Si l'on en croit de récents partis pris et articles de blog, Mélenchon, tout en étant reconnu porteur d'un discours clair et constant sur le refus de la prééminence du prétendu « identitaire » sur le social, serait pourtant l'un des porte-parole de la vieille « gauche » rabougrie, sclérosée et réactionnaire qui en a fait son thème central.
Au-delà de cet exemple, j'avoue avoir un peu de mal à comprendre qui est le Mélenchon que l'on critique à gauche, tellement les traits sous lesquels il est dessiné semblent parfois contradictoires. Mais de quel Mélenchon parle-t-on au juste?
Est-il un politicard bien planqué à l'ombre d'un parti institutionnel pour lequel il roule depuis l'aube de sa carrière, qui serait en même temps un aventurier capable d'abandonner son mandat confortable pour se lancer dans des élucubrations de gauchiste ?
Est-il un sauveur suprême mégalo-monolithique aveuglé par ce qu'il croit être son destin historique, qui, concurremment, prônerait la disparition de l'homme providentiel de la Ve République et la refonte des institutions par le peuple sans doute pour masquer son refus effrayé du pouvoir ?
Est-il un égo malade et solitaire, prisonnier de son délire de gloire personnelle, qui serait simultanément le dirigeant d'une organisation de professionnels aguerris capable de noyauter les mouvements spontanés ?
Est-il un Jocrisse énamouré transporté par ses affects qui bave de fascination devant Chavez-Poutine-Assad, qui serait simultanément un Machiavel sans états d'âme, dur adepte d'une Realpolitik géostratégique ?
Est-il un chauvin franchouillard aux accents crypto-nationalistes défendant les valeurs de la France éternelle, qui serait dans le même temps un fantaisiste inconséquent obsédé par les révolutions indigènes d'Amérique latine et les soulèvements arabophones du pourtour méditerranéen ?
Comment peut-il être à la fois considéré comme un butor qui se met tout le monde à dos par ses jugements lapidaires et clivants, et comme un cuistre qui fait fuir tout le monde par sa manie de l'explication philosophique interminable ?
Mais qui est donc ce Janus transformiste, à la fois mitterrandiste et sarko-buissonien, maastrichien et germanophobe, européiste et anti-européen, islamogauchiste et islamophobe, bobo-élitiste et coco-populiste, pro-impérialiste et anti-américain, trotskiste et stalinien ?
Dans quelle position du spectre trouve-t-on ce bleu-blanc-rouge-brun-vert-de-gris-rose-sale si noir ?
Ce prince des Ténèbres au petit pied (fourchu), quelqu'un L'a-t-il vraiment rencontré en face (de bouc) ?
Un tel être entièrement négatif, un tel gouffre d'anti-matière qui attire tous les reproches possibles (et encore, je n'évoque que ceux venant de gauche), ce troublant trou noir de la vie politique française, a-t-il vraiment une existence matérielle ?
En définitive, ce Mélenchon introuvable serait-il autre chose que l'« intégrateur négatif » décrit par la sociologie des organisations, un facteur de cohésion construit par des groupes sociaux aux intérêts divers mais en cours de désintégration, qui trouvent bien pratique de cibler une personne unique en lui projetant à la figure absolument tout et son contraire, au gré des propres détestations, obsessions et terreurs secrètes de tout un chacun, et qui se donnent ainsi l'illusion momentanée d'échapper à l'angoisse de leur propre disparition, telle que pourrait l'impliquer le moindre changement réel de l'ordre des choses auquel ledit pourrait bien donner quelque début de possibilité ?