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Billet de blog 29 janvier 2015

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Insécurité culturelle

Je fais un retour sur une séquence assez étonnante, extraite de l'émission Les Grandes Questions du samedi 24 janvier, présentée par F.O Giesbert et consacrée à « l'après 7 janvier ». (Si le replay n'est plus disponible, accéder à la vidéo ici.) Le dispositif consiste à faire interroger 3 « témoins » (le philosophe G. Bencheikh, l'essayiste A. Del Valle et l'homme politique JL Mélenchon) par 3 agrégées de philo qui passent bien (et souvent) à la télé : E. Abécassis, G. Muhlmann et M. Pingeot. Il m'a semblé intéressant de revenir sur l'échange entre E. Abécassis et JL Mélenchon, qui me laisse encore songeur.

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Je fais un retour sur une séquence assez étonnante, extraite de l'émission Les Grandes Questions du samedi 24 janvier, présentée par F.O Giesbert et consacrée à « l'après 7 janvier ». (Si le replay n'est plus disponible, accéder à la vidéo ici.) Le dispositif consiste à faire interroger 3 « témoins » (le philosophe G. Bencheikh, l'essayiste A. Del Valle et l'homme politique JL Mélenchon) par 3 agrégées de philo qui passent bien (et souvent) à la télé : E. Abécassis, G. Muhlmann et M. Pingeot. Il m'a semblé intéressant de revenir sur l'échange entre E. Abécassis et JL Mélenchon, qui me laisse encore songeur.

Voici le verbatim, que j'interromps par quelques pauses d'explication de texte.

Premier temps:

Éliette Abécassis : Dans votre vibrant hommage et discours sur Charb, vous avez dit qu'il était victime de « fanatiques religieux, crétins sanglants ». De qui parlez-vous ?

J-L Mélenchon : De ceux qui l'ont assassiné. Ce sont des crétins sanglants.

EA : Ils ont des noms, des catégories ?

JLM : Nos adversaires... Des religieux qui prétendent... J'ai dit « crétins sanglants » parce que j'aime bien que les mots fassent mouche. Je pensais à ceux qui l'ont assassiné, que je considère comme des crétins.

EA : Y a-t-il un mot difficile à prononcer pour vous, comme le mot « islamistes » ? Vous n'avez jamais prononcé ce mot. Ne croyez-vous pas qu'il soit important de mettre des mots afin de pouvoir combattre l'ennemi ? Si on ne le nomme pas, on ne peut pas le combattre?

JLM : C'est votre avis, mais ce n'est pas le mien. Tous les intégrismes religieux sont équivalents.

Résumons l'échange qui précède. E. Abécassis dit en substance: « Le fait que vous ne prononciez jamais le mot “islamiste” montre que vous refusez de désigner l'ennemi véritable. » On objectera que, de même que « s'abstenir de voter » n'est pas identique à « voter contre », « ne pas prononcer le mot » ne signifie pas « refuser de désigner cet ennemi-là ». Comme il l'explique depuis le début, Mélenchon refuse seulement de se laisser entraîner en public dans un (faux) débat inter- ou intra-religieux, que ce soit ici, dans l'éloge funèbre ou ailleurs.

Deuxième temps:

EA : Tous équivalents? Charb a été victime des intégristes religieux?

JLM : En effet. Ils utilisent des méthodes différentes suivant les endroits du monde, les religions et leur rapport à la société civile de notre époque. Bien sûr, je n'ai aucune difficulté a dire que c'est l'islamisme radical. Mais je ne veux pas participer à l'opération qui consiste a aller trier entre eux. A trouver bienveillants certains intégrismes, qui peuvent par exemple s'exprimer dans l'Etat d'Israël par des sectes particulièrement violentes, comme ceux qui gomment les femmes sur les photos, ou bien des intégristes catholiques qui ont proféré des condamnations contre les homosexuels.

EA : Est-ce que les intégristes catholiques tuent les humoristes aujourd'hui? Peut-on comparer tous les intégristes ?

JLM : Oui, c'est ce que j'essaie de faire.

