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Billet de blog 30 août 2024

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Crise démocratique : il faut changer le système

Dans un pays fracturé par le racisme, E. Macron dissolvait l’Assemblée pour “clarifier”. Il espérait un duel l’opposant à J. Bardella, avec un report des voix de gauche sur son camp. Finalement, la gauche s’est unie autour du Nouveau Front populaire. Et le NFP a remporté les élections avec 193 députés. Pourtant, rien n’a changé. La seule “clarification” est qu’il ne veut pas rendre le pouvoir.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Quelques jours après l’historique succès du Nouveau Front populaire, les numéros un des formations politiques discutaient d’un nom mettant d’accord insoumis, écologistes, socialistes et communistes pour Matignon. Après une période de tractations, tous s’accordaient sur Lucie Castets, haute fonctionnaire et patronne des finances de la ville de Paris. Bien que ce ne soit pas écrit noir sur blanc dans la Constitution, il revient au groupe arrivé en tête aux élections législatives d’occuper la chefferie de gouvernement. Malgré cela, en prélude des Jeux olympiques, le président de la République appelait à une “trêve olympique”. Elle sera scrupuleusement suivie par les médias, à commencer par ceux du service public.

En réalité, cette trêve n’avait absolument rien à voir avec les Jeux de Paris 2024. La réalité est plus technique. Pour faire simple, le gouvernement doit présenter un budget validé par le Conseil d’État et par le Haut Conseil des finances publiques en septembre en vue d’un dépôt au bureau de l’Assemblée nationale “au plus tard le premier mardi d’octobre”. Passé ce délai, le PLF (projet de loi de finances) devient inconstitutionnel. Revenons à la trêve olympique décrétée par Emmanuel Macron. Pour plusieurs économistes, à commencer par Anne-Laure Delatte, directrice de recherche au CNRS, le président aurait cherché à gagner du temps afin que le ministère de l’Économie qui a pour mission d’établir le budget de l’année suivante puisse, à temps, finaliser un budget. De cette façon, un futur gouvernement, même établi avant le premier mardi d’octobre, n’aurait a priori pas le temps de construire un nouveau budget concordant avec la politique qu’il souhaiterait appliquer.

Bien que non prohibé par la Constitution, cette manœuvre nous invite à nous poser des questions quant à son aspect démocratique. Dans quel État libéral bloque-t-on pendant presque un mois la vie politique pour établir un budget contradictoire à la politique plébiscitée lors d’un scrutin national ?

Les médias : le quatrième pouvoir

Déjà en 1840, Balzac alertait sur les médias : “Si la presse n’existait pas, il ne faudrait pas l’inventer […]. La presse est en France un quatrième pouvoir dans l’État : elle attaque tout et personne ne l’attaque”. Presque 200 ans plus tard, les choses n’ont pas changé puisque 90% des médias sont accaparés par neuf milliardaires qui ont fait fortune dans d’autres secteurs. Par exemple, TF1, LCI et TMC appartiennent au groupe Bouygues, Canal+, C8 et Cnews à l’empire Bolloré ou encore BFMTV et RMC à l’armateur CMA-CGM. Un fait du BTP, l’autre des navires. Bref, le point commun entre ces groupes est que leur fortune dépend, certes, en partie des consommateurs, mais surtout de la commande publique. Lorsqu’un gouvernement annonce vouloir lancer la fibre sur tout le territoire, il négocie un contrat avec le groupe Bouygues. Lorsqu’il finance le fret maritime au détriment d’autres moyens de transports, c’est CMA-CGM qui en profite. Donc il y a un intérêt à ce que les groupes industriels et le pouvoir politique s’entendent bien. C’est la raison pour laquelle les attaques contre le pouvoir exécutif sont rares sur les plateaux des différentes chaînes de télévision. Et lorsque quelque chose déplaît au pouvoir, ce sont des journalistes qui sont menacés d’être licenciés. Ce fut le cas en février dernier lorsqu’Aurélien Viers, rédacteur en chef de La Provence (groupe CMA-CGM) fut limogé pour une Une jugée “ambiguë” sur le président.

Et cet esprit de “copinage”, on le retrouvera tout au long de l’été, et encore aujourd’hui. Nombreux sont les éditorialistes et les intervenants qui expliquent que le Nouveau Front populaire ne peut pas gouverner pour des raisons plus absurdes les unes que les autres.

