L’état mental de ma mère se dégradant rapidement j’ai été dans l’obligation de prendre en charge un certain nombre de démarches administratives à sa place. J’ai découvert qu’elle avait omis de faire suivre une partie de son courrier que certains organismes n’avaient pas été informés de son changement d’adresse etc. etc. Pour moi c’est vraiment une corvée de m’occuper des formalités administratives et en plus pour ma vieille mère, c’est comme si je vieillissais de manière accélérée.
J’ai une phobie administrative comme l’avait dit un ministre insignifiant de Hollande, l’administration fiscale avait mis trois ans avant de le rattraper. Pour moi citoyen lambda elle a mis trois mois mais c’est une autre histoire
« Mais je vous dis que ma mère a 92 ans, qu’elle ne peut pas se déplacer que je suis son fils unique et que nous aimerions faire les formalités à distance ! Ben non je n’ai pas son mot de passe et elle n’a jamais eu d’adresse mail.
Parfois je m’imagine ce qu’aurait fait ma mère qui bien sûr ne savait pas ce qu’était Internet, qui n’a jamais eu de Smartphone, ni d’ordinateur et encore moins de tablettes et dont la mémoire s’effaçait à la vitesse grand V.
Si elle devait vivre dans le monde d’aujourd’hui, sans moi et le secours des aidants qui sont à ses côtés. Ma mère n’aurait pu appuyer sur la touche 2 ou 3 ou dièses pour discuter avec son opérateur téléphonique ou son prestataire d’électricité. Ma mère saurait-elle faire la différence entre un login et un mot de passe ? Ma mère saurait-elle converser avec un robot conversationnel ? Aurait-elle eu la patience d’attendre qu’un opérateur lui réponde ? Ayant la DMLA elle n’aurait pu distinguer son numéro de client, son numéro de contrat, que sais-je encore ! Ma mère aurait-elle pu aller sur Amélie alors qu’elle a vu un médecin généraliste deux fois dans sa vie et ignorait qu’il fallait un médecin référent ?
« Donc je dois vous écrire une lettre manuscrite signée de sa main avec photocopie du livret de famille et un justificatif de domicile ! Mais comment je télécharge le document sur son espace client puisqu’elle n’a pas de compte client et vu qu’elle ne sait pas se servir d’Internet ? »
Ma mère retiendrait-t-elle tous les codes, les mots de passe qui nous sont désormais indispensables pour pousser la porte de notre immeuble, pour payer le téléphone, faire une transaction bancaire, consultez nos comptes, réserver un billet de train. Ma Mère de 92 ans en aurait elle été capable? En plus elle avait un très mauvais caractère. Elle aurait été capable de tuer quelqu’un, car elle n’était pas du genre « bienveillante » et ni à faire dans le « résiliant ».
Je vous parlais de ma phobie administrative et plus je vieillis plus je m’emmêle les pinceaux. Je clique sur le bouton « mot de passe oublié » une bonne dizaine de fois par mois. Je pense que ma génération aura passé un tiers de son existence à dormir, un tiers à travailler ou à faire semblant et un tiers à essayer de se souvenir d’un mot de passe.
« Tous nos conseillers sont actuellement occupés à interpréter les quatre saisons de Vivaldi. »
On peut juger d’une société à la manière dont elle traite ses vieux. Il n’y a pas un opérateur d’énergie, pas un opérateur de télécom, par un e – commerçant, pas une mutuelle et pas davantage un service public qui, aujourd’hui, n’invoque sa responsabilité sociale et environnementale.
On peut aussi les juger à la manière dont elle manie la novlangue. Inclusif c’est le mot du moment quand un communiquant ne sait pas quoi dire il écrit inclusif. L’inclusion rabâchait jusqu’à l’occlusion. Cette inclusion-là, ne nous y trompons pas, ne vise qu’un seul et unique marché : celui des bons sentiments. Là, il y a du monde !
À entendre le verbiage des troubadours de la communication philanthropique, j’aurais même l’impression que « celles et ceux » qui pataugent en charentaises au fond de la fracture numérique peuvent toujours se gratter le déambulateur pour être concernés par l’inclusion. Parfois j’imagine ma mère en tenue de cosmonaute errante et perdue dans l’espace client.
« Donc je vous disais qu’elle n’a pas Internet, Et Donc pas d’espace Client. Je m’occupe de ces formalités, voilà je suis aidant. Un courrier ? Par écrit ? Signé de sa main ? C’est ça ? Merci bien… »
Alors fiston qu’est-ce qu’ils t’ont répondu ceux qui jouent du Vivaldi sur le téléphone ?
Rien maman c’est à toi de battre les cartes.