Depuis notre dernier article (27 juin), les courses hippiques restent en manque de recettes. La situation économique de ce qui est appelé pompeusement « l’institution des courses » ne s’est pas améliorée. Au contraire, le chiffre d’affaires du PMU se dégrade nettement sinon inexorablement, l’engouement pour les paris sportifs, particulièrement lors de l’Euro de football, a certainement encore comblé l’écart entre la Française des Jeux et le GIE PMU ; les turfistes boudent manifestement une offre qui ne se renouvelle pas et proposent midi à quatorze heures dans ses initiatives de promotion décalées de la réalité.
Ainsi, la campagne dite « Epiqe » (voir également notre précédent article) a tourné au fiasco cet été, la course vedette avec parade des jockeys et des chevaux dans des épreuves sélectionnées au calendrier ne réunissait le plus souvent qu’une demi-douzaine de partants maximum. Aucun support ludique n’étant prévu pour la rendre plus incitative à parier.
Comme en politique, le décalage est évident entre le langage officiel et celui de la base, de la rue, des stades ou des points de vente. Mais chacun rejette sa responsabilité sur l’autre. Le pari mutuel urbain fonctionne, il faut le rappeler, une fois encore, sous le régime peut-être obsolète d’un GIE composé à parité de représentants de l’Etat et des sociétés organisatrices. Or, on a pu entendre lors d’une conférence de presse du PDG du PMU, Xavier Hurstel, « Le PMU s’adapte à un monde en perpétuelle évolution », cette affirmation se voulant étayée par des arguments plus ou moins convaincants et des statistiques également souvent théoriques. Aucune annonce sur la réforme du quinté (les bonus) et sur les réelles raisons de la décroissance. Il s’agissait pourtant là encore, sans oser le dire, d’une réponse à une diatribe, voire une mise en demeure d’Edouard de Rothschild, Président de France Galop, qui quelques jours plus tôt, devant les adhérents du syndicat des éleveurs, s’était montré sévère envers la gouvernance dont pourtant il est membre actif, en tant que membre du Conseil d’Administration, avec ses homologues du trot. Il basait son intervention sur cette mise en demeure ou presque « le PMU doit très sérieusement se ressaisir » ; « redynamiser significativement le pari hippique (sous-entendu par rapport au poker ou aux paris sportifs en ligne qui font maintenant également partie de la panoplie), il faut faire preuve d’un très grand volontarisme et d’esprit de conquête ».En somme, demain on rasera gratis.
Sur le terrain et le Président de France Galop en est certainement conscient, comme la plupart de ses assujettis, des observateurs et du public, le meeting de la côte Normande a été désolant sur plusieurs points et particulièrement le petit nombre de chevaux dans les courses de groupes qui, en principe, constituent la vitrine et devrait entraîner des recettes conséquentes. Moins de 6 concurrents dans la plupart des courses de sélection dont le Prix Morny et le Grand Prix de Deauville. Beaucoup d’entraîneurs de base avaient jeté le gant dès la publication des engagements sachant que les chevaux venus d’ailleurs, les britanniques surtout, étaient d’avance quasi certains de rafler la mise.
Autre sujet à inscrire au tableau noir, au sens propre du terme, l’accident mortel survenu dans une course faisant partie des meilleures au mois d’août, le prix Maurice de Gheest : la chute mortelle, tout prêt du poteau d’arrivée, de Gold Fun qui se fracturait les deux antérieurs –ce qui est très rare aux abords du poteau-. Aussitôt, pour masquer au maximum l’accident, il était caché au public le plus possible, en envoyant de toute urgence un paravent pour que la mise à mort du cheval, par le vétérinaire ne soulève émotion et protestation. Puis, la dépouille était embarquée dans un van funéraire. Le jockey Christophe Soumillon, numéro 1 de sa profession, manifestait beaucoup plus de retenue et demandait à ne pas monter d’autres chevaux en cours de réunion.