Dans ce qui précède, E. Abécassis reproche alors à Mélenchon d'assimiler tous les intégrismes à un seul même fanatisme, et donc de refuser de reconnaître la spécificité de l'islamisme. Mais la « spécificité » en question repose sur une simple assertion participant d'un discours intra-religieux, que Mélenchon identifie en répondant justement « Ça, c'est votre avis », et en donnant des contre-exemples, évacués comme non pertinents par E. Abécassis.

Pour ne pas être en retard d'un fanatisme meurtrier, Mélenchon aurait pu rappeler également la dizaine de médecins US tués par les doux chrétiens de l'Army of God opposés à l'avortement, la tuerie d'Utoya perpétrée par A. Breivik le pur « croisé de la chrétienté contre l'islamisation », l'assassinat de Y. Rabin ou l'hécatombe de fidèles musulmans au Tombeau des Patriarches par de pieux juifs, les massacres perpétrés par de pacifiques moines bouddhistes dans le Sud-Est asiatique, etc.

Troisième temps :

EA : N'y a-t-il pas une complaisance d'une certaine partie de la gauche et de l'extrême gauche, et un refus de voir le problème en face?

JLM : Vous auriez dû commencer par là. C'est plus clair.

EA :  ... ce qui fait qu'on ne peut pas les combattre, ce qui est grave. En évoquant les intégristes catholiques ou juifs, on nourrit l'antisionisme, qui nourrit l'antisémitisme, qui va faire en sorte que l'on tue aujourd'hui des juifs ou des humoristes.

On commence à voir pointer le bout de la véritable thèse : « Par ce refus complaisant, vous désarmez les critiques de l'islamisme, donc vous nourrissez l'antisémitisme, donc vous devenez complice de ceux qui tuent les juifs. »

Une fausse question, qui se termine par une vraie affirmation. Alors que Mélenchon explique que c'est en identifiant les caractéristiques communes des fanatismes religieux que l'on en arme durablement la critique, on découvre là une injonction faite à un politique d'abandonner la neutralité laïque pour se positionner clairement contre une religion, sans préjuger de toutes les autres. La véritable prémisse, c'est celle de l'évidence du combat entre seulement deux camps : le Bien contre le Mal. Qui n'est pas contre est donc pour. Qui est pour est complice. Qui est complice est coupable.

Quatrième temps :

EA : Et tout cela ne profite pas à votre électorat. Mais à qui ? Au Front national. C'est un calcul électoraliste qui n'est pas bon.

JLM : Vous avez le droit d'avoir votre avis.

EA : Parce qu'il s'agit d'intégrisme musulman. Il ne s'agit pas d'intégrisme juif, il ne s'agit pas d'intégrisme catholique, aujourd'hui.

JLM : Vous avez le droit d'avoir votre thèse, et de développer l'équation que nous connaissons bien. Mais ce n'est pas mon avis. Je n'ai jamais pratiqué cet électoralisme. Si vous me suiviez dans une campagne électorale, vous verriez que je bénéficie de la vindicte de tous les fanatiques. J'ai toujours condamné l'intervention du religieux quel qu'il soit dans la politique.  Mon rôle n'est pas de participer aux campagnes politiques des uns contre les autres, ou d'un fanatisme contre un autre. Il faut donner à voir la lumière républicaine, qui dit que l'origine de tout cela, c'est la volonté de faire intervenir la religion dans la politique. [...] [Fin de l'échange]

En lecture plus directe, ça donne : « Mais contrairement aux islamo-gauchistes qui sont aveuglés par leur idéologie, vous-même n'êtes mû que par de sordides calculs, qui sont d'ailleurs fort mauvais puisque c'est votre concurrent le FN qui ramasse la mise. »

Peu importent la qualité de ses arguments, la profondeur et la conviction de son discours laïque et humaniste, l'intégrité de son parcours. En fait, il s'agissait simplement de poser comme cadre préalable, indiscutable et non négociable que le « crétin sanglant », c'est d'abord Mélenchon lui-même.

Petit jeu : saurez-vous retrouver et nommer les paralogismes dans le discours d'E. Abécassis, agrégée de philo et intellectuelle engagée ? (indices : homme de paille, pétition de principe, arguments ad hominem, circularité).

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