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Mammouthe à poil laineux utopiste

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Billet de blog 8 octobre 2025

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Mammouthe à poil laineux utopiste

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« Il faut rafistoler les ruines de la République ! »

La compromission comme système : chronique d’une caste accrochée au pouvoir Il faut cesser de faire semblant.

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Mammouthe à poil laineux utopiste

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La politique, celle qui s’affiche chaque soir sur les écrans et s’étale chaque matin dans les journaux, n’a plus grand-chose à voir avec l’idéal républicain ou l’intérêt général. Elle n’est plus qu’un théâtre bien huilé où quelques acteurs jouent une pièce cent fois répétée, pendant que les spectateurs — nous — paient le billet, les décors et les costumes. Ce que nous appelons « démocratie » ressemble de plus en plus à une mise en scène habile du maintien au pouvoir d’une caste, qui s’échange les rôles, les micros et les fauteuils comme on se passe la coupe d’un vin cher.

Le pouvoir politique n’est pas un lieu où l’on entre pour servir, mais pour se servir . Et dans ce champ clos, tous les moyens sont bons pour durer. Les idéaux se muent en slogans, les convictions en accessoires, et les alliances en transactions. On ne gouverne pas pour transformer la société : on gouverne pour continuer à gouverner.


I. Les princes modernes ont lu Machiavel

Nicolas Machiavel avait déjà tout dit il y a cinq siècles :

« Un prince sage doit donc ne pas tenir sa parole lorsque cela lui est nuisible. »

Nos dirigeants modernes ont simplement perfectionné l’art de cette duplicité. Ils n’arrachent plus des trônes, ils s’installent dans des fauteuils ministériels rembourrés de communication, de storytelling et de sondages. Ils ne trahissent plus en silence : ils le font sous les caméras, avec un sourire télévisuel.

La peur n’est plus celle de la vie par l’épée : c’est celle de perdre le pouvoir, ce nectar addictif qui transforme les plus honnêtes en stratèges cyniques.
Un homme politique au pouvoir n’est pas un serviteur de la nation : c’est un gestionnaire de sa propre survie.

Il avance masqué, brandissant des valeurs comme un marchand de tapis brandit sa marchandise. Et comme l’a si bien résumé Jean-Paul Sartre :

« On ne fait pas de politique avec de la morale. »

Non, on la fait avec du calcul. De la peur. Et de la compromission.


Bourdieu l’avait compris : la compromission est une structure

Ce n’est pas qu’une affaire d’individus corrompus, malhonnêtes ou vaniteux. Non. C’est pire : c’est structurel.
Pierre Bourdieu l’a montré avec une froideur chirurgicale : le champ politique est un espace fermé, doté de ses propres lois, où ceux qui détiennent déjà le pouvoir définissent les règles du jeu. Et pour exister dans cet espace, pour ne pas être rejeté à la marge, il faut s’y plier. Il faut apprendre le double langage, les alliances contre nature.

Dans ce jeu,le peuple est exclu, le capital politique prime sur toute conviction. Ce capital ne se mesure pas en idées, mais en légitimité perçue, en réseaux, en influence, en surface médiatique.
Et celui qui veut durer doit conserver son capital coûte que coûte, même au prix de toutes les trahisons.

L’homme politique devient alors une créature étrange :
– assez habile pour séduire les électeurs,
– assez docile pour obéir aux règles implicites du champ,
– assez cynique pour renier tout ce qu’il a promis une fois la porte refermée.

Il entre en politique parfois animé d’idéaux ; il en sort souvent lesté d’ambitions personnelles, englué dans la mécanique de la reproduction. Car c’est cela, la vérité nue : la politique se reproduit elle-même. Elle n’a pas besoin d’ennemis extérieurs. Elle se nourrit de sa propre inertie de sa propre perversion.


III. Les vertus deviennent accessoires

Dans le grand cirque politique, les vertus n’ont plus de valeur intrinsèque. Elles servent de décor.
La probité ? Un mot creux pour discours d’investiture.
La fidélité aux convictions ? Une variable d’ajustement pour former des coalitions improbables.
Le courage politique ? Une figure rhétorique réservée aux plateaux télé.

