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Docteur en Sciences économiques, chargé de cours à l'université, enseignant en lycée, bref : "économiste"

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Billet de blog 14 juin 2024

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Le macronisme porte en lui la guerre sociale

C’est le macronisme qui a amené l'extrême-droite aux portes du pouvoir. Ce capitalisme libéral a dégradé profondément les services publics, ciment du vivre ensemble. Ce qui creuse les inégalités et attise la colère sociale. L'extrême droite engrange le vote de rejet et promet la protection d’un État ...qu’elle s’apprête en réalité à effondrer davantage. Si espoir il y a, il est à gauche.

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Sept ans de présidence Macron nous ont conduit là : l’extrême-droite est aux portes du pouvoir.

Qu’est-ce que le macronisme, en termes d’économie ? Ce n’est ni plus ni moins qu’une forme assez pure de libéralisme économique. Le terme libéralisme est, souvent à dessein, utilisé de manière confuse.

Le libéralisme peut être politique : c’est le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, à élire leurs représentants et à peser ensuite sur eux par les corps intermédiaires, le dialogue social, la manifestation, la grève et les autres droits d’expression inscrits dans notre Constitution.

Le libéralisme peut être moral : c’est le droit de conduire son existence personnelle selon ses choix, ses croyances, son orientation sexuelle ; le droit de s’unir, de se séparer, d’avorter.

Aucune de ces libertés n’est absolue. Les sociétés humaines ont créé des règles stables pour les encadrer, les institutions. Le droit de vote est encadré, comme le droit de grève, la liberté d’expression ou l’avortement. Le code du droit de la famille est aussi épais que le code du travail.

Historiquement, le libéralisme économique a d’abord consisté à établir à liberté d’entreprendre et de faire commerce. Cette liberté a été établie et encadrée. Aujourd’hui, il consiste à affranchir la liberté économique autant qu’il est possible des règles et des limites instituées, que les libéraux nomment « entraves » ou « rigidités », ou encore « obstacles à la compétitivité », le nouveau totem.

Elles sont pourtant nécessaires. Car, pas plus que les autres désirs humains, le désir de profit ne comporte en lui-même de limite. C’est une soif inextinguible. Nicolas Hulot voyait dans notre « inaptitude à la limite » la cause de notre malheur écologique. Consommer et produire toujours plus. Aujourd’hui, « le » pays du libéralisme économique est celui où l’on peut vendre et acheter des armes, des organes, son sang, son assurance maladie et sa pension de retraite. Tout cela fondé sur la croyance, car c’en est une, dans les bienfaits de la liberté de rendre tout marchand. Au nom de la liberté économique, la compétition de tous contre tous est supposée conduire à la meilleure stituation possible. Le macronisme repose sur la conviction que les entreprises privées et leurs actionnaires feront toujours les meilleurs choix et que la société y gagnera toujours à la fin.

Mais dans les faits, lancé dans une course sans fin au profit, le capitalisme débridé attaque les institutions, les lois et les règlements, c’est dans sa nature. Des cohortes d’avocats et de lobbyistes sont recrutés au service des plus forts et des plus habiles dans le champs de la marchandise : les marchands.

Les idées économiques ont des effets politiques

Comme toute croyance, celle-ci produit des effets. Elle se traduit d’abord par la mise de l’État au service des intérêts économiques et financiers, du capitalisme. En mai 2022, après deux ans de travaux, les économistes lillois du CLERSÉ ont recensé les aides et subventions versées chaque année par la nation aux entreprises privées. En croissance constante depuis les années 1980, elles se montaient à 157 milliards d’euros en 2022. Si c'était un budget, ce serait le premier de la nation.

Des sommes versées sans exigence de contreparties. Et quand de rares travaux parlementaires évaluent leur efficacité, les résultats sont cruels. Tel le CICE (2013) : officiellement lancé pour soutenir la compétitivité et l’emploi, il n’a eu d’effet mesurable ni sur l’investissement ni sur la compétitivité et chacun de la centaine de milliers d’emplois créés, un échec, a coûté a minima 120.000€ par an. Chaque firme bénéficiaire a reçu plus de 10.000€ par mois pour créer un emploi qui lui a coûté moins de la moitié, « charges sociales » comprises. À titre de comparaison, un des 350.000 emplois créés par la loi des 35 heures a coûté en moyenne 12.800€ annuels, soit 1070€ par mois (rapport Romagnan, 2014).

Il y a aussi les signes d’allégeance donnés aux capitalistes. Comme la limitation des possibilités de recours aux tribunaux des prud’hommes pour les salariés et le plafonnement par la loi (2017) des indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif, les licenciements « sans cause réelle ni sérieuse ». Des « licenciements de confort » pour dirigeant allergique au dialogue social ou à certain visage.

La croyance dans les vertus de la liberté économique se traduit ensuite par la dégradation des services publics, de manière directe et indirecte.

Choc frontal, d’abord, par l’ouverture à la concurrence, la « libéralisation » ou la privatisation. Pour le courrier, les colis, l’électricité et le gaz, les aéroports, le train, les autoroutes, les stades, les jeux d’argent et cetera. Ces activités que le Front populaire ou le CNR avaient retiré des mains des capitalistes leur sont rendues, nouveaux terrains de jeu et de profit. Des autorités de surveillance sont instituées, mais insuffisamment armées pour contenir la soif de profit des capitalistes. La rente autoroutière privée l'illustre dramatiquement.

