Idée 1 :
Quand on injecte un euro dans l'économie, elle y gagne bien plus. Parce que la pièce utilisée pour acheter du pain sert ensuite au boulanger pour acheter de la farine puis au meunier pour acheter des chaussures à son fils et au cordonnier à rembourser son emprunt à la banque. C'est ce qu'on appelle l'effet multiplicateur. Le FMI a récemment admis que cet effet avait été gravement sous-estimé dans ses plans d'aide passés, contre-productifs dès lors qu'ils demandaient aux Etats toujours plus d'austérité en échange des prêts accordés.
Idée 2 :
Lorsqu'une politique vise à relancer la consommation en offrant plus de pouvoir d'achat aux ménages, elle n'a pas le même effet suivant qu'elle s'adresse aux riches ou aux pauvres. Parce que les pauvres ont tendance à réinjecter dans l'économie une plus grande part de cette manne que les riches, lesquels peuvent au contraire épargner ou investir dans des produits financiers non productifs. Et donc casser l'effet multiplicateur. C'est la raison pour laquelle la théorie du ruissellement, que Macron a rebaptisée "premiers de cordée", et qui pose que l'argent des riches finira forcément par bénéficier à toute la société en bout de chaîne, est fausse.
Et c'est aussi pour cela que les 10 milliards que Macron a lâchés il y a quatre jours aux Gilets Jaunes pourraient au final avoir un effet sur la croissance bien plus positif que les 5 x 10 milliards offerts aux riches via la taxe unique de 30% sur les revenus du capital, la suppression de l'ISF mobilier ou le doublement du Crédit Impôt Compétitivité Emploi (CICE). Mais à condition évidemment que cette hausse du pouvoir d'achat ne soit pas annulée par une hausse équivalente des prélèvements obligatoires ou par un recul de l'investissement public. Or, en choisissant de ne pas faire payer un euro de plus aux riches et aux grandes entreprises pour financer ses mesures, Macron fait tout l'inverse de ce que le simple bon sens économique suggère.
Pour en comprendre la raison, il faut remonter aux années 70, lorsque l'école "libérale" de Chicago emmenée par Milton Friedman et inspirée par Gustav Hayek contamina tous les cercles dirigeants de la planète, de Margaret Thatcher et Ronald Reagan à l'époque jusqu'à Chirac, Sarkozy, Hollande et Macron aujourd'hui. Ces gens croient en une théorie économique qui professe que si les hypothèses de la concurrence pure et parfaite son respectées, alors l'offre et la demande s'équilibreront sur tous les marchés. Et cet équilibre général sera aussi un optimum social, en ce sens qu'on ne pourra plus augmenter les revenus d'un agent d'un euro sans que d'autres agents perdent un euro ou plus. Parmi les hypothèses de concurrence pure et parfaite, il faut notamment que l'information soit parfaite, que les agents soient parfaitement rationnels et cherchent en permanence à maximiser la satisfaction de leurs intérêts individuels, qu'aucun agent n'ait une taille suffisante pour influencer à lui seul un marché et que l'Etat s'abstienne d'intervenir. Aujourd'hui, l'école de Chicago a gagné la bataille idéologique et est sur-représentée dans le corps enseignant de nos grandes écoles, de Sciences-Po à l'ENA en passant par l'ESSEC ou HEC. Macron et ses collègues ont été biberonnés à cette école de pensée distillée par les économistes dits "orthodoxes".
Malheureusement pour nous, son inanité a depuis longtemps été démontrée. Déjà, parce que les humains ne sont jamais parfaitement rationnels, ce qui est pourtant un des présupposés de la théorie libérale. Ensuite, parce que s'approcher des conditions de concurrence pure et parfaite ne garantit aucunement qu'on se rapproche de l'équilibre général. On peut être proche de ces conditions et très loin de l'équilibre. Enfin, parce qu'un optimum social n'est pas vraiment un optimum social. Une situation où un agent possède 99% des richesses et l'ensemble de ses contemporains les 1% restants peut très bien être qualifiée d'optimum social selon la théorie.
En résumé, la concurrence pure et parfaite est une fable qui cherche à affaiblir l'Etat et les amortisseurs sociaux. Et qui n'a aucun problème avec l'idée que les riches, c'est fait pour être très riches et les pauvres très pauvres.