« Le pouvoir, c’est d’abord la faculté de trahir, et de le faire avec élégance », écrivait Paul Claudel.

Les pantins politiques actuels ont fait de cette phrase un mode de vie. Les trahisons sont aujourd’hui présentées comme des « évolutions », les volte-face comme des « responsabilités », les renoncements comme des « compromis nécessaires ». La langue politique est un atelier de blanchiment moral.

Tout est lissé, calibré, emballé pour que la compromission passe pour de la sagesse.
On explique au peuple que les renoncements sont des « ajustements pragmatiques ».
On maquille les reniements en « réalisme politique ».
Et pendant ce temps, les mêmes noms, les mêmes visages, les mêmes réseaux occupent le centre de la scène.


IV. Un cercle fermé qui se reproduit lui-même

Ce que Pierre Bourdieu appelle la reproduction est ici éclatant :
les partis politiques ressemblent à des forteresses dont les clés ne sont confiées qu’à ceux qui ont déjà appris à plaire aux gardiens.

Les écoles, les cabinets ministériels, les think tanks, les cercles d’affaires, les plateaux médiatiques forment une machine à sélectionner ceux qui savent se mouler dans la forme requise.
Le langage politique devient une langue réservée à une caste.
Et celui qui ose parler autrement est traité en intrus, en amateur, en danger.

Ainsi, les élites fabriquent de nouvelles élites, à leur image, selon leurs codes. Et les marges — celles où naissent souvent les vraies idées — sont tenues à distance, ridiculisées ou récupérées.

Dans cet écosystème fermé, la compromission n’est pas une faute : c’est une condition de survie.
On apprend à plier. À faire semblant. À servir deux maîtres : le discours public et la réalité du pouvoir.


V. Le double langage comme religion

Le double langage est l’outil central de cette machinerie.
En public, on parle aux électeurs : valeurs, démocratie, nation, solidarité, avenir.
En coulisses, on parle aux partenaires de pouvoir : alliances, équilibres, intérêts, échéances.

Ceux qui excellent dans ce grand écart sont récompensés : ministères, postes, investitures, invitations médiatiques.
Ceux qui refusent sont marginalisés, traités d’« idéalistes » ou de « populistes ».

Comme l’écrivait George Orwell :

« Le pouvoir n’est pas un moyen, il est une fin. »

Ce double langage n’est pas accidentel. Il est institutionnalisé. Il est la condition pour conserver la façade démocratique tout en maintenant le contrôle effectif du pouvoir entre quelques mains bien serrées.


VI. La croyance entretenue : la servitude volontaire

Étienne de La Boétie le disait déjà au XVIᵉ siècle :

« Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. »

Le pouvoir politique repose sur une croyance collective dans sa légitimité.
Les dirigeants le savent parfaitement. Ils savent que leur force ne réside pas seulement dans les institutions, mais dans notre acceptation de leurs règles du jeu.

Alors ils orchestrent la comédie : les débats rituels, les élections calibrées, les promesses millimétrées, les indignations de circonstance. Ils jouent aux adversaires quand ils sont alliés dans les structures, et ils se serrent la main hors caméra après s’être écharpés sur un plateau.

La Boétie parlait de servitude volontaire. Bourdieu parle de pouvoir symbolique.
C’est la même chose : une domination douce, efficace, consentie — entretenue par le spectacle politique.


VII. La compromission devient vertu d’État

Dans ce système, la compromission n’est plus honteuse. Elle devient vertu d’État.
Elle est célébrée comme « maturité », comme « responsabilité », comme « sens du compromis ».

On félicite ceux qui trahissent leurs électeurs pour maintenir une coalition bancale.
On érige en stratèges ceux qui détruisent leurs principes pour une place dans le gouvernement.
On décore ceux qui ont sacrifié leurs idées sur l’autel de la « stabilité ».