1 million 400 000 euros pour un trèfle à 4 feuilles
Les ventes de yearlings à la mi-août restent très suivies depuis des décennies, autant par les professionnels des courses et de l’élevage que par le public qui se presse dans les travées de l’établissement Elie-de-Brignac, pour assister, surtout lors des premières vacations, à des enchères très élevées pour l’acquisition de chevaux d’un an présentés par des éleveurs de tous les continents. Chaque année, on attend que le marteau du commissaire-priseur frappe le dernier coup, celui de l’adjudication sur un poulain payé les yeux de la tête par un investisseur, le plus souvent conseillé par des intermédiaires à la recherche d’une belle commission. Le top-prices –excusez cet anglicisme qui est celui de la plupart des intéressés- a été consenti cette année par une pouliche fille de Galiléo et Prudenzia avec pour acheteur, bien peu transparent, P & R DOYLE / MV MAGNIER / MAYFAIR SPECTULATORS. Le même trio enlevait également pour 650 000 euros une autre fille du même étalon née elle aussi au haras des Monceaux. Dans l’ensemble, les vacations vedettes ont été légèrement inférieures aux années précédentes mais ne constituent pas l’essentiel de notre observation. Il est indéniable que les sujets achetés les plus chers ne sont jamais les meilleurs, en compétition et que souvent même « ils ne voient jamais un champ de course ». Peter Head qui avait beaucoup d’humour avait un jour lancé cette boutade : « Je veux bien parier que le cheval payé le plus cher à Deauville ou ailleurs n’a une chance d’amortir son prix d’achat que si une fois au pré, il trouve à brouter un trèfle à 4 feuilles ». Mais trêve de plaisanterie, il s’avère de plus en plus que les courses de groupes chez les pursang en France, en Angleterre et sur les autres continents restent l’apanage d’un groupe limité de propriétaires anglais, américains, asiatiques, et évidemment saoudiens et qataris. Ils font courir et cherchent à faire briller leurs couleurs non pas pour l’honneur –un mot qui ne fait pas partie véritablement de leur vocabulaire-. Mais davantage, sans jouer sur les mots, plutôt pour les honneurs et pour damer le pion aux autres richissimes investisseurs qu’ils détestent le plus souvent. Même pas un jeu de rôles. L’amour du cheval et de la course en elle-même, on le trouve chez les petits propriétaires en plat comme en obstacle, de moins en moins nombreux malheureusement. Inquiets de voir que les dirigeants ne se soucient peu de leur permettre d’exercer leur passion à Maisons-Laffitte particulièrement faute d’un minimum d’espoir de retour sur investissement.
Il y a deux exceptions qui infirment notre prise de position sévère mais juste : un entraîneur Jean-Claude Rouget formé à l’école de la Province et de son père, avant lui entraîneur dans l’Ouest. Il s’est installé il y a plusieurs années à Pau. Il a la grosse tête, juste ce qu’il faut, pour se satisfaire d’une réussite professionnelle remarquable. Il ne paye jamais un yearling, parmi les top-prices, mais plutôt aux environs de 300 à 500 000 euros sélectionnés sur leurs modèles, leurs origines. Beaucoup de propriétaires lui font évidemment confiance pour l’Arc de Triomphe dimanche prochain. Il avait une première chance avec une pouliche invaincue, La Cressonnière, une fille de l’étalon français Le Havre appartenant à un propriétaire également bien de chez nous, M. Augustin Normand. Malheureusement, elle ne courra pas, ce qui enlève un intérêt un peu fleur bleue à la compétition numéro 1 du galop en France qui va se courir à Chantilly, au lieu de Longchamp en travaux pour encore plusieurs mois. Les délais de rénovation et de nouvelles constructions ne seront pas respectés par l’entrepreneur Bouygues. L’addition pour France Galop, qui s’est lancé là dans une folle aventure, sera certainement encore plus élevée que les 120 millions prévisionnels.
