I - Typologie des travailleurs français
Les travailleurs en France se divisent en 3 catégories :
- Ayant commencé très jeune
- Ayant commencé moins jeune, mais avant 21-22 ans
- Ayant commencé après 22 ans
Dit autrement, il y a les décrocheurs scolaires, ceux aux études moyennes et les diplômés du supérieur. Ou encore autrement, les pauvres, les classes moyennes et les aisés[1] :

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Je ne résiste pas à la tentation de pré-répondre aux tenants de la « méritocratie républicaine » qui expliqueraient ces disparités dans les parcours scolaires par la seule volonté et le dur labeur de certains enfants en leur indiquant que Le Monde s’est mué encore récemment en adepte de Bourdieu mettant en lumière que le salaire de Papa/Maman, ça aide encore bien à être dans un bon lycée et une bonne filière[2]… mais qui a déjà cru en l’égalité des chances ?
Sans surprise, cette distribution se retrouve aussi dans l’espérance de vie : en effet, non content de gagner plus, les aisés vivent aussi plus longtemps[3] (et cela aura toute son importance dans la suite du raisonnement) :

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Mis bout-à-bout, ces graphiques nous dépeignent une situation très simple : plus on est aisé, plus on est diplômé et plus on vit longtemps. Les plus perspicaces devineront déjà que ce ne sont donc pas les plus pauvres qui mettent en péril le régime des retraites…
Ajoutons pour bonne mesure que les pauvres ont en plus le mauvais goût de mal vieillir. En effet, outre leur espérance de vie (plus faible), leur espérance de vie en bonne santé l’est encore d’avantage et ils vivent une plus grande part de leur vie dans de mauvaises conditions de santé. Tournons-nous vers l’étranger pour se faire une idée de ce à quoi mène l’idéologie de notre Président. L’office national de statistique britannique[4] fournit des données détaillées sur l’espérance de vie en bonne santé selon le revenu.

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Nous observons que pour les 5 premiers déciles, l’espérance de vie en bonne santé ne dépasse pas les 64 ans. 50% de la population sera donc amené à finir sa carrière dans de mauvaises conditions…
II - Le retour sur cotisations, l’indice que le gouvernement NE veut PAS évoquer
Le "retour sur cotisation", c'est le rapport entre ce que l'on apporte au pot des retraites et ce que l'on en retire lorsque l'on entre en pension.
Etant posé que nous ne vivons pas tous autant, et que les disparités peuvent s’expliquer par les revenus, que faut-il comprendre quand le Président, ses ministres, ses opposants de droite ou nombre de journalistes de plateau répètent à l’envie qu’il faudra travailler plus longtemps ? Simplement que les plus pauvres, dans une solidarité inversée, cotisent pour les retraites des plus aisés.
Afin de s’en convaincre, prenons 3 salariés français, au salaire médian et pour qui seule l’espérance de vie est différente :

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Nous pouvons déjà observer dans cet exemple que le simple fait de vivre plus longtemps induit d’avoir un retour sur cotisation supérieur. Le salarié A cotise pour le salarié C. Mais comme nous l’avons vu précédemment, l’espérance de vie est liée aux revenus.
Regardons maintenant ce qu’il passe avec 3 collègues, mais avec des salaires différents. Le premier sera au SMIC (il commencera à travailler 4 ans plus tôt que précédemment, pour prendre en compte le parcours scolaire supposé plus court), le deuxième aura le salaire médian (et commencera à travailler deux ans plus tôt que dans le précédent exemple), enfin le troisième aura le double du salaire médian (seuil retenu pour être riche dans un récent rapport de l’Observatoire des Inégalités[5]). En appliquant à ces cas l’espérance de vie par revenu telle que présentée précédemment, nous obtenons :

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Les smicards ont une pension de retraite 20% inférieur à leurs cotisations. Mais ces 20% ne sont pas perdus pour tout le monde puisqu’ils se retrouvent dans les pensions des plus aisés. Les pauvres cotisent pour les aisés. Nos concitoyens les plus pauvres ne vivent pas assez longtemps pour récupérer ce qu’ils ont mis au pot commun des retraites. Ils sont des contributeurs nets, contrairement aux plus aisés.
Les défenseurs de la retraite à 64, 65 ou 67 ans répondront que dans le projet de loi présenté par E. Borne, il y a une pension minimale garantie à 1.200€, nous leur répondrons que dans notre calcul fait sur un coin de table nous sommes à 1.127€ soit 6% en dessous… donc même avec ce coup de pouce, les Smicards continueraient à perdre 14% de leurs retour sur cotisation. Et pour finir de tordre le cou à cet argument, ajoutons que les Smicards sont beaucoup plus fréquemment touchés par le chômage allongeant d’autant leur durée de carrière, réduisant donc leur durée de pension… et donc leur retour sur cotisation encore une fois.
De l’autre côté du spectre social, les plus aisés qui ont donc commencé à travailler à 23 ans et cotiseront 43 ans finiront leur carrière à 66 ans… soit au-delà des 64 ans proposés par le gouvernement. Ils ne sont absolument pas impactés par la contre-réforme. Avec ou sans elle leur carrière aurait duré aussi longtemps (c’est à M. Touraine que nous devons l’accroissement du nombre de trimestres dans une carrière).
Si le gouvernement annonce que cette mesure générera des économies, et comme cette mesure n’a aucun impact sur la classe aisée, c’est que le gouvernement s’apprête (encore) à s’en prendre aux plus démunis. Les économies se feront intégralement sur le dos des classes populaires. Quels que soient les aménagements pour les carrières longues, les TUC, les régimes spéciaux conservés (Police, Armée…), si des économies se font, elles viendront à 100% de la sueur des plus pauvres de notre pays et à 0% des plus aisés dont la carrière était déjà assurée de se terminer après 64 ans.
[1] https://www.insee.fr/fr/statistiques/5432465?sommaire=5435421
[2] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/01/11/au-lycee-les-indices-de-position-sociale-revelent-l-ampleur-du-tri-social-entre-les-voies-generale-et-professionnelle_6157366_4355770.html
[3] Source : Insee https://www.insee.fr/fr/statistiques/3319895
[4] https://www.ons.gov.uk/peoplepopulationandcommunity/healthandsocialcare/healthinequalities/bulletins/healthstatelifeexpectanciesbyindexofmultipledeprivationimd/2017to2019
[5] https://www.inegalites.fr/5-millions-de-riches-en-France