Si « être français » ne se définit pas à travers une assignation ethnique (historique, linguistique, culturelle, physiologique, etc.) mais par l'adhésion volontaire à une communauté légale elle-même définie par « Liberté, Égalité, Fraternité », la seule question qui compte, c'est celle du contenu de ces mots. Avec comme question connexe : la République française est-elle organisée selon ce contenu ?
Selon la thèse du libéralisme philosophique, être libre, c'est ne pas subir de contraintes dans la recherche de l'accomplissement de soi (bonheur). La liberté serait donc l'absence d'interférence d'autrui avec cette quête. On objecte que des contraintes sont nécessaires pour permettre la vie en société. L'interférence sera alors légitime si elle est acceptée par l'individu. Mais le choix de l'individu est-il toujours libre? On reconnaîtra l'existence toujours possible de menaces. Un maître bienveillant, même s'il se soucie du bonheur de son esclave, reste capable d'interférence pour son seul profit propre.
Du sens des mots
La liberté, selon la définition du néorépublicanisme philosophique [1], c'est l'absence de domination. La domination d'un individu sur un autre est le potentiel de contrainte qu'il a sur ce dernier dans son seul intérêt propre. Cette contrainte peut être physique ou non (atteinte à la liberté de conscience, domination économique, patriarcat).
Dès lors, l'égalité, c'est l'ensemble des conditions assurant la réciprocité de la liberté dans le collectif. La loi assure que personne ne me domine, et que je ne domine personne. La démocratie est la technique qui permet la décision collective entre égaux, avec l'intérêt général comme seul objectif (république). La laïcité est la technique qui assure l'impossibilité légale de toute domination d'une conscience sur une autre [2].
La fraternité, c'est la reconnaissance de l'égalité à l'ensemble humain, au-delà d'un collectif territorial particulier (république universelle). La non-domination universalisée exige l'abolition de l'esclavage, de la prostitution. C'est également le refus de la guerre de conquête et de la colonisation. C'est enfin la responsabilité écosystémique globale.
De la rupture
La Révolution française a amené dans l'Histoire cette reconnaissance radicale et l'a traduite en termes de droit naturel (DDHC) [3]. La « patrie républicaine » serait alors le legs de l'« événement » de la France de 1789 à 1794, et seulement de manière contingente, son « territoire ». Parce que pour autant, dans les faits, « patrie républicaine » n'est pas équivalent à « République française ».
Du XVIIIe au XXIe s., au fil des numéros, le souci du genre humain s'est manifesté en « République » française par la conquête coloniale « apportant la civilisation », les engagements militaires « apportant la démocratie », le développement du nucléaire « apportant une énergie propre ». La domination de l'État ou d'un culte sur la conscience est à l'œuvre sur le territoire depuis le Concordat d'Alsace-Moselle, véritable déni d'égalité, ou dans le primat donné au libéralisme économique sur toute autre conception de la vie en société. La domination d'un individu (donneur d'ordre) sur un autre (salarié) est consacrée par l'inversion de la hiérarchie des normes et l'implosion programmée du droit du travail.
Si être français, c'est adhérer à « Liberté, Égalité, Fraternité », c'est aussi refuser que ces trois mots soient un slogan vide de sens, ou à géométrie variable, et, plus profondément, c'est s'efforcer de vivre soi-même selon leur exigence radicale.
[1] Philip Pettit, Républicanisme : Une théorie de la liberté et du gouvernement, Paris, Gallimard, 2004. – Jean-Fabien Spitz, Philip Pettit. Le républicanisme, Paris, Michalon, « Le bien commun », 2010.
[2] Cécile Laborde, Français, encore un effort pour être républicains !, Paris, Seuil, « Débats », 2010.
[3] Florence Gauthier, Triomphe et mort de la révolution des droits de l'homme et du citoyen (1789-1795-1802), Paris, Syllepse, « Enjeux et débats », 2014. – Marc Belissa, Yannick Bosc et Florence Gauthier (dir.), Républicanismes et droits naturels à l'époque moderne. Des humanistes aux révolutions de droits de l'homme et du citoyen, Paris, Kimé, 2009.