Analyse de proximité
Pour comprendre comment se répartissent les députés, nous analyserons 1169 scrutins publics[1] : les seuls pour lesquels nous avons le détail des votes par député[2].
L’idée première est simplement de mesurer la proximité des votes. Il s’agit de cartographier les députés en fonction de la similarité de leurs votes avec ceux de leurs collègues. Nous obtenons :

Agrandissement : Illustration 1

Un joli nuage de points… mais un peu terne. Ajoutons y des couleurs, en se basant sur les appartenances politiques revendiquées :

Agrandissement : Illustration 2

Les blocs gagnent en cohérence. Notons déjà quelques enseignements
- La Gauche est bien distincte des autres groupes
- Les extrêmes ne se rejoignent pas
- La séparation LREM/RN est bien moins nette
- Il n’y a pas de fossé entre eux, juste une ou plusieurs thématique qui semblent les écarter, un peu
S’il est intéressant de prendre en compte les étiquettes autoproclamées de nos élus, il convient de se pencher sur la réalité de leurs votes. Colorions cette fois ce graphique sur la seule base des votes :

Agrandissement : Illustration 3

Nous obtenons 3 blocs, tels qu’attendus.
Cette division statistique ne fait pas apparaitre séparément les LIOT, LR, etc… en effet, les votes de leurs députés sont trop similaires à ceux d’autres groupes pour laisser apparaître des clusters (groupes) indépendants.
Dans le détail des alliances nous voyons que :
- 100% des députés LFI/GDR/ECOS/PS apparaissent rouge.
- 100% des LREM/MoDem/Horizon apparaissent également dans leur couleur attendue, le jaune.
- Exception faite d’un député, tous les élus RN/UDR apparaissent en bleu, démontrant une discipline de groupe quasi parfaite. Evidemment, le dissident qui s’est bunkerisé tout seul est… Eric Ciotti (jaune). Ça en deviendrait presque drôle.
Les 3 principales forces sont donc parfaitement étanches entre elles, mais elles ne sont pas également distantes, comme nous l’expliquerons plus tard.
Notons aussi qu’il n’existe pas d’aile gauche de la Macronie, pas plus qu’il n’existe de députés NFP votants (pour l’instant) comme LREM.
Chez les groupes numériquement moins importants :
- 23 LIOT, 5 rouges, 17 jaunes et 1 bleu.
- 11 NI (non-inscrits), dont 1 rouge (Sacha Houlié, qui représente donc à lui seul l’ex-aile-gauche-LREM), 8 jaunes et 2 bleus.
- Enfin chez LR, si 45 apparaissent bien en jaune, il ne faut pas oublier que 8 sont bleus (comme Philippe Juvin par exemple), donc confondables par leurs votes aux députés RN/Ciotti.
Ainsi divisée, l’A.N. se compose de 3 groupes[3] :
- 198 de Gauche
- 243 de Centre-Droit
- 150 d’Ext. Droite
Nous retiendrons ces groupes pour la suite car ils décrivent ce que les députés votent, plutôt que ce dont ils se réclament. D’aucun diraient qu’ils sont plus honnêtes.
Dis moi qui propose, je te dirai ce que tu votes
Etant entendu que l’A.N. se divise en 3 blocs de tailles comparables, regardons comment ils interagissent en se penchant sur le pourcentage de votes pour selon le camp d’origine de la proposition :

Agrandissement : Illustration 4

On remarque qu’il existe 3 types de propositions :
- Celles de la Gauche, soutenues quasi exclusivement par elle
- Celles de l’Ext. Droite, soutenues quasi exclusivement par elle
- Celles du Centre… presqu’autant soutenues par ce dernier que par l’Ext. Droite !
Si le Centre ne vote pas (encore) les propositions de l’Ext. Droite, il soumet déjà des projets de lois ou amendements propres à obtenir l’assentiment de cette dernière.
Cela est encore plus flagrant lorsque l’on regarde le taux de soutien aux propositions émanent directement des commissions mixtes paritaires ou du gouvernement :

Agrandissement : Illustration 5

Même les Socialistes soutiennent nettement moins les résultats des commissions mixtes paritaires que le RN… c’est dire où se trouve le barycentre de celles-ci.