La bombe au cobalt
Les dirigeants de la « Société d’Encouragement Au Cheval Français », qui pour faire plus mode, intitule maintenant leur activité sous l’appellation « Le Trot », adopte toujours le langage d’une parfaite solidarité envers ses homologues du galop. Ils évitent de se glorifier de finances relativement saines grâce à des provisions sur les exercices positifs précédents et des frais de gestion et personnels moins élevés et 4 hippodromes majeurs (Caen, Cabourg, Enghien, Vincennes), au lieu d’une dizaine au galop. Ils ne veulent pas entendre parler de modifications des statuts (type non lucratif loi 1901) et pas davantage, on y revient, à une révolution statutaire qui permettrait de mieux lutter contre la concurrence. Les trotteurs sont la plupart élevés et entraînés dans l’Ouest : Normandie Bretagne, Maine-Anjou. Ils courent à partir de l’âge de 2 ans jusqu’à parfois 10. Ils sont donc mieux connus que les pursang dont les vedettes ne dépassent guère 3 années en public. Les professionnels, issus également du terroir, ont des rapports ouverts avec la presse hippique et connaissent parfaitement leurs chevaux puisque ce sont eux qui les « travaillent » le matin dans leurs établissements. Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’à la mi-septembre où une bombe a éclaté. 4 pensionnaires de l’entraîneur Fabrice Souloy ont été contrôlés positifs après leur course en Suède et en Norvège. Des taux de cobalt auraient été relevés dans leurs analyses à une dose élevée due à une injection par voie intraveineuse. Etant donné que Fabrice Souloy est à la tête d’un effectif nombreux parmi les leaders de sa profession, l’information a évidemment fait l’effet d’un coup de tonnerre. Le fait qu’une interdiction de la participation des chevaux mis en cause ait été immédiate n’a pas calmé les commentaires et les interrogations. Les langues se sont déliées avec des accusations ou des suspicions pour l’instant impossibles à confirmer, y compris le fait que le père de Fabrice Souloy, jusqu’à ces dernières années, Médecin Chef au Service d’Anesthésie du CHU de Caen soit expert en ce qui concerne le cobalt utilisé notamment pour les soins anticancéreux à dose plus ou moins forte.
Sophie Dham et Fabrice Theil, dans Paris Turf du 11 septembre, ont cadré le problème. Ils ont écrit notamment « le cobalt appartient à la famille des oligo-éléments. Il est présent en quantité infinitésimale dans l’organisme, apporté par l’alimentation. Il est démontré qu’il stimule la production de globules rouges, développe l’endurance avec un effet similaire à celui de l’EPO. Il peut améliorer les performances. A petite dose, il peut être administré au cheval soit par des traitements vétérinaires autorisés soit sous la forme de compléments alimentaires enrichis en vitamine B12 dont il est l’un des composants ». Il faut savoir aussi que ce sont des trotteurs américains qui ont été les premiers détectés comme dopés au cobalt. Ensuite, au galop également plusieurs entraîneurs se retrouvaient considérés comme responsables dans de nombreux cas. Et cela parmi les meilleurs de la profession. En Europe, les « cobaltais » de Scandinavie sont les premiers incriminés. Mais pas les derniers. Le début d’une longue histoire ? C’est en effet, là que commence probablement une longue histoire. Un vétérinaire autorisé et en poste au laboratoire de détection sur les chevaux de course auquel je demandais son point de vue sur ce dossier, m’a répondu à la normande « nous ne cherchions que ce que l’on nous demandait ». Il semblerait en effet que jusqu’à maintenant, il n’y ait pas eu de résultats positifs, au trot comme au galop, parce que la molécule n’aurait pas été systématiquement chassée.
Devant le séisme qui met en cause toute la crédibilité des contrôles et une rumeur qui se répand laissant entendre que Fabrice Souloy n’aurait pas été le seul, ou le premier, à dépasser largement la ligne jaune, les instances nationales (Fédération, SECF, France Galop) mais également l’UET (Union Européenne du Trot), jouent la carte de l’extrême prudence. Ils expliquent que des procédures sont enclenchées mais à marche lente. De même, la justice sera nécessairement saisie. On peut douter parallèlement d’une intervention autoritaire de la tutelle (Ministère de l’Agriculture) qui en pleine période électorale tient à rester le plus possible en dehors d’un dossier brûlant. A la société du Cheval Français la prudence reste tout autant de mise avec le principe « dans le doute, abstiens-toi » tout en affirmant une volonté de nettoyer, s’il le faut, les écuries d’Augias. A supposer qu’une cascade de cas positifs soit avérée, les retombées risquent d’être considérables et la méfiance des parieurs accrue. Les scandinaves vont être voués aux gémonies et nos chers dirigeants troublés dans leur quiétude. Quelle horreur, alors que l’on est si tranquille chez nous et entre amis.
Guy de la Brosse
Directeur de la Tribune Hippique