Mais ce qui a fait encore plus de mal à tout l’alliance de gauche, c’est certainement les insultes à répétition visant la France insoumise. Sur tous les plateaux, de la première édition à minuit, on nous explique que le parti fondé par Jean-Luc Mélenchon serait antisémite. Pour rappel, aucune formation du NFP n’a déjà été condamnée pour antisémitisme ou quoi que ce soit d’autre. L’extrême droite ne peut pas en dire autant. La qualification d’”antisémites” remonte quelques jours après le sept octobre lorsque les portes-parole de la France insoumise alertaient sur le risque humanitaire dans la bande de Gaza. Les soutiens inconditionnels de ce qui est maintenant appelé “génocide” par des experts de l’ONU, des ONG ou encore une étude publiée dans le prestigieux The Lancet n’ont rien trouvé de mieux que de profaner la pensée de gauche. Car au-delà de l’idéal porté par notre camp politique, ce sont des décennies de luttes contre l’antisémitisme et les autres formes de racisme. C’est le combat pour Dreyfus lorsque l’extrême droite le condamnait. C’est le combat des communistes contre le nazisme lorsque l’extrême droite collaborait. Ce qualificatif va au-delà du “classique” “islamo-gauchiste” qui tire son origine du “judéo-bolchevique” du 19ème et 20ème siècle. En effet, ce dernier attaque un projet politique en utilisant une expression conspirationniste : les Juifs contrôleraient les finances avec les Marxistes. Puis aujourd’hui, les Musulmans contrôleraient la gauche française pour faire appliquer la charia. À l’inverse, le fait d’insulter la gauche d’antisémite attaque l’ADN d’une pensée politique (celle de gauche) puisque c’est justement ce contre quoi elle s’est toujours battue, dans ses écrits comme dans l’Histoire. Les détenteurs des réseaux collectifs ont bien compris que cet ignoble qualificatif pouvait tuer la gauche dans un pays. Partout où la gauche tente d’accéder au pouvoir cette insulte revient. L'ex chef du Labour anglais Jeremy Corbyn, issu de l’aile gauche du parti, a à ce titre été limogé en raison des pressions venues d’Israël et de la droite sur sa personne. Résultat, le parti travailliste est maintenant sur la même longueur d’onde que Place publique, ou pire, du camp présidentiel.

Voilà pourquoi il ne faut absolument pas prendre ce qualificatif à la légère et défendre chacun des représentants de notre camp politique qui en sont salis. Évidemment, il faut les défendre de façon acharnée dès lors qu’ils ne sont pas antisémites, cela va de soi. C’est quelque chose que la gauche française n’a pas su faire depuis plus de neuf mois. Pire : ils ont contribué à la diabolisation de LFI. Il y a encore quelques jours sur RMC, le secrétaire général du Parti communiste français Fabien Roussel exhortait la France insoumise à “clarifier leurs positions” sur l’antisémitisme. Mais qu’est-ce qui n’a pas été clair ? La condamnation sans équivoque des attaques terroristes du 07 octobre et les crimes de guerre commis par le Hamas ? La condamnation des actes antisémites ? La seule chose que l’on peut reprocher à la France insoumise est la défense du droit international, et donc la ferme condamnation des crimes de guerre commis par Tsahal dans la bande de Gaza depuis le 07 octobre (et globalement depuis 76 ans). La France insoumise a été la formation la plus impactée par ces insultes à tout va et le manque de courage des autres partis de gauche. Mais au-delà du simple mouvement politique, ce sont des dizaines de milliers de militants, parfois non insoumis, qui ont manifesté en faveur de la paix et d’une solution à deux États qui ont aussi été blessés par ces attaques et l’absence de soutien de la gauche. Moi le premier. Cette manœuvre politico-médiatique est sans appel : une partie des Français pense que LFI serait antisémite puisque même les autres formations de gauche l’ont accusée.

Résultat, lorsque le Parti socialiste, le Parti communiste et les Écologistes s’allient avec LFI pour former le Nouveau Front populaire, les médias comme les personnalités politiques insultent toute l’alliance d’antisémites. Cette insulte agit comme un poison : tous ceux qui se rapprochent de LFI sont à leur tour contaminés par cette grotesque insulte. Pourtant, si pendant sept mois les leaders des différents partis avaient soutenu LFI, personne (ou en tout cas beaucoup moins qu’aujourd’hui) ne penserait que le NFP est antisémite. Mais ça n’a pas été fait. Donc la seule question qui revient sur les plateaux est grossièrement : va-t-on mettre à Matignon des ordures qui alimentent les attaques antisémites ? La faute aux groupes industriels qui, par peur de payer davantage d’impôts au nom de l’intérêt collectif, ne font que calomnier la gauche sur les chaînes privées qu’ils détiennent.

