Prenez une fourmi vivant sur un espace infiniment plat et demandez-lui d'imaginer le monde en 3D.
Malaise.
Bien. Révisez vos ambitions à la baisse et tentez maintenant de transmettre à chtit' fourmi une notion plus simple, celle d'un seul objet en 3D. Par exemple une carafe. Une bonne manière de s'y prendre consistera à lui montrer une série de coupes en 2D de l'objet, du pied au bec, en les faisant se succéder dans le Temps (cette dimension supplémentaire que nous partageons avec les insectes). Tiens, on dirait que ça y est : chtit' fourmi a plus ou moins pigé le truc. Mais le concept était aride, surtout pour son cerveau de bestiole.
Et bien figurez-vous que nous autres humains souffrons du même conditionnement. Nous sommes tout aussi handicapés par nos sens et en avons à peine plus conscience que la fourmi. Car nos sens sont paradoxalement ce qui nous relie au monde et ce qui nous limite dans notre appréhension du monde. Nous négligeons tant de phénomènes pour la simple raison que nous ne les ressentons pas : toute une gamme de sons, de couleurs, de micro-mouvements, l'infiniment grand, l'infiniment petit, le temps très court, le temps très long, tout ce qui ne réfléchit pas la lumière - du fond des océans aux gaz qui composent l'atmosphère en passant par la matière noire, la matière sombre, l'anti-matière. D'ailleurs, l'espace est tout autant escamoté à notre paysage mental qu'il l'est à notre vue. Parce que notre conception du monde se réfère principalement au monde "sensible", lequel se cantonne à des zones où les mélanges gazeux, les températures et les pressions demeurent propices à la vie. Et sans doute aussi parce que la réalité apparente ne nous prépare pas à la notion d'infini.
Mais aller si loin n'est pas nécessaire. Des phénomènes apparemment miraculeux se produisent en permanence autour de nous sans que nous en ayons toujours conscience : des baleines se parlent à des kilomètres de distance ; à des kilomètres de profondeur, des écosystèmes prospèrent à partir du souffre ; des insectes voient en noir et blanc mais à 360 degrés ; des chauve-souris se repèrent grâce aux ultra-sons. Notez bien que si nos yeux réagissaient aux ondes sonores plutôt qu'à la lumière, nous nous représenterions l'univers par écho-location mais sans perdre aucunement en "réalisme". La vision est avant tout un processus de reconstruction mentale. Si vous n'enseignez pas la couleur bleue à un enfant humain, il ne la distinguera pas. Pour lui, le ciel sera blanc. Ou vert. Et la vision animale des choses vaut bien la vision humaine : récemment, un chimpanzé s'est confié en langue des signes à une primatologue, lui expliquant à quel point il s'était senti triste lorsque sa mère avait été abattue par des braconniers. Conscience de soi, sentiments, mémoire à long-terme : l'apanage des primates, me direz-vous ? Pas du tout. De simples oiseaux, les corvidés, possèdent des capacités similaires.
A l'intérieur de nos corps d'humains, de singes ou de corneilles, des enzymes dissolvent les aliments en TRANSMUTANT la matière par téléportation d'électrons tandis qu'à l'intérieur des plantes foliacées, chaque photon emprunte plusieurs chemins SIMULTANES sur le trajet qui le mène à son glucide de destination. Quant aux particules qui composent les quarks qui composent les atomes qui composent les cellules qui nous composent tous, ce ne sont des particules que quand nous les testons comme telles. Lorsque nous les testons comme des ondes, elles réagissent comme des ondes. La meilleure tentative d'explication scientifique du phénomène décrit ces ondes-particules comme de minuscules cordelettes emberlificotées dans un espace à 11 dimensions et vibrant chacune selon une fréquence particulière. Facile.
Enfin, si nous osons maintenant nous tourner vers le ciel, un vertige remplace l'autre : saviez-vous que la vitesse de la lumière n'est plus le Graal absolu ? Des physiciens maîtrisent désormais la téléportation d'informations. De manière INSTANTANEE et à plus de 100km de distance. Un champ de recherche utile lorsqu'on se souvient que notre soleil se trouve à quatre années-lumière du système solaire le plus proche, dans un bras mort de la Voie Lactée comprenant pourtant des milliards d'autres mondes ; et que la Voie Lactée n'est elle-même qu'une galaxie parmi des milliards d'autres galaxies, dans un univers qui se refroidit et dont les divers éléments s'éloignent de plus en plus rapidement les uns des autres. Et si encore nous étions sûrs que cet univers est bien le seul ! Mais pas du tout, certaines implications de la physique quantique et du principe de gravité suggèrent au contraire un très grand nombre d'univers parallèles, situés au-delà de notre horizon accessible. Ou bien dans d'autres dimensions.
La collision de deux univers entre eux permettrait d'expliquer le Big-bang.
Chaque trou noir est potentiellement la matrice d'un univers entier.
Un requin vient peut-être de passer dans votre chambre à coucher.
Ne riez pas : ce monde que je décris est le vôtre. Si le terme "magie" renvoie à tout ce qui n'a pas encore été expliqué, c'est donc que vous vivez, que nous vivons tous, dans un réel proprement féérique. Vous souvenez-vous de la phrase du Petit Prince : "l'essentiel est invisible pour les yeux" ? La validation des écrits de St-Ex apparaît aujourd'hui comme la principale ligne directrice de la science du XXème siècle. Seuls les scientifiques et les artistes parviennent encore à percer la grisaille. Le rythme de la vie moderne - et la faible place qu'elle laisse aux questionnements métaphysiques - rend tous les autres aveugles et sourds au Mystère. Ou les pousse vers des explications simplistes mais consacrées par le temps : l'homme au centre de la terre, la terre au centre de l'univers et Dieu porte une barbe. Mon Dieu, mon Dieu. Toi qui n'existes que dans notre tête (ou qui as mieux à faire que de m'écouter pérorer), Tu ne m'en voudras donc pas de T'interpeller sur Ta supposée création :
Ces humains, quand même, quel manque d'imagination.