En commentant le meurtre de l'opposant Boris Nemtsov, le Kremlin parlait avant-hier d'une "provocation". Voilà qui fait froid dans le dos. Pensez ! L'adversaire de Poutine qui, dans l'ombre, a ourdi ce complot doit être sacrément puissant pour pouvoir, à loisir et en toute impunité, multiplier ce genre de "provocations" depuis une dizaine d'années.
Sept collaborateurs de Novaïa Gazeta, une publication très critique vis-à-vis du pouvoir russe, ont été assassinés depuis 2005, la plus connue étant Ana Politovskaia. Alexandre Bastrykine, le général à la tête du Comité d'Enquête en charge des investigations sur ces exécutions, s'est distingué en 2012 en menaçant de mort le rédacteur en chef adjoint de Novaia Gazeta, Sergueï Sokolov. Bastrykine a carrément ordonné à ses gardes du corps d'emmener Sokolov dans une forêt près de Moscou puis a menacé de le tuer en lui expliquant cyniquement que ce serait lui, Bastrykine, qui serait chargé de mener l'enquête sur sa disparition. Devant le scandale provoqué par la publication de ce témoignage, Bastrykine a dû faire amende honorable. Mais il est toujours en poste.
Rappelons-nous aussi d'Alexandre Litvinenko, ancien des services secrets russes, assassiné à Londres en 2006 par deux agents du FSB qui avaient contaminé son thé au Polonium. Et de la mort inexpliquée de l'oligarque Boris Berezovski en 2013 à Londres, dix ans après l'assassinat d'un de ses proches à Moscou, le député Sergueï Iouchenkov.
Tout ce qui précède s'appelle un "contexte". Il vous permettra de mieux apprécier l'intervention de Marine Le Pen sur France 3 concernant le meurtre il y a trois jours de Boris Nemtsov, le leader du mouvement Solidarnost. Très critique de la dérive autoritaire poutinienne, ce dernier avait appelé à manifester contre le pouvoir quelques heures à peine avant de se faire abattre de quatre balles près du Kremlin. Marine Le pen, donc : "J'ai confiance en la justice russe, il n'y a pas de raison de ne pas le faire. Il est évident que tout le monde souhaite retrouver, arrêter et condamner ces assassins lâches qui ont tiré dans le dos. J'attends que la justice s'acquitte de son devoir. Il faut être prudent et permettre aux juges et aux policiers de faire leur travail".
No comment. Si ce n'est pour rappeler qu'au fond, ces quelques dizaines de morts ou d'opposants envoyés au goulag (cf l'oligarque Mikhail Khodorovski ou le candidat à la présidentielle Alexeï Navalny) pèsent bien peu de choses au regard de la guerre d'invasion que mène aujourd'hui Poutine en Ukraine, sans en référer à la Douma.
Condamné à conserver indéfiniment le pouvoir s'il ne veut pas lui-même finir en prison pour détournements à grande échelle, le Maître du Kremlin ne s'embarrasse plus guère de scrupules. En flattant l'égo nationaliste russe, en se faisant le champion des minorités russophones à l'étranger, il gagne en popularité auprès de son électorat. En matant la révolution d'un peuple frère avide de valeurs démocratiques, il envoie un signal aux populations des pays de l'Union Douanière (Bielorussie, Kazakhstan), aux Tchétchènes, aux Georgiens et aux autres. Par la même occasion, il met la main sur le complexe militaro-industriel ukrainien, sur la métallurgie ukrainienne et il étouffe dans l'oeuf un concurrent potentiel de Gazprom, le sous-sol du Donbass étant particulièrement riche en gaz naturel.
C'est en tout cas l'analyse que faisait Nemtsov de la guerre de Poutine en Ukraine. Une analyse publiée le 1er septembre dans un quotidien ukrainien, Kyivpost.com, qui lui a sans doute coûté la vie.
Billet de blog 2 mars 2015
Petits meurtres entre Russes
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