Agrandissement : Illustration 6

Etonnamment, les députés RN/Ciotti soutiennent moins les propositions émanant du gouvernement que des commissions mixtes paritaires. Cela pourrait s’expliquer par le fait que ces dernières sont débattues à huis clos. Il semble plus facile pour l’Ext. Droite de soutenir les propositions du Centre Droit quand celles-ci sont négociées en secret…
Reprenons.
Le bloc central et l’Ext. Droite s’opposent frontalement aux propositions de la Gauche. Non, les « extrêmes » ne se rejoignent pas.
Afin de garder la face, le bloc central ne vote pas les propositions de l’Ext. Droite mais reprend lui-même à son compte des projets de celle-ci, tant et si bien que l’Ext. Droite soutient de fait… (une partie de) son propre programme… appliqué par d’autres.
Enfin, pour compléter le sectarisme primaire du bloc central, ses membres s’opposent plus à la Gauche que ne le fait l’Ext. Droite. Ils sont plus royalistes que la Reine Bleue Marine.
Conclusion
Nous le répétons encore, parce qu’il s’agit sans doute d’un des plus importants enseignements de cette note, mais les extrêmes ne se rejoignent pas. Au contraire même. Le RN et l’UDR ne s’y trompent pas : ce sont les propositions de LFI puis des Verts qui récoltent le plus leur opposition. La Gauche en est tout aussi consciente puisque les propositions du RN ne récoltent pas plus de 5% de votes positifs de la part de LFI, des Verts ou même du PS.
L’Ext. Droite se frotte les mains de voir le gouvernement répondre à ses attentes. Ainsi, le soutien des RN/Ciotti dépasse les 83% quand le projet de loi vient du gouvernement ou des commissions mixtes paritaires.
La droite parlementaire s’est clairement perdue, obtenant plus de 85% de votes positifs de la part du RN et 92% de Ciotti (prouvant s’il était besoin l’inutilité de leur lamentable scission).
Enfin, le bloc libéral-autoritaire centre-droit surprend par son antiparlementarisme. En effet, ils suivent comme un seul homme les décisions des commissions mixtes paritaires (100%) et du gouvernement (90% et plus)… mais s’écharpent entre eux dès qu’un débat a lieu à l’Assemblée ou qu’une idée en émane avec seulement 77% de soutien à leurs propres amendements ou propositions !
Si une idée ne vient pas du Chef, elle sera au mieux tolérée. Par exemple, LREM ne soutient qu’à 63% les propositions du MoDem (donc 37% contre), soit moins que le soutien des communistes (67%). De même, les LREM ne sont qu’à 72% derrière les idées d’Horizon, soit moins que les 85% de LR à le faire.
Pour achever de se convaincre du sectarisme du Centre-Droit, notons que toutes ses composantes (LR/HOR/LREM/MoDem et même LIOT) sont les seules formations à voter d’avantage contre que pour. Ils sont là pour dire non… au reste de l’Assemblée Nationale. Ainsi, si l’on compte le nombre de pour et de contre indépendamment de la source du projet de loi ou de l’amendement, nous obtenons :

Agrandissement : Illustration 7

Dans un retournement contre-nature des institutions, nous avons une soi-disant majorité (dans le sens où ils se maintiennent au pouvoir) qui agit comme une minorité de blocage. Elle dit non.
Enfin, pour rester aux manettes, ce bloc bourgeois s’évertue à garder le soutien du RN. Pour que cela ne se voit pas trop, il rédige ses textes les plus RN-compatibles à l’abris des regards, en commissions ou aux ministères.
[1] Disponibles ici : https://data.assemblee-nationale.fr/travaux-parlementaires/votes
[2] Notons que cette méthodologie exclue de fait les votes à main levée pour lesquels nous n’avons, évidemment, pas de décomptes précis.
[3] Le total est de 591 au lieu de 577 car certains sièges sont comptés plusieurs fois : un suppléant peut remplacer son titulaire.