Transition vers l'illibéralisme : l'article 16

Revenons à fin août 2024. Le président de la République a convié les formations politiques représentées à l’Assemblée nationale en vue de trouver parmi elles un Premier ministre. Après une première session de tractations, l’Élysée fait savoir que Lucie Castets, candidate commune du Nouveau Front populaire, est déjà éliminée de la course à Matignon en raison de “l’instabilité institutionnelle”. Outre l’absence d’article constitutionnel disposant qu’il faille organiser une sorte de jeu à éliminations pour trouver un Premier ministre, on peut se poser plusieurs questions.

Tout d’abord, pourquoi le pays serait plus instable avec le NFP à Matignon plutôt qu’aujourd’hui avec un gouvernement démissionnaire ? Les raisons invoquées par le chef de l’État sont simples : après s’être entretenu avec les groupes politiques, il en ressort que tous déposeraient une motion de censure à l’encontre d’un gouvernement dirigé par Lucie Castets, et ce, avec ou sans ministre insoumis. On voit donc que le vrai problème n’est pas le faux antisémitisme de LFI mais bien le programme social porté par la NFP. Ceux qui, à droite, prônaient à tout bout de champ “l’intérêt supérieur de la Nation”, semblent alors avoir oublié cette ligne de conduite puisqu’ils sont prêts à paralyser de plein fouet le pays et la vie des Français pour leurs propres intérêts. Tirons-en tout de même du positif : cette promesse de censure permet une fois de plus de montrer que le Rassemblement national fait partie de cette grande alliance qui va des Macronistes aux néo-fascistes et qu’ils n’ont aucun aspect “social” ou que sais-je.

Dans le même communiqué de l’Élysée excluant Lucie Castets, on y apprend qu’Emmanuel Macron attend des socialistes, des écologistes et des communistes qu’ils coopèrent avec les autres forces politiques. En réalité, il attend que ces partis trahissent et rejoignent le camp présidentiel pour former une majorité avec 308 députés (en comptant LIOT). Si on en croit leurs déclarations respectives, aucun des trois partis ne va s’allier ni même soutenir une majorité qui resterait dans la même continuité politique depuis 2017. Méfions-nous tout de même des vieux éléphants du PS qui tentent d’imposer l’idée qu’un gouvernement dirigé par Bernard Cazeneuve saura mener une politique de gauche. Rappelons qu’il a porté la loi "permis de tuer", qu’il a soutenu la déchéance de nationalité proposée par François Hollande et que c’est un proche des islamophobes du Printemps républicain. Et même si Emmanuel Macron cherche à sa droite en s’alliant avec le groupe de Laurent Wauquiez, ils n’obtiennent que 234 sièges (en comptant LIOT). Quoi qu’il arrive, le pays sera dans une “instabilité institutionnelle”.

Encore qu’il s’agisse (pour l’instant) de fiction, la Constitution de la Cinquième République a été pensée pendant la guerre d’Algérie par le Général de Gaulle, qui considérait que nos institutions étaient inefficaces en période de crise. Il a donc pensé à l’article 16 qui prévoit des “pouvoirs étendus” pour le chef de l’État.

Cet article peut être utilisé dans deux cas précis : la menace grave contre les institutions de la République et l’exécution d’engagements internationaux. Et en outre, l’interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels. Intéressons-nous à cette seconde condition. Si toute la droite explique qu’elle censurera sans aucun prétexte tangible un gouvernement de gauche, et que les composantes du NFP censurent à juste titre un gouvernement de droite alors que la gauche a remporté l’élection, les pouvoirs publics sont interrompus puisqu’il n’y a plus de gouvernement. Le premier cas peut aussi trouver réponse à notre situation puisque si aucun budget n’est adopté, alors les institutions de la République sont paralysées, et puis nous entrons en contradiction avec l’Union européenne à qui nous devons présenter notre budget.

Lorsque l’article 16 est utilisé, la Constitution prévoit la suppression du principe de la séparation des pouvoirs puisque le président de la République outrepasse le Parlement. Le fondement même de la République à travers l’Histoire disparaît alors au profit du despotisme. À quelques exceptions près, il peut décider seul de ce qui est bon - selon lui - pour le pays sans passer par le vote des députés et des sénateurs. A contrario de l’article 49 alinéa 3 qui prévoit d’outrepasser le vote de l’Assemblée nationale en engageant la responsabilité de son gouvernement, ces deux articles sont bien constitutionnels. Mais sont-ils sérieusement démocratiques ? Sont-ils acceptables dans un État comme le nôtre, à l’heure où les démocraties vacillent dans l’autoritarisme violent ?