Choc frontal, ensuite, quand les capitalistes s’efforcent d’échapper autant que faire se peut au devoir citoyen d’acquitter leur juste part des impôts, taxes et cotisations sociales au bénéfice de la collectivité. Leur vision du partage du gâteau c’est de servir premiers les actionnaires et les dirigeants, puis les salariés, s’ils sont en état de négocier ou de nuire, enfin l’écologie, s’il reste des miettes. La bourse et le montant des dividendes versés volent chaque année de record en record. Le taux de l’impôt sur les sociétés a été ramené de 33 % en 2017 à 25 ou 15 % en 2021 tandis que la part des salaires dans le revenu national (PIB) continue à stagner loin du niveau des Trente glorieuses (5 points de PIB en dessous).

Les effets indirects sont plus dévastateurs encore.

Les recettes des prélèvements obligatoires, les impôts et taxes qui financent l’État et les cotisations sociales qui financent la Sécurité sociale, sont donc comprimées, sous le prétexte fallacieux de nécessaires et possibles gains de productivité, d’efficacité. Las, les services publics sont des services soumis à la maladie des coûts (William Baumol, 1967, 2012). Ce qui signifie que ces activités ne sont ni mécanisables ni automatisables, et qu’elles ne peuvent par conséquent pas coûter moins cher. On ne peut pas jouer un quatuor de Mozart à trois. Un professeur ne peut enseigner à 35 élèves, une infirmière soigner 40 malades, un policier poursuivre 50 délinquants, un gardien surveiller 80 détenus, un soldat défendre la Nation avec moins d’équipement et de munitions. Le prix du service public, c’est le prix de la civilisation. Assécher ses recettes ne peut que le dégrader. Les classes ferment dans les zones rurales, les tribunaux sont engorgés, la police n’endigue pas l’insécurité, l’hôpital et le système scolaire dysfonctionnent et peinent à recruter. Et cetera, ad libitum, ad nauseam.

C’est le nœud du problème, car le service public est la base du contrat social : le fait que les impôts de tous financent l’accès à la santé, à l’éducation et à une certaine égalité des chances, à la sécurité au quotidien, aux secours en cas d’accident ou d’incendie, au droit à la retraite avant la vieillesse, à la dignité, pour tous, c’est notre trésor national le plus précieux. C’est l’héritage de tous les combats menés pour mettre de la sagesse dans le monde de brutes que produit le règne des marchands. Des combats gagnés le plus souvent suite à des catastrophes, quand la poigne de fer du capitalisme se relâche. La première loi sociale française (1841) voulait mettre fin au travail des enfants. L’impôt sur le revenu, après 7 ans de débats parlementaires, n’a été installé qu’en 1919, la Sécurité sociale qu’en 1945.

Dès que la bride est relâchée, le capitalisme creuse à nouveau les inégalités : des conditions de vie, des chances, et à la fin, des droits. Il dévaste à nouveau le corps social et en prime l’écosystème, sans limite. La dégradation continue des services publics produit la colère sociale et le dissensus. Une fois imposée dans les esprits par le matraquage de ses éléments de langage, par l’enrôlement et le contrôle progressif des médias, en un mot par la propagande, la croyance produit son effet. Quand l’opinion a été convaincue que le monde marchand est la seule voie possible, le seul mode de relation sociale légitime, que par conséquent la destruction des services publics est inscrite dans l’ordre des choses, le quotidien devient violent pour les plus fragiles, pour les moins armés, pour tous ceux dont le meilleur talent n’est pas le commerce et la compétition : pour la grande majorité des classes moyennes et populaires, la grande majorité de la Nation. Voir ses parents galérer, renoncer à des études, ne pas trouver de logement abordable, retourner vivre chez ses parents, voir ses parents galérer, en être réduit à prendre un boulot de merde (bullshit job), c’est violent. Alors l’espoir de vivre mieux s’en va, sauf pour ceux qui vivent (tout) en haut de la pyramide. Les capitalistes gagnent la guerre économique contre le reste de la société-marchandise et la nature-marchandise, et ils ouvrent ainsi la voie à la guerre sociale.

Le nombre des perdants grossit et ils cherchent des solutions et de l’espoir ailleurs. L’extrême-droite offre un exutoire à la frustration, une victime expiatoire coupable de tous les maux, l’étranger. La peur de l’autre et de la différence, hystérisée par des médias à l’affût du moindre buzz et aggravée par l’effet de renforcement d’opinion des réseaux sociaux font leur œuvre et la victoire est promise aux partis de la haine et de la rancœur. Comme cela ne suffit pas, elle multiplie les promesses sociales, mince vernis social qui déjà s’effrite sous les promesses pro-business. Historiquement, les politiques économiques des dirigeants d’extrême-droite ont toujours été pro-business, conçues et soutenues par les économistes les plus libéraux : Mises soutenant Mussolini, Friedman et Hayek soutenant Pinochet.

La responsabilité historique de la gauche est de revenir à la racine du mal, la question sociale, et d’y répondre. Une famille dont les enfants sont soignés, enseignés, encadrés, animés, protégés, formés et employés avec un salaire digne et des perspectives, n’a aucune raison de vouloir « essayer autre chose ». L’étranger aussi cherche sa place, lui aussi veut s’intégrer socialement et vivre en paix.

La plateforme du nouveau front populaire, élaborée dans l’urgence, est crédible. Faire renaître l’espoir à gauche est la seule condition pour remobiliser un électorat trahi à de trop nombreuses reprises depuis 40 ans.

La croyance du macronisme dans le capitalisme marchand libéralisé est un poison. Mais le remède n’est pas d’entrer dans l’ère de la haine, il est que le peuple relève la tête – et le front.

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