferait pas au prix fort du marché, France Galop toucherait cependant certainement en échange une somme rondelette, bienvenue en période de manque de recettes comme nous venons de l’expliquer. Et surtout induirait une économie d’échelle et de gestion allant dans le sens des directives du ministre de tutelle. Les courses de Saint-Cloud pourraient être transférées à Maisons-Laffitte, dont le pétulant maire Jacques Myard (UMP) craint, de son côté, des mesures de restriction de l’activité de son hippodrome ; et d’un centre d’entraînement qui, contrairement à celui de Chantilly, est occupé par de petits propriétaires et entraîneurs de base, souvent en difficulté financière, et pour lesquels les terrains mansonniens sont la raison de vivre.
En somme à tous les étages, la boucle est bouclée. Un jeu de rôles et une comédie humaine hippique, mais pas pour autant épique.
Guy de la Brosse, ancien chroniqueur hippique au Monde, directeur de La Tribune Hippique.