Il semble donc possible que le président de la République puisse légalement et constitutionnellement utiliser l’article 16 de la Constitution. Mais comment réagirait le peuple face à son utilisation, qui serait à l’évidence superflue ? Mais surtout : dans une ère comme la nôtre où la reconnaissance faciale est entrée en vigueur avec les Jeux olympiques, où la police “ne fait qu’obéir aux ordres” de ce même président qui ne veut pas lâcher le pouvoir et où les médias servent les intérêts des détenteurs des réseaux collectifs : comment réagirait le pouvoir étatique et médiatique face à des manifestations ?

Reprendre le pouvoir et mener l'insurrection populaire et démocratique

Article 16 ou non, le cheminement vers l’État illibéral, au sens politique et non économique, est déjà allé trop loin. Quand bien même les médias ne s’y attardent pas, il y a bien aujourd’hui en France une crise démocratique sans précédent depuis la promulgation de la Vème République. Il est donc à présent question de savoir comment se défendre en tant que peuple attaqué et attaché aux valeurs démocratiques, face à un pouvoir despotique qui semble ne pas vouloir rendre les rênes de la Nation. Pour y parvenir, il est nécessaire d’avoir un pas dans les institutions et un pas dans la rue. C’est le seul chemin qui nous permettra de sortir de cette impasse.

Depuis quelques jours, la pression populaire ne fait que s’intensifier. Une première date a d’ores et déjà été choisie, celle du 07 septembre pour manifester en faveur du respect du vote des Français. À l’heure où j’écris ces lignes, il est nécessaire que d’autres initiatives soient concertées avant cette date pour ne laisser aucun moment de répit aux Macronistes. En outre, il sera également nécessaire de continuer à descendre dans la rue après le sept septembre. Un rapport de force doit s’installer dans la durée pour qu’il parvienne à son objectif.

Pour l’organisation de ces manifestations, les partis politiques, associations, collectifs et syndicats qui ont soutenu le NFP et qui considèrent qu’un scrutin vaut plus qu’un sondage Challenges, doivent appeler à la grève générale et participer massivement à ces manifestations.

Elles seront le début d’une mobilisation démocratique.

Pour le pas dans les institutions, les leaders de la France insoumise avaient annoncé dans La Tribune du Dimanche qu’ils déposeraient une motion de destitution à l’encontre du président de la République s’il ne nommait pas Lucie Castets à Matignon. Contrairement à ce qui est raconté par les soutiens d’Emmanuel Macron, il ne s’agit pas d’un chantage, mais bien d’ordonner au chef de l’État de respecter le cadre démocratique de notre pays. Ici encore, cette proposition doit récolter des soutiens de la part de ses alliés du NFP : les communistes, les écologistes et les socialistes. Les Français ont voté pour eux, ils doivent être à la hauteur de la crise que nous traversons.

Cette motion de destitution doit être déposée par au moins 57 députés, puis doit suivre un parcours spécial à l’Assemblée nationale puis par le Sénat avant une adoption par la majorité des deux tiers de la Haute Cour. Il y a peu de chances que la démarche aboutisse. Mais qu’est-ce qui a le plus de valeur entre une élection nationale et la Haute Cour où siègent 24 parlementaires ? Et pourquoi doit-on en arriver à demander la destitution du président parce qu’il ne respecte pas le vote des Français ?

Toutes ces questions ne devraient pas se poser. La réalité est qu’Emmanuel Macron est un problème, c’est certain, mais il l’est davantage grâce à la Constitution de la Vème République qui permet à celui qui est président (élu, rappelons-le, grâce au report des voix de gauche sur sa personne pour faire barrage à Marine Le Pen) de s’accaparer le pouvoir sans aucun contre-pouvoir. C’est d’ailleurs bien pour cela que l’extrême droite en France est bien plus dangereuse qu’aux États-Unis, qu’en Italie ou qu’en Hongrie.

Notre principale préoccupation doit être la remise en question du système politique dans lequel nous vivons. Notre principal slogan doit être d’entreprendre des cahiers de doléance pour fonder une Sixième République sociale, féministe, écologiste et démocratique.

La crise démocratique que nous traversons doit être la porte d’entrée vers une insurrection populaire et démocratique pour une nouvelle République. Voilà notre objectif. Donnons-nous les moyens d’y parvenir.

Gwenn Thomas-Alves
Co-fondateur et premier Président de l'Union syndicale lycéenne – Étudiant en science politique

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