T’ai-je déjà aimé, mon pays !
Et pourtant, je te tutoie.

De tous temps et en tous lieux,
Les hommes ont produit
Des citadelles imprenables.
De ces lieux sacrés
Que seuls les initiés
Pouvaient violer.
Le Temple de Salomon, le Machu Pichu, le Mont Saint-Michel…
Le pavé parisien est de ces monuments
Que l’Histoire a sculptés.
Tant de pieds illustres t’ont foulé,
Ô, Toi pavé !
Que tu en deviendrais nonchalant.
Paris par ci, Panam par là,
Tu joues de tes frasques latines.
Combien de mots d’oiseaux
S’y sont déjà,
Les ailes cramé.
De ceux qui piaffent, d’autres qui brêlent,
Sans parler des qui gainsbarrent.
Je suis ce que tu as voulu. Coloniser.
De tes principes.
République en avant,
Du haut de tes Lumières
Dont j'ne voyais que les phares,
Au loin, perdus dans la brume,
De l’océan Armorique.
Et tu t’es même revêtue
Des habits d’Astérix,
Pour t’enorgueillir de ta francisque
Et m’accorder le regard
Magnanime de l’amant
A qui
L’on échappe ces doux mots ;
Ephémères au matin :
« Merci pour la nuit, Chéri ! »
J’étais déjà toute ouïe,
Emmitouflé d’une Bretagne
Que je croyais trop mienne.
« Liberté-Egalité-Fraternité » sous tous les toits,
Je t’obéis à la lettre.
Jusqu’aux os j’ai crié
Ces mots comme on dit un blasphème,
Dans les églises qui m’ont vu chanter,
Face aux bonnes sœurs qu’on avait déguisées
En instits… Même en ma mère,
Dieu a voulu s’incarner.
Mais je n’eus de cesse de te disperser,
République impérieuse,
Une et indivisible.
Infidèle je suis né, infidèle je serai;
Pour n’être que plus dépendant.
J’ai fui, je l’avoue,
Comme tes pires amours.
Hugo, Rimbaud, Césaire.
A tes genoux je ne me sentais
Que larve et de mon audace
Tu ne voyais que les chevilles.
Vers le lointain, vers ces mondes
Que tu n’aurais jamais voulu foulés;
Depuis l’Amérique latine dont tu as,
Ironie ! Enfanté. Le nom.
Depuis Barcelone, de ses dames
Que jalouse tant Marseille,
J’ai appris toutes les langues
De tes sœurs jumelles,
Compris que tu avais commis
L’adultère à ta fille : Afrique.
Joué les « sainte nitouche »
Avec cette fuyante Asie.
Tu as cru englober
Le Monde,
Je t’ai suivie à la trace,
Imaginée là où tu n’étais pas,
Colporteur discipliné que je fus.
Aux quatre océans,
Je parlais en ton nom.
Comme Lafayette en Amérique
Ou Tocqueville voulant t’y retrouver.
Alcides D’Orbigny en Amazonie.
Tu étais tellement partout
Et Nulle Part Ailleurs, pourtant !
France en Indochine,
Embourbée dans une vallée
Comme nos poilus dans la Marne
Ou telle tes pauvres grognards
Chantant encore la Marseillaise
Aux confins de l’Europe :
Tu n’as pas vu Waterloo
Du haut de ton chapeau
De prétentieux
Sans-culotte.
« Douce France, le Pays de mon enfance »
Chantée en 43 !
Tu t’es toujours menti, Mère-Patrie !
Et tes enfants jouent toujours
A la Guerre des boutons…
D’aucuns au Larzac
Te tournent en dérision
Et te prennent au mot
Quand tu voudrais y voir
Une infâme Vendée.
D’autres retournent leur veste,
Ou plutôt les armes,
En Algérie, au Sénégal
Ou les Malgaches.
« N’appartiens à personne »
Crie l’exilé Lavilliers,
La gueule de corsaire
Malouin pour étendard,
Perdu entre deux agrumes
Brésiliens : mi-figue, mi-raisin.
Certains te voudraient incarnée
Aux U.S.A. ; pays auto-proclamé
Des libertés. Et tu entendras Omaha,
Plage de Normandie,
Quand se réincarne Martin
Luther King, produit des protestants
Que tu as toi-même mis aux vents.
Devenu noir
Par les ruses de l’Histoire.
Alors je me suis fait
Arlequin,
L’homme aux mille couleurs,
Pour devenir hussard.
Le sang Bleu-Blanc
Rouge mêlé.
Libéré dans mes racines déchaînées,
Je féconderai le Diable
De tes entrailles brouillées.
Et quoi ? Tu m’y invites ? M’y invites-tu ?
« Je m’en allais, Muse. Et j’étais ton féal ».
Premier de ceux-là, ton poète prodige,
T’as quittée. Et en est mort. D'écrire.
Enfant prodigue bien-aimé.
Qui es-tu, Mère catin,
France laïque,
Pour m’accueillir en ton sein?
Et retenant ta pique
Te confier à çui-là,
Qui en « Pétain »
Plus haut que son cul…
A moi Paris, criai-je,
Un Gavroche à la tête !