Barbie vire Oedipe

Comme Un-le-Tout est le symbole de l'Unité du Monde, la Une du Club s'attache, jour après jour, à refléter la diversité des opinions qui s'expriment sur MDP.

A la Une intitulée « Coincé.es dans Barbiland ? », je n'ai pas trouvé, déjà clairement énoncée et bien formulée, l'idée qui surnageait dans mon esprit, un mois après avoir vu le blockbuster. Cependant, la pluralité et l'intelligence des billets édités sur le sujet, comme autant de forces à l’oeuvre, m'ont aidée à mettre des mots sur mes perceptions et à accoucher de ce billet.

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Hétéro-normé pour les uns, LBGTQ pour les autres. Des indices orientent vers une interprétation alternative du film : derrière l'évocation de friend zone, le refus de dormir, de tenir la main ou d'embrasser Ken, on voit se dessiner Barbie comme l'icône de l'asexualité. Les moteurs de recherche selon que vous écriviez « Barbie asexualité » ou « asexual Barbie » respectivement infirme ou confirme cette hypothèse très répandue dans le monde anglo-saxon. On peut penser que la France ne peut pas voir Barbie comme une militante « A », car le pays ne veut pas envisager une vie vécue en l'absence de désir pour la sexualité. D'ailleurs, on castre le sigle LGBTQIA+ de son « A » et de son « + » comme si ne pas nommer ces orientations, l'asexualité et l'aromantisme, pouvait éloigner une peur fondamentale sur ce qui est sensé faire tourner le monde.

Il ne serait pas sérieux de ma part de psychanalyser la poupée en quelques lignes et d'intituler mon billet « Barbie sur le divan » pour publier mon étude de cas.

Freud, qui écrivait il y a un siècle « Le pénis est reconnu comme quelque chose de détachable du corps », se passionnerait sur les différences de développement psycho-sexuel entre le monde réel et Barbiland, où Barbie et Ken ne peuvent pas avoir de fantasme de castration de l'organe réel puisqu'ils en sont dépourvus depuis leur conception.

L'absence de père et de mère à Barbiland n'a pas imposé à Barbie l'épreuve du complexe d'Oedipe et par conséquent le développement de son Surmoi, qui serait venu jouer les rabat-joie pour freiner sa consommation de biens matériels, mais qui aurait aussi permis à Barbie de mieux supporter le sentiment de solitude et de ne pas avoir recours sans cesse aux soirées pyjamas avec ses copines.

Par conséquent, le film ne décrit pas deux mondes mais plutôt la difficile traversée de l'adolescence par Barbie, qui part du monde de l'enfance pour s'avancer vers le stade adulte. Cette supputation expliquerait l'omniprésence du mantra autour de la recherche de sens comme un écho aux travaux de Winnicott, psychanalyste britannique : « Le monde n'aura de sens pour l'enfant que dans la mesure où on lui donne la possibilité de le créer. » 

Ceci nous amène vers la fin du film où l'on voit Barbie rentrer dans une clinique et demander les services d'un gynécologue pour probablement acheter (nous sommes aux USA) un « gynécée », je choisis ce terme à dessein car elle n'aspire pas seulement à l'organe mais aussi au pouvoir et au réseau strictement féminin qui vont avec. Marie a enfanté de façon asexuée le christianisme, Barbie peut bien accoucher du progressisme.

Au siècle dernier, Freud écrivait que l'homme est rongé durant toute sa vie par l'angoisse de castration et la femme obsédée par l'envie de pénis, expliquant que l'homme vive dans la peur, la femme dans l'insatisfaction. Avec le complexe de Barbie, nous sommes dans une position exactement opposée où Barbie s'attache un organe et Ken vit dans l'insatisfaction de son absence de pouvoir, pleurant la disparition de son chromosome Y.

La société change donc de machin. Le film accuse une humanité souffrant de maladie physique (le cancer) et mentale (la dépression), dont le transhumanisme est et sera le remède pour l'ère de la technoscience qui s'ouvre devant nous. On peut s'interroger sur la place que la femme augmentée laissera à l'altérité au sein de cette société.

Selon vous, à quelle date sortira BB, la Barbie Borg ?