A la machine à café, à la cantine, à la fête de fin d'année, le sujet de toutes les discussions ? La « Chenille School Academy ». Plus qu'un buzz : un engouement.
Ce sont les chenillistes, j'entends par-là les pratiquants de chenille, qui parlent le mieux de cette activité qui les séduit : « on est en harmonie », « ça exige beaucoup d'investissement », « on est soudés », « c'est le seul sport qui soit aussi solidaire, il y a un esprit d'équipe et en même temps il faut être individuellement très exigeant », « il y a du contact », « on est heureux de se retrouver », « on se mélange », « c'est un moment de communion et de joie, donc ça a de belles valeurs ».
Cette activité présente donc toutes les caractéristiques pour inquiéter un système dont les logiciels ne savent pas gérer des choses aussi bizarres que la confiance, la solidarité, l'empathie, le dévouement, la cohésion sociale, la complicité*.
Alors quand un terroriste d'extrême-droite a fini nu comme ...une chenille, sur un trottoir du quartier de la Monnaie, le Système, affidé de la Finance, a paniqué face à une telle imprévisibilité éruptive et créative*, voyant dans cette provocation la marque du mouvement chenilliste, décelant dans cet acte une ambition subversive.
Confronté à un tel affront, le ministre en charge de l'Autorité était en devoir de réagir. Sa voix n'a pas tremblé. A peine une légère inflexion sur l'épithète. Avant de balancer sur les ondes : « Une petite guerre civile ». Bis repetita quelques minutes plus tard, sans l'épithète cette fois, en écho du patron du PCF : « Une mobilisation de l'extrême-droite pour nous faire basculer dans la guerre civile ». Le retour dans nos rues des coléoptères à la carapace noire a de quoi terrifier tout chenilliste.
Si la confusion ministérielle entre « guerre civile » et « troubles intérieurs » ou « insurrections » a déclenché chez vous l'envie de vous recroqueviller, alors il se peut que vous soyez un chenilliste dans l'âme, l'un de ces petits êtres merveilleux en qui Rimbaud voyait l'innocence des limbes, ceux qui voudraient dire « non » aux militaristes de tout poil, empêcher de tuer en rond et voir perdre des décennies de guerres colonialistes**.
Cet urticaire est légitime car l'homme incarne l'idéal-type de « l'épileur » de chenilles, cette engeance qui a fait du biomimétisme une science de guerre. Convaincue que bombyx et bombe ont la même étymologie, ces planqués de vendeurs d'armes se sont inspirés des chenilles pour créer les chars qui écrasent leurs ennemis et arasent leurs scrupules à louvoyer de droite à centre droite, à extrême-droite. Une façon de filer la métaphore.
Dans leur délire théologique du Changement permanent, ces légionnaires du Progrès entendent Shakespeare leur déclamer que « as the caterpillar chooses the fairest leaves to lay her eggs on, so the priest lay his curse on the fairest joys » si bien que pour eux la société se divise naturellement en deux catégories :
- les leaders, les individus les plus aboutis du monde mondialisé, symbolisés par la magnifique broche papillon accrochée sur la robe de l'épouse de Klaus Schwab au Forum de Davos de janvier 2023,
- et nous, les vilaines chenilles, les nuisibles vivant aux crochets d'une société démoniaque à démondialiser, la beauf attitude en prime, qui n'excusent pas plus qu'on brise une société, qu'on ne brise une chenille.

« Reste calme » me souffle la chenille de Lewis Carroll quand on m'accuse d'être dans le faux : « Vous, Vous, Vous, Vous êtes une terrible réalité de la société », une société terriblement fausse, qui m’inquiète beaucoup.
Mais je crois qu'il leur déplairait de voir les chenilles se transformer en chrysalide et encore plus d'entamer une nymphose. Elles sont leur alibi pour avoir la main-mise sur le magnan.
Qu'importe, cette semaine, je me plais en chenille du genre numérique, aisément identifiable par les segments du diagramme que j'ai obtenu en classant par sujet les quelques 200 titres d'articles reçus sur mon portable, issus de divers journaux, entre le 1er et le 29 novembre 2023.

- Plus de 40 articles, soit 20% du total, sont consacrés à la guerre, et en très grande majorité au conflit Israël-Palestine et son importation en France
- 15% des articles sont dédiés à l'environnement et presque entièrement au constat des inondations dans le Nord. Il est évoqué l'augmentation des prix des assurances mais jamais le nouveau remembrement en cours dans le Nord ou l'arrachage de haies au profit d'agriculteurs belges ou néerlandais.
- 15% des articles ont pour sujet la société et plus de 90% d'entre eux évoquent la violence qu'elle soit vis-à-vis des femmes, des maires, de la communauté LBGT...pas un article sur la santé de ces messieurs malgré Movember.
Un homme d'état doit maîtriser les statistiques comme Rodrigue a du coeur. C'est ainsi que Gottfried Achenwall, un économiste allemand, conçut les statistiques nommant son invention d'une métonymie à partir du mot italien statista signifiant « homme d’État ».
Or, l'échec de nos hommes politiques à interpréter ce diagramme autorise le peuple, selon ce même Gottfried Achenwall, à se rebeller contre de si piètres hommes d'état qui ne réfléchissent pas en termes de causes et conséquences mais de com, c'est-à-dire de réactions sur un évènement.
S'ils voulaient bien changer, ils verraient au travers de ce diagramme, établi sur le principe de Pareto, que 80 % des effets sont le produit de 20 % des causes, soit la guerre.
Ainsi, selon la loi du 80-20, le diagramme indique que le penchant militariste des gouvernants non seulement envenime la situation au Proche-Orient et en France mais induit aussi plus de 80% des évènements autres. Pour illustrer le concept « guerre input, guerre output » :
- Quand l'état commande pour 20 millions de munitions à destination du maintien de l'ordre et pour 4 millions de drones de surveillance, Emmanuel Macron annonce pouvoir seulement abonder à hauteur de 50 millions la dotation de solidarité aux 10 000 sinistrés du Nord inondé.
- Quand la loi de programmation militaire prévoit une enveloppe de 400 milliards d’euros pour 2024-2030, la planification écologique n'est dotée que d'un budget de 40 milliards pour 2024.
Ni de gauche, ni de droite; Ni pro-israélien, ni pro-palestinien. A chacun le choix d'être militariste dans un monde mondialisé ou chenilliste dans un monde démond-ialisé.
« Pessimiste quant à la destinée humaine, je suis optimiste quant à l'homme. Et non pas au nom d'un humanisme qui m'a toujours paru court, mais au nom d'une ignorance qui essaie de ne rien nier » - Camus.
Billet inspiré par :
*La Vie vivante, Jean-Claude Guillebaud
**En groupe, en ligue, en procession, Jean Ferrat
Alchimie du verbe, Une saison en enfer, Arthur Rimbaud
Alice au pays des merveilles, Lewis Carroll
René Char évoqué par De Villepin
Small is beautiful, E.F. Schumacher