Cette inversion des valeurs est le cœur de la corruption politique contemporaine.
La trahison n’est plus un scandale : c’est une méthode.


VIII. L’indignation comme soupape

Mais attention : il faut bien donner au peuple un peu d’indignation à consommer, pour que la machine continue de tourner.
Alors on fabrique des petites affaires, des petites disputes publiques, des rivalités de façade.
On offre aux électeurs un spectacle d’oppositions, pour mieux dissimuler la solidarité tacite du système.

L’indignation devient un produit politique. Elle canalise la colère, la rend inoffensive.
Pendant que le peuple s’échauffe devant des polémiques stériles, le vrai pouvoir reste tranquille dans les coulisses.


IX. La langue politique comme anesthésiant

Le langage politique est une arme d’endormissement massif.
Pierre Bourdieu a montré que les mots ne sont jamais neutres : ils structurent la perception du réel.
Les dirigeants l’ont bien compris. Alors ils vident les mots de leur substance pour les transformer en outils de gestion symbolique.

Réforme. Progrès. Modernisation. Responsabilité. Sécurité. Europe. Nation.
Des mots totalement malléables, capables de signifier tout et son contraire selon les circonstances.

À force de répéter des mots usés comme des slogans publicitaires, ils transforment la parole politique en bruit de fond, en anesthésiant collectif.
Le citoyen n’écoute plus. Et quand il n’écoute plus, le pouvoir se consolide.


X. Le peuple comme alibi

Dans ce grand théâtre, le peuple n’est plus le souverain.
Il est l’alibi, le prétexte, la décoration démocratique.

On le convoque tous les cinq ans pour légitimer la pièce.
On lui parle en campagnes électorales.
On le flatte, on le caresse dans le sens du vote.
Puis, une fois le scrutin passé, on gouverne contre lui, pour les équilibres internes du champ politique, pour les rapports de force économiques, pour les réseaux d’influence.

Ce peuple, trop souvent, ne voit que la surface — parce qu’on ne lui montre que la surface. On l’endort de cérémonies républicaines, de commémorations, de discours vibrants. Pendant ce temps, le pouvoir réel est ailleurs.


XI. Le système déteste les francs-tireurs

Dans un système fondé sur la compromission, le pire crime est de ne pas se compromettre.
Celui qui ose parler franchement est rapidement isolé, moqué, caricaturé.
Celui qui refuse de pactiser est traité d’extrémiste, d’amateur, d’irréaliste, de populiste.

La machine politique expulse les éléments incontrôlables, car ils menacent la stabilité du champ. Elle préfère des ennemis bien identifiés, intégrés au système, que des voix qui le remettent vraiment en question.

Ainsi, les marges sont neutralisées. La dissidence devient décorative. Les révoltes sont absorbées, digérées, recyclées.


XII. La compromission n’est pas une dérive : c’est le cœur du pouvoir

Il faut le dire clairement :
la compromission n’est pas une erreur du système politique — elle en est le moteur.
Elle est ce qui permet à la caste politique de durer, de se renouveler tout en restant la même.

C’est pour cela que les grandes promesses électorales sont presque toujours trahies.
Ce n’est pas un accident, c’est une nécessité structurelle.
La fidélité aux engagements serait un acte révolutionnaire dans un système bâti sur le marchandage permanent.

Tant que la politique restera structurée comme un champ fermé, avec ses règles implicites, ses hiérarchies symboliques et son langage codé, toute tentative de « changement de l’intérieur » se heurtera à un mur invisible mais infranchissable : le mur de la compromission nécessaire.


XIII. Et pourtant, tout pouvoir repose sur une croyance

Mais ce mur n’est pas indestructible.
Pierre Bourdieu l’a répété : le pouvoir politique n’existe que parce que les dominés y croient.
Parce qu’ils acceptent sa légitimité. Parce qu’ils jouent le jeu.

Dès lors que cette croyance vacille, le pouvoir chancelle. Ce n’est pas la force brute qui fait durer les dirigeants, c’est notre consentement. C’est notre habitude. Notre fatigue. Notre